samedi 22 octobre 2011

La mort sanglante de Kadhafi: une tache de sang sur l'engagement de BHL en Libye


LA MORT SANGLANTE DE KADHAFI :

UNE TACHE DE SANG SUR L’ENGAGEMENT DE BHL EN LIBYE

Kadhafi, certes, était un tyran d’une rare cruauté, un de ces dictateurs psychopathes, doublé d’un égo hypertrophié, comme seule l’effroyable histoire politique de la folie humaine sait les cracher, hélas, de son abominable gueule : une sorte de Néron des temps modernes, qui, à l’instar de cet empereur incendiant jadis Rome, était prêt à mettre la Libye à feu et à sang pour conserver, face à la révolte populaire, son pouvoir.


C’est d’ailleurs pour cette très juste raison - éviter un massacre à Benghazi, fief de la dissidence - que l’ONU vota, à l’aube de la révolution libyenne, une résolution autorisant l’OTAN à plaquer au sol, en instaurant une zone de sécurité dans les airs, les bombardiers de ce fou furieux. Dont acte !

Mais voilà : l’OTAN, comme souvent, dépassa largement, en la circonstance, son mandat puisque, loin de se contenter de rendre inopérantes l’aviation comme l’armée de Kadhafi, elle lui fit ouvertement la guerre, sous couvert de cette fameuse résolution 1973, aux côtés du CNT. Et ce, jusqu’à cette fatidique date du 20 octobre 2011 puisque c’est encore l’OTAN elle-même qui, en stoppant à coups de bombes le convoi de Kadhafi sur la route de Syrte, le livra ainsi, de fait, à la terrible et sauvage vindicte des insurgés : un lynchage d’une violence inouïe, jusqu’à ce que mort s’ensuive, indigne, dans son hystérie collective comme dans sa folie meurtrière, de tout principe démocratique et, a fortiori, de toute valeur humaine.

Oui : la barbarie à visage libyen, en l’occurrence, bien loin de cette prétendue démocratie que BHL ne cesse de nous vendre, à grands renforts de médias, à travers ses amis du CNT !

Certes, les membres de cette énigmatique nébuleuse du Conseil National de Transition ne sont-ils pas tous assimilables, loin de là, à ces dangereux fanatiques que l’on vient de voir s’acharner sans pitié, telles des bêtes autour d’une proie, sur le corps ensanglanté de Kadhafi. Mais enfin : ces images pour le moins choquantes s’avèrent-elles tout de même inquiétantes, sans aller jusqu’à dire qu’elles ne laissent présager rien de bon quant à la nature de cette révolution, pour toute conscience humaine.

Davantage : comment penser sans quelque effroi à ces rebelles - les soldats du CNT - tuant sans états d’âme et égorgeant à tours de bras, en hurlant de continus et insanes « Allah Akbar ! » ainsi que nous l’on montré quantité de reportages télévisés, leurs ennemis ?

Quant à l’actuel président de l’organe législatif de ce même CNT, Moustafa Abdel Jalil, qui fut aussi l’ancien et redoutable Ministre de la Justice de Kadhafi en personne (et, comme tel, celui-là même qui condamna par deux fois à la peine de mort, après un procès monté de toutes pièces, les infirmières bulgares), n’est-ce pas encore lui qui déclarait, il y a quelques jours à peine, que c’est la charia – l’obscurantiste loi coranique – qui prévaudrait désormais, comme en tout pays islamiste, en Libye ?

Ainsi BHL ne se rend-il donc pas compte, en cette sorte de terrorisme intellectuel qui lui vaut désormais de viatique idéologique, que celui qu’il encense aujourd’hui en Libye, jusqu’à l’emmener sous les ors de la République Française, ne tient en fait là que le même discours, religieux et rétrograde, contraire à cette laïcité sans laquelle il n’est point de véritable démocratie, que ceux qu’il vilipende à juste titre, en République Islamique d’Iran, lorsqu’ils condamnent à la lapidation, pour un simple adultère, la pauvre Sakineh ?

