dimanche 23 octobre 2011

« Caves, parkings, bidonvilles : 200 000 personnes vivent dans des conditions misérables »


entretien avec Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre

En France, 200 000 personnes vivent dans des logements de fortune et 600 000 dans un habitat très dégradé. Christophe Robert, délégué général adjoint de la Fondation Abbé Pierre, dresse un bilan du très mal logement et de ses conséquences.

Concrètement, qu’est-ce que la misère du logement en 2011 ?

Quand on parle du plus mal logement, tout le monde a en tête l’image du clochard, du SDF qui vit sous les ponts. Bien sûr, si l’on se place sur longue période et que l’on regarde les choses globalement, les logements sont en moyenne plus confortables aujourd’hui qu’hier. Mais cela n’empêche que l’on constate un élargissement de cette catégorie de formes exacerbées de mal ou de non logement. Une partie de la population vit dans des caves, des parkings ou des campings dans des situations misérables alors que nous sommes l’un des pays les plus riches au monde. Souvent il s’agit de gens qui ont perdu leur emploi et qui ont dégringolé. Leur nombre s’accroît avec la crise et la flambée des prix du logement. Ceux qui en arrivent là n’ont plus aucun recours, ils sont exclus du marché traditionnel du logement. Enfin, il y a le retour de formes de bidonvilles, souvent le fait de migrants chassés de leur pays, pour qui c’est l’ultime solution. Ils se forment autour des grandes villes comme Paris, Lyon et Marseille, mais aussi de villes de plus petite taille comme Saint-Etienne.

Combien sont-ils ?


Ces situations sont difficilement mesurables. A la Fondation Abbé Pierre, on connaît bien ce qui se passe au niveau local, par exemple le développement de cabanes au bord de mer dans le Languedoc. Au niveau national, avant la crise, on estimait à environ 100 000 le nombre de sans domicile fixe et 80 000 ceux qui vivent dans un habitat de fortune. On est très certainement au-delà. Enfin, je dirais qu’entre 15 et 20 000 personnes habitent dans des bidonvilles qui comptent parfois entre 300 et 500 personnes. Bref, autour de 200 000 personnes vivent dans des situations misérables.

C’est sans compter le mal logement dans l’immobilier ancien

Ce phénomène est plus connu, mais on a toujours une partie de la population qui, faute de moyens ou d’avoir accès au logement social, a recours à un habitat privé très dégradé, insalubre. On a des problèmes de surpeuplement, de chauffage, d’humidité, de peintures au plomb… Dans certains logements, la situation est vraiment catastrophique, c’est le quart-monde. Rien n’est entretenu et ils se dégradent progressivement. Les loueurs sont des marchands de sommeil qui s’enrichissent sur la misère. Un rapport de l’Agence nationale de l’habitat chiffre entre 600 000 et un million de personnes vivant dans ces conditions.

Quelles sont les conséquences pour ceux qui vivent ainsi ?

On sait que l’espérance de vie des sans domicile fixe est d’environ 50 ans. Le mal logement a des répercussions directes sur la santé des personnes en général, pas seulement pour ceux qui n’ont pas de toit. On connaît le phénomène de saturnisme lié aux peintures au plomb, de maladies qui étaient oubliées, comme la tuberculose. La mauvaise ventilation entraîne des problèmes respiratoires par exemple, on trouve des enfants qui vivent quasiment en permanence avec une bronchite ou qui ont des difficultés du sommeil dues au surpeuplement. L’impact est très fort. Et je ne vous parle pas de la situation de ceux qui vivent dans les bois, les cabanes, là c’est multiplié par dix !

Le mal logement se répercute aussi sur l’éducation et alimente l’échec scolaire. Comment étudier dans ces conditions ? Les chances sont loin d’être égales : alors que certains ont une chambre et un bureau personnel avec un accès à Internet, d’autres doivent faire leurs devoirs dans la rue ou la cage d’escalier. Comment voulez-vous qu’ils réussissent aussi bien ?

Il y a bien d’autres conséquences. Comment vit-on quand on ne peut pas inviter d’amis chez soi parce qu’on a honte ? Qu’on ne peut pas fêter l’anniversaire des enfants avec les copains d’école parce qu’on habite dans une cave ? Le mal logement est une forme d’enfermement social. Pour les couples, comment fait-on alors que l’on n’a aucune intimité, qu’on doit dormir en permanence avec ses enfants ? On sait aussi que certains couples sont contraints à se maintenir dans le même logement faute d’avoir les moyens de se confronter au marché et d’être en mesure de se payer deux habitations.

Que peut-on faire ?

