jeudi 21 juillet 2011

Lettre ouverte à Monsieur François Fillon qui a déclaré le vendredi 15 juillet 2011 à Abidjan : "J’appelle tous ceux qui continuent à vouloir évoquer les relations entre la France et l’Afrique en parlant de Françafrique à changer de vocabulaire."

Françafrique's anniversary


Monsieur le Premier Ministre

J’appelle tous ceux qui continuent à vouloir évoquer les relations financières entre la France et l’Afrique en parlant de "dette publique" à changer de vocabulaire pour le remplacer par "escroquerie néocoloniale". Selon le dictionnaire de l’académie française : « une dette est ce que l’on doit à quelqu’un ». Les paysans, la population majoritaire en Afrique ainsi que les petits salariés et entrepreneurs des villes et bidonvilles
remboursent par leurs impôts directs et surtout indirects, prélevés sur la plus value de leur travail, ces trop fameuses « dettes publiques ». Ils vivent pour la grande majorité très pauvrement et ont souvent de grandes difficultés pour se nourrir. La grande insécurité matérielle de ces populations prouve qu’elles n’ont pas profité des emprunts faits par leurs gouvernements, aussi bien auprès de la France que des autres institutions financières. Elles n’ont donc, en bon français, pas de dette et ne doivent rien à qui que ce soit ? Ces remboursements, qui leurs sont imposés, semblent donc illégitimes. Pour en être certain, il faut vérifier l’origine des emprunts et leur utilisation, la représentativité des gouvernements et la bonne foi des prêteurs. La France, par exemple, ne se serait-elle pas servie de la dette pour maintenir ses prérogatives coloniales, l’accès à des matières premières quasiment gratuites, indispensables à son boom économique de l’après-guerre et après les indépendances des pays francophones d’Afrique ?

Dès les années 1960, la Banque mondiale a imposé, aux pays africains nouvellement indépendants, le remboursement des emprunts contractés auprès d’elle par la France et les autres pays colonisateurs afin d’optimiser l’extraction des richesses pour leur propre compte. L’aide au financement, d’un port en eau profonde, ou d’une voie ferrée destinée à transporter exclusivement des minerais ou d’autres matières premières exportées sans transformation, sans rien payer au pays exportateur, doit-elle être assumée par celui qui n’en a aucunement profité ? Bien sûr que non, car en droit international cela s’appelle une dette odieuse. La Banque mondiale a été chargée de poser les premières pierres de la grande escroquerie néocoloniale nommée opportunément « dette publique ». Plus tard, les multiples prêts des pays industrialisés, comme ceux de la France, des banques, du FMI comme de la BM, serviront à bâtir une structure de contention économique et financière implacable. Le but était d’imposer à ces pays et à leurs peuples, après le départ des armées coloniales, un nouveau moyen d’asservissement apte à assurer la continuité du pillage colonial qui avait favorisé l’enrichissement de la France et de l’Europe. N’oublions pas qu’au sein de la Banque mondiale, la France détient, avec 65 millions d’habitants, 4,31% des voix, quand un milliard d’Africains n’en a que 5,86%.

Les premiers présidents africains, les véritables démocrates qui avaient voulu sortir leur pays de l’ornière coloniale dans laquelle les réseaux Foccart - mis en place par De Gaulle dès les indépendances- voulaient les maintenir, ont été assassinés, tels Lumumba, Sylvanus Olympio et Sankara, d’autres ont été écartés de force. Les prêts ont avant tout servi à corrompre les décideurs africains restants. Le bond économique et industriel des trente glorieuses n’aurait pu exister en France sans le maintien d’un extractivisme néocolonial des matières premières, quasiment gratuites, au profit de ses entreprises : pétrole, coltan, cuivre, caoutchouc, bois précieux, coton, café, cacao, etc., n’oubliez pas les révélations de l’affaire ELF.

Mais revenons aux populations africaines sur qui pèse le poids des remboursements de la « dette publique ». Ont-elles eu des informations sérieuses leur offrant la possibilité de connaître le montant des emprunts, leurs destinations et la possibilité d’émettre des choix ? Ont-elles reçu des sommes d’argent de la France ou de la Banque mondiale leur permettant d’améliorer l’agriculture paysanne, essentielle à leur survie, ou d’investir dans les petites entreprises de transformation ? Les réponses sont négatives. Si on ne sait pas précisément à quoi a servi l’argent des multiples emprunts, on connaît, par contre, le haut niveau de corruption des bourgeoisies locales, les projets appelés éléphants blancs, comme la Cathédrale de Yamoussoukro en Côte d’Ivoire, copie de St Pierre de Rome, dont la construction a surtout profité aux entreprises françaises, ou le barrage d’Inga en RDC. On sait, la Banque mondiale savait, quand elle lui prêtait, que la fortune colossale de président comme Mobutu, de l’ex Zaïre, était égale à la dette du pays. Or, ce sont ces escroqueries que l’on qualifie de « dettes publiques » et que les peuples africains remboursent depuis des décennies.
Pour savoir si le contrat d’endettement signé au nom du peuple était valable, il faut disposer de plusieurs éléments. Ces gouvernements étaient-ils libres de leurs choix ? Représentaient-ils légitimement leurs peuples à la suite d’élections démocratiques, étaient-ils en capacité de signer ces contrats de prêts engageant leur pays pour des dizaines d’années ? Ces sommes empruntées, sous forme d’investissements productifs, auraient pu produire des plus-values, offrant ainsi les moyens de rembourser les dettes de l’Etat emprunteur. Les prêteurs, banques du Nord, France ou Banque mondiale, ont-ils respecté ces conditions, sans lesquelles le contrat de prêt doit être déclaré nul et ne peut donc pas engager légalement les populations à les rembourser ? Ces sommes empruntées ont-elles réellement servi à l’amélioration de la vie des populations ? NON !

