lundi 24 octobre 2011

Scènes de la vie clandestine



Traversées périlleuses de forêts en friche, abandon précipité d'un refuge monté façon système D, jeux de regards froids fixant des passés et des horizons invisibles... À travers des mises en scène photographiées à la chambre, Laura Henno met en lumière l'envers des décors de l'immigration clandestine.


© Laura Henno

Laura Henno photographie le passage, la traversée des entre-deux géographiques et culturels. Marquée par les immigrés qu'elle voyait marcher le long des routes de Dunkerque, la jeune photographe, primée à Arles en 2007, s'est «focalisée sur le corps comme signifiant du politique». Par ses reconstitutions des marches clandestines, Laura Henno convoque passé et présent: l'histoire coloniale de l'île de la Réunion avec les Nègres marrons (symboles de résistance à l'oppression) et les politiques migratoires actuelles (Mayotte, Calais, Rome...). Fuite, abandon, épuisement et espoir: les têtes sont baissées, les corps rampent sur le sol, s'entraident, se frôlent, s'entrechoquent ou se cachent dans des recoins de forêt. Et si les marches se font en groupe, la solitude et le silence règnent.

Laura Henno met en scène l'immigration clandestine par Mediapart

Cliquez sur la vidéo ci-dessus pour visionner l'entretien avec Laura Henno





Des mises en scène fictionnelles, ancrées dans le réel

© Laura Henno


Lumière crue, contre-jour et clair-obscur. Au carrefour de l'esthétique documentaire, picturale et cinématographique, les photos de Laura Henno refusent le recours aux artifices (à part l'usage de la fumée). Le cadrage frontal est minimaliste. L'artiste collabore avec des migrants comoriens et mahorais devenus – le temps du projet – acteurs de leur quotidien. Elle les a rencontrés lors de sa résidence au Frac de la Réunion, leur relation est«fragile, elle tient à un fil qui peut se rompre à tout moment et c'est ce qui fait l'intérêt de ce travail avec eux. Il me fallait être en alerte permanente, lever les doutes, convaincre à nouveau, insister, attendre...». Exit les décors en studio, les retouches post-production ou les poses millimétrées façon Jeff Wall, Erwin Olaf ou Philip Lorca diCorcia dont elle observait le travail lorsqu'elle était au Fresnoy. Les prises de vue se font lors de scènes en mouvement, laissant une place importante à l'aléa. «Je leur fais faire une action et moi je sais à quel moment je prends ma photo.»




Laura Henno© Laura Henno

La confrontation du corps à une réalité sociale et au paysage, on la retrouve dans ses photographies sur l'adolescence, interlude parfois difficile entre l'enfance et l'âge adulte. Laura Henno photographie des proches, des jeunes rencontrés dans la rue façon «casting sauvage» ou des patients d'un centre médico-psychologique. Obésité, anorexie et autres angoisses liées à la représentation du corps... Laura Henno les enveloppe dans des paysages devenus contrechamps lumineux et parfois flous, souvent intrigants. Quant aux hors-champ que fixent les modèles, la photographe les fait parfois passer au premier plan avec ses photos de paysages aux allures hostiles. Alors les tirages grand format intègrent le spectateur dans son œuvre, l'obligeant à faire face à ces espaces énigmatiques.

Laura Henno a un projet de film poursuivant son travail de fiction sur les migrations clandestines, en collaboration avec ces jeunes qu'elle rencontre depuis deux ans. Comme Mohamed Bourouissa,Guillaume Bresson, Marie Bovo ou Bruno Serralongue (qui a notamment photographié la jungle de Calais), Laura Henno inscrit son travail dans la réalité sociale la plus crue, en témoignent les récents événements qui secouent Mayotte.

Laura Henno expose jusqu