jeudi 7 juillet 2011

La Cour des comptes étrille la politique sécuritaire de Sarkozy


"London Street Art" "Blackall Street"

En prenant 2002, date d'arrivée de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, pour point de départ, le rapport de la Cour des comptes sur l'organisation et la gestion des forces de sécurité, publié ce 7 juillet,  dresse un véritable bilan de la politique de sécurité du chef de l'Etat. Il est dévastateur.
L'actuel ministre de l'intérieur, Claude Guéant, ne s'y est pas trompé, allumant des contre-feux dans les médias avant même sa publication. Dès le 22 juin, le site Atlantico publiait une lettre du ministre adressée à la Cour des comptes, dans laquelle il fustigeait «un nombre important d'inexactitudes, d'oublis et d'appréciations manquant parfois d'objectivité». Et l'ancien préfet se fendait au passage d'une leçon de statistique estimant la période d'analyse retenue 2002-2009 trop courte pour «révéler les contrastes entre les résultats obtenus aujourd'hui et les politiques de sécurité menées antérieurement».
L'enquête de la Cour des comptes résulte de contrôles menés avec les chambres  régionales des comptes dans 52 villes de quatre régions (Ile-de-France, Rhône-Alpes, PACA et Languedoc-Roussillon). Elle concerne uniquement les forces de sécurité publiques (83.000 policiers, 80.000 gendarmes et 28.000 agents municipaux fin 2010). Revue de ses principales critiques.
  • La hausse des violences aux personnes
«L'évolution de la délinquance ne peut être résumée par un seul indicateur global donnant le même poids aux délits mineurs et aux crimes», rappelle la Cour des comptes. Or la communication gouvernementale continue de s'appuyer sur ce chiffre, qui agrège l'ensemble des infractions constatées par les services de police et gendarmerie.
Ainsi le 20 janvier 2011, Brice Hortefeux affirmait que «la délinquance a diminué de plus de 2% en 2010. Pour la huitième année consécutive, l'insécurité recule en France.» Non seulement l'usage de ce chiffre est, selon les rapporteurs une «simplification grossière» , mais cette baisse depuis 2002 serait en grande partie expliqué par le «recul spectaculaire» de deux grandes catégories d'infractions, les vols liés à l'automobile et les destructions et dégradations de biens privés (- 378.000 faits au total en zone police entre 2002 et 2009).
Cette évolution est due «principalement à l'amélioration par les constructeurs automobiles des dispositifs techniques de protection contre les vols et les effractions, et au renforcement des dispositifs de protection des espaces publics et privés (parkings, gares, etc.)». Une partie croissante des actes de vandalisme se serait également «traduite non par le dépôt d’une plainte par les victimes, mais par l’enregistrement d’une simple contravention» non comptabilisée dans le chiffre golbal de la délinquance.
Et la Cour remarque que «sur la même période (2002-2009), les atteintes à l'intégrité physique des personnes (AVIP) ont, elles, connu une hausse de 20 %, soit 44.000 faits supplémentaires, due aux violences physiques non crapuleuses telles que les coups et blessures volontaires en augmentation de 51 %, les menaces ou chantages dans d'autres buts que l'extorsion de fonds, les atteintes à la dignité et les violences intrafamiliales».
De plus, le magistrats mettent en doute la «fiabilité» des statistiques  départementales du fait de leur «grande instabilité» d'une année sur l'autre. Ainsi, sur l'année 2009, «les inversions de tendance de grande ampleur, comme dans le Haut-Rhin où une baisse de 12,2 % en 2008, a laissé place à une hausse de 14,6 % l'année suivante», constatées également en Gironde, dans la Manche, le Morbihan, l'Orne, l'Oise, l'Ain, en Ille-et-Vilaine, haute-Corse et Savoie, laissent songeurs. La Cour observe un phénomène inverse dans d'autres départements où une hausse sensible en 2008 laisse place en 2009, à une baisse toute aussi sensible.