Il me semble qu’il faut distinguer plusieurs niveaux. On dépense environ 34 milliards d’euros chaque année pour le logement en France. Si déjà on utilisait bien l’argent disponible, la situation s’améliorerait nettement. On a des niches fiscales qui ne servent qu’à réduire l’impôt des plus riches. Il faut investir dans le logement social de façon accrue. Le plan national de rénovation urbaine de Jean-Louis Borloo a permis une amélioration, mais il doit faire l’objet d’un second volet. Nous estimons qu’il faut arriver à 150 000 logements sociaux par an. En créant plus de logements de ce type, on permet à ceux qui vivent dans les conditions les plus délicates de se loger. Il y a un chantier spécifique d’amélioration de l’habitat privé très dégradé. Que constate-t-on ? Pour l’an prochain, le budget de l’Agence nationale en charge de cette question, l’Anah, est en baisse ! Enfin, au-delà des questions de financements publics, il me semble qu’il faut arrêter de croire que le marché peut se réguler tout seul. On a besoin d’un certain contrôle des loyers.

Propos recueillis par Louis Maurin.

Pour en savoir plus :
Rapport mal-logement 2011, Fondation Abbé Pierre.

- Une enquête sur le mal-logement en France "A l’abri de rien", réalisée par Samuel Bollendorff et Mehdi Ahoudig, produit par BDDP Unlimited, avec la Fondation Abbé Pierre.

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La pauvreté en France

La France compte entre 4,5 et 8,2 millions de pauvres selon la définition adoptée... Depuis 2002, la pauvreté augmente.

L’état des lieux :


La France comptait 4,5 millions de pauvres en 2009 si l’on fixe le seuil de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian et 8,2 millions de pauvres en 2009 si l’on utilise le seuil de 60 % du niveau de vie médian (voir notre définition ci-dessous). Dans le premier cas, le taux de pauvreté est de 7,5 %, dans le second de 13,5 %. En 2009, le seuil de pauvreté situé à 60 % du revenu médian, pour une personne seule, est de 954 euros mensuels, celui à 50 % de 795 euros.

La tendance :

La pauvreté a baissé des années 1970 au milieu des années 1990. Elle est ensuite restée plutôt stable jusqu’au début des années 2000. Depuis 2002, le nombre de personnes pauvres au seuil de 50 % a augmenté de 760 000 (+ 20 %) et le nombre au seuil de 60 % a progressé de 678 000 (+ 9 %). Les taux sont passés respectivement de 6,5 à 7,5 % et de 12,9 à 13,5 %.

Il ne s’agit pas d’une "explosion", et la France demeure l’un des pays qui compte le moins de pauvres en Europe (lire notre article). Mais le mouvement de hausse est désormais très net. Il constitue un tournant historique depuis les années 1960. La stagnation de l’activité économique depuis 2009 laisse penser que la situation ne s’est pas améliorée.



Evolution du taux de pauvreté en France
Unité : %
Seuil à 40%Seuil à 50%Seuil à 60%
1970-13,519,1
1975-11,517,7
1979-9,315,1
1984-8,714,4
1990-7,414,7
19964,48,114,5
19974,17,814,2
19983,37,513,8
19993,17,213,5
20003,27,213,6
20013,16,913,4
20022,86,512,9
20032,87,013
20042,96,612,6
20053,27,213,1
20063,17,013,1
20073,17,213,4
20083,27,113,0
2009nc7,513,5
Seuil de pauvreté à 40% : aucune donnée disponible pour les années 1970 à 1990 et 2008.
Source : Insee, personnes vivant en métropole, hors étudiants.

Evolution du nombre de personnes pauvres
Unité : milliers
Seuil à 40%Seuil à 50%Seuil à 60%
1970-6 5009 187
1975-5 8369 020
1979-4 8987 918
1984-4 6677 685
1990-4 2148 337
19962 4774 5508 179
19972 3474 4338 042
19981 9194 2577 873
19991 7394 1097 745
20001 8334 1657 838
20011 7523 9847 757
20021 6243 7467 495
20031 6974 0787 578
20041 7263 8967 382
20051 9174 2707 766
20061 8674 1887 828
20071 8554 2818 035
2008nc4 2727 836
2009nc4 5078 173
Seuil de pauvreté à 40% : données non disponibles de 1970 à 1990.
Source : Insee, personnes vivant en métropole, hors étudiants.

La définition de la pauvreté :

Un individu est considéré comme pauvre quand son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. Ce seuil habituellement utilisé était de 50 % du niveau de vie médian en France, tandis qu’Eurostat (organisme européen) privilégie le seuil à 60 % qui est désormais le plus fréquemment publié. Le niveau de vie médian coupe la population en deux : autant gagne moins, autant gagne davantage.

Définir la pauvreté est toujours une construction statistique. L’écart entre les seuils de 50 et 60 % le montre bien : le taux de pauvreté va presque du simple au double selon que l’on utilise la première ou la seconde définition.

Pour en savoir plus :
-Les données de l’Insee (lire en ligne).
-Les seuils de pauvreté en France
-Huit millions de pauvres, un chiffre exagéré, Louis Maurin, Observatoire des inégalités.

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