Cet aveuglement typique d’une certaine intelligentsia française n’est, du reste, pas nouveau, hélas pour le pays des Lumières ! Car, pour ne s’en tenir qu’à cette étrange et incompréhensible fascination que les ayatollahs les plus intégristes exercèrent parfois sur les intellectuels germanopratins, comment ne pas se souvenir, avec stupeur là aussi, de ces articles dithyrambiques que le grand Michel Foucault, alors adversaire résolu du Chah d’Iran, publia en 1978, dans les colonnes du très respectable journal « Le Monde », à la gloire de Khomeiny, qu’il y avait en outre l’impudence de qualifier, parmi d’autres énormités du même acabit, de « saint homme exilé à Paris » (Khomeiny était alors sous la protection, hébergé dans un élégant pavillon de la banlieue parisienne, du président Valéry Giscard d’Estaing) ?

Et le non moins immense Sartre, qui multiplia lui aussi, en ces années-là, les tribunes pour soutenir publiquement celui qui allait ainsi bientôt devenir, nanti de l’autorité morale de certains de nos plus insignes philosophes, le « guide spirituel », en 1979, de la Révolution Islamique ? Quant à sa chère Simone de Beauvoir, auteure de l’historique « Deuxième Sexe », c’est avec consternation que les plus lucides des féministes de ce temps-là la verront faire carrément le voyage, toujours pour y aller soutenir cet affreux phallocrate de Khomeiny, de Téhéran !

Certes, de ces grands penseurs que furent Sartre et Foucault, malgré ces incontestables dérives, BHL n’en a-t-il, par-delà ses impostures idéologiques, que la posture médiatique. Mais enfin : les dégâts n’en sont pas, pour autant, moins importants.

Car, chose plus grave encore pour l’avenir de l’insurrection libyenne, c’est un suppôt d’Al Qaeda, Abdelhakim Belhaj, naguère arrêté par la CIA avant que d’être livré à feu Kadhafi en 2004, qui se retrouve aujourd’hui le tout puissant gouverneur de Tripoli, capitale de la Libye, après y être entré au prix de féroces combats, y multipliant exactions et exécutions sommaires, avec une horde de soldats assoiffés de sang tout autant que de vengeance.

Bel exemple de démocratie, que celui-ci, Monsieur Bernard-Henri Lévy !

Reste très sincèrement à espérer en de telles conditions - et la vigilance intellectuelle est là plus que jamais de mise - qu’à la dictature politique de Mouammar Kadhafi ne succèdera donc pas la dictature religieuse, peut-être pire encore, de Moustafa Abdel Jalil et autre Mahmoud Jibril, son Premier Ministre.

Un Jibril qui, pour corser l’affaire, ne trouva rien de mieux, afin de justifier l’injustifiable crime qui vient d’être perpétré à l’encontre de Kadhafi, que de nous sortir un autre de ces mensonges éhontés : le despote aurait été tué lors d’un échange de tirs, selon lui, alors que toutes les images diffusées en boucle sur les écrans du monde entier démontrent, à l’évidence, que c’est une bande d’enragés aux ordres du CNT qui l’a, en vérité, froidement assassiné, après l’avoir battu quasiment à mort, d’une balle dans la tempe gauche.

Oui, quoi que prétende l’inénarrable et très culotté BHL : un énième crime, là, contre l’humanité, sur lequel il n’est pas jusqu’au très prestigieux « Haut-Commissariat pour les Droits de l’Homme », la plus noble et impartiale des instances morales et juridiques de l’ONU, qui ne veuille, très justement, enquêter à présent.

Car cette tête sanguinolente de Kadhafi, pour monstrueux que celui-ci fut à l’apogée de son épouvantable règne, c’est également, désormais, une indélébile tache de sang sur la Libye supposée démocratique du CNT et, partant, comme une énorme éclaboussure sur l’engagement, en ce dossier, de BHL lui-même.

Autant dire que cette révolution s’avère ainsi, pour les vrais démocrates, irrémédiablement souillée, et la fête, pour autant que celle-ci ne se révèle certes pas incongrue en d’aussi tragiques événements sur le plan humain, définitivement gâchée.

De cela, aussi, BHL, être certes intelligent, devra rendre un jour compte, lorsque les projecteurs se seront éteints et que la raison aura alors retrouvé ses lumières, devant l’Histoire !

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

* Philosophe, auteur de « Grandeur et misère des intellectuels – Histoire critique de l’intelligentsia du XXe siècle » (Editions du Rocher) et « Critique de la déraison pure – La faillite intellectuelle des ‘nouveaux philosophes’ et de leurs épigones » (François Bourin Editeur).

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