  • Une lutte contre les stupéfiants concentrée sur les consommateurs
«Nous avons donc lancé une offensive résolue, contre les grands trafics mais aussi contre le deal de proximité», se réjouissait en janvier 2011 Brice Hortefeux. Bien, mais trop tard, répond en substance la Cour des comptes qui note que, jusqu'en 2010, la lutte contre le trafic de stupéfiants ne figurait parmi les objectifs prioritaires de la direction centrale de la sécurité publique (DCSP) alors qu' il «paraît pourtant acquis de longue date qu'il alimente diverses formes de délinquance, notamment dans les quartiers réputés sensibles.» Entre 2002 et 2009, l'action des policiers et gendarmes a «été orientée principalement vers l'interpellation des consommateurs sans amélioration significative des résultats en matière de revente ou de trafics».
Ainsi, sur cette période, la constatation des infractions à la législation sur les stupéfiants par les services de DSCP a connu une progression de 76 % pour l'usage simple, 30 % pour l'usage avec revente et seulement 8 % pour le trafic.
Selon le rapport, la lutte contre le trafic de stupéfiants joue le rôle de «variable d'ajustement pour rehausser le taux moyen d'élucidation». En effet en matière de consommation de stupéfiant, la constatation de l'infraction est synonyme de l'interpellation des personnes mis en cause, ce qui offre un taux d'élucidation systématique de 100%.
En jouant sur ces infractions relevées par l'action des services (IRAS, qui comprennent aussi les infractions relatives au séjour des étrangers multipliées par 2,4 entre 2002 et 2009), les services ont « tendance, en tant que de besoin, à moins constater d'IRAS pour réduire l'agrégat de délinquance générale ou, au contraire, à en constater plus, pour améliorer le taux d'élucidation.» La politique de lutte contre le trafic de stupéfiant est donc pour, la Cour des comptes, la parfaite illustration d'un «pilotage statistique».
  • Manque de présence sur la voie publique
Policiers municipaux, et non nationaux, à Nice.© DR

Dans un premier temps, suite du vote de la loi d'orientation de la sécurité intérieure du 29 août 2002, dite LOPSI, les effectifs de policiers et gendarmes, ont fortement augmenté, principalement en région parisienne. Mais, du fait de la RGPP, ils décroissent depuis 2009 et, selon les rapporteurs, dès 2011, le nombre des policiers affectés dans les services de sécurité publique sera revenu à son niveau de 2002.
Mais surtout, beaucoup de policiers restent affectés à des tâches administratives ou annexes (escortes de détenus, garde de bâtiments, garde de détenus hospitalisés, etc.), limitant de fait leur présence sur la voie publique. En moyenne, le taux d'occupation de la voie publique (pourcentage de l'effectif de policiers occupés à un moment donné par ce type d'activités) était de 5,5 % en 2009.

«Les effectifs, c'est très important. Mais ce n'est pas tout, affirmait le 3 février à Orléans Nicolas Sarkozy. Et ce n'est d'ailleurs même plus l'essentiel. Avoir beaucoup d'effectif et peu d'équipements, ça ne permet pas une police efficace.» Mais la Cour des comptes montre que le gouvenrement a plutôt cumulé les deux.
Car depuis 2009, la réduction des crédits de fonctionnement se fait sur «les moyens nécessaires à l'activité opérationnelle (matériels de protection et d'intervention), aux enquêtes judiciaires (matériels d'analyse et de détection pour la police technique et scientifique), ou au renouvellement des équipements informatiques et à la maintenance des locaux (...) sans évaluation de l'impact sur les capacités d'intervention des unités.»
Même les achats de fournitures pour la police technique et scientifique (PTS) ont baissé de 4,2 millions d'euros à 3,6 millions d'euros, entre 2008 et 2010 «en contradiction avec la priorité ministérielle affichée en faveur de la PTS», soulignent les rapporteurs.