En 1980, quand les taux de référence anglo-saxons ont été multipliés par trois et que les emprunts africains indexés sont devenus impossibles à rembourser, le FMI a saisi l’occasion pour imposer aux populations des plans d’austérité draconiens. Ouverture des frontières à la concurrence déloyale des produits subventionnés du Nord, liberté de mouvements des capitaux du Nord, privatisation des entreprises publiques par le chantage aux nouveaux prêts de secours du FMI, de la BM et des pays industrialisés, restrictions des dépenses publiques en faveur des populations. Ces mesures ont accentué le néocolonialisme, la gigantesque escroquerie appelée « dette publique » a alors lourdement appauvri les peuples africains et fortement enrichi leurs créanciers et les entreprises transnationales qui se sont implantées à la faveur de ces plans.

Vous nous demandez d’abandonner le mot “Françafrique” mais c’est surtout son sous-entendu “Françafric” qui vous dérange. Quand vous déciderez d’abandonner la gestion néocoloniale du Franc CFA, alors, nous oublierons ce mot. Car ce sont des milliards d’euros de réserves des peuples africains qui se trouvent dans les caisses du Trésor français. Cette gestion par la France, bride les économies africaines en arrimant leur monnaie aux fluctuations de l’Euro et leur enlève une part importante de leur souveraineté en les privant d’un important levier économique. Accepteriez-vous que l’Euro soit géré par la Côte d’Ivoire ?

Alassane Ouattara est le nouveau président de la Côte d’Ivoire grâce à l’intervention de la force armée française Licorne. Il est un économiste formé dans les universités américaines et un ancien directeur du département Afrique du FMI. Soyons certains qu’il saura renvoyer l’ascenseur et permettre aux entreprises françaises de continuer à exploiter les travailleurs de son pays et à en extraire les matières premières leur assurant de splendides profits dans une continuité néocoloniale sans faille. Il continuera à rembourser la dette publique selon les critères de la « bonne gouvernance » imposée par le FMI et la Banque mondiale. Pourtant, depuis des décennies, les pays ex-colonisateurs en premier, tous les pays industriels et leurs entreprises transnationales extractivistes ensuite, sont responsables des désastres environnementaux et du réchauffement climatique. Ils ont créé une dette écologique envers les pays africains qui subissent le plus fortement ces pollutions, sans y avoir participé. Cette dette énorme n’a pourtant jamais été honorée. Le fonds vert institué à Copenhague - qui se veut être une forme de compensation à cette dette écologique - doit financer les mesures d’adaptation au réchauffement climatique. Or, il sera géré par la Banque mondiale. Une fois de plus, les mesures qui s’annoncent seront en faveur du verdissement du capitalisme, pour lui refaire une image, et non pour aider les peuples africains, les premiers touchés par ces dérèglements.

Mais il nous faut rester optimistes. Un jour, le combat des populations africaines et des associations françaises aboutira à ce que les dettes publiques illégitimes et odieuses soient annulées, lorsqu’un audit citoyen aura été mis en place et ses conclusions reconnues, comme cela a été fait en Equateur, en 2008. Alors, cette escroquerie néocoloniale prendra fin. Le FMI et la BM lâcheront enfin les pays africains comme l’on exigé certains pays d’Amérique du sud, tels la Bolivie et l’Equateur. Ces pays pourront alors se protéger contre la concurrence déloyale des pays industrialisés, comme la France, qui subventionne son agriculture et exporte dans un système de concurrence faussée en étranglant les petits producteurs africains. Le café ou le cacao pourra entrer en Europe, après transformation locale, le rendant prêt à consommer, sans payer de taxes douanières. Les forêts primaires ne seront plus vendues en bois d’œuvre ou transformées en huile de palme exportée pour payer les dettes illégitimes. Alors oui, ce jour là, Monsieur Fillon, quand « Dette publique » ne sera plus synonyme d’escroquerie néocoloniale, nous ferons disparaître du vocabulaire le mot “Françafrique”.

http://www.cadtm.org/Lettre-ouverte-a-Monsieur-Francois

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