  • Des disparités territoriales accentuées par la montée des polices municipales
Journées de la police municipale à Nice.© Ville de Nice

La répartition géographique des policiers n'est pas réellement corrélée avec la taille de la population et l'importance de la délinquance constatée. Ainsi malgré un taux de délinquance nettement plus élevé, les villes de Nice et Marseille ont une densité de policiers à peine supérieures à celles de Lille, Toulouse, Rouen, Toulon, Bordeaux, Montpellier, Strasbourg et Lyon. «Ces disparités sont susceptibles de compromettre l'égalité de traitement des citoyens au regard de leur droit à la sécurité», estiment les magistrats.
Ces disparités sont parfois encore accentuées par le recours accru de certaines municipalités à des policiers municipaux, dont plus de la moitié sont concentrés dans quatre régions (Ile-de-France, Rhône-Alpes, Languedoc-Roussillon et Provence-Alpes-Côte d'Azur). Le nombre de policiers municipaux a augmenté de 35% entre 2002 et 2010, passant de 14 .300  à 19.370 agents.
Si on ajoute les 1450 gardes-champêtres, les 5180 agents de surveillance de la voie publique et les 2330 agents de surveillance de Paris, les services de police municipale représentent en effet environ 28.300 agents. Ce qui représente, en zone de police (hors Paris et la petite couronne), 25% des gradés, gardiens de la paix et adjoints de sécurité de la DCSP !  «Cette évolution fait ainsi dépendre du choix des élus locaux les conditions de mise en œuvre des politiques de sécurité de l'Etat», déplore la Cour des comptes.
Lire notre précédente enquête sur la montée des polices municipales en cliquant ici
  • Une vidéosurveillance coûteuse
Le président de la République demandait, en 2009, de tripler le nombre de caméras de vidéosurveillance, de 20.000 à 60.000 sur le territoire. C'est mal parti, car la Cour n'a, elle, compté que 10.000 caméras sur la voie publique en 2010.
Elle s'inquiète du coût du programme, estimant à 300 millions d'euros l'investissement nécessaire (pris en charge à hauteur de 40% par l'Etat), auxquels il faudrait ajouter 300 millions d'euros de dépenses de fonctionnement par an, reposant directement sur le budget des collectivités locales. «Soit l’équivalent de la rémunération d’un tiers (6.500 policiers municipaux) des effectifs actuels des polices municipales», comparent les rapporteurs.
Certes «la vidéosurveillance accroît la rapidité d'intervention des policiers et sécurise leurs conditions d'intervention en
améliorant la précision du renseignement donné aux équipages (description des lieux et des personnes impliquées)
», constatent les rapporteurs.  Mais, en dehors de ces observations partielles,  «la France se caractérise par la quasi-absence d' enquête scientifique sur l'efficacité de la vidéosurveillance», regrettent-ils.
Par ailleurs la Cour s'inquiète d'un certain laxisme du côté de préfets, chargés d'autoriser l'installation de systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique, et de l'absence de contrôle a posteriori des commissions départementales de vidéoprotection. En 2009, par exemple, le préfet des Alpes-Maritimes a signé 35 arrêtés de création ou d'extension de systèmes de vidéosurveillance des espaces publics par des
communes, «quasiment tous établis selon le même modèle» et sans aucun refus, sans se soucier de la qualité des personnes chargées d'exploiter les systèmes ou de visionner les images.
La Cour souligne justement «la faible professionnalisation» de ces agents communaux qui ne sont pour la plupart pas assermentés, et n'ont souvent pas reçu de formation spécifique sur les obligations déontologiques liées à leur fonction.

Là encore, l'implantation est très inégale, la région PACA possédant, par exemple, en zone police «davantage de caméras installées sur la voie publique que les départements de la grande couronne parisienne.» «Le recours croissant à la vidéosuveillance de la voie publique ne peut se substituer à l'action des forces de sécurité étatique», conclue la Cour .

 Par Louise Fessard


http://www.mediapart.fr/journal/france/070711/la-cour-des-comptes-etrille-la-politique-securitaire-de-sarkozy

photo : http://www.flickr.com/photos/londonstreetart2/3111370769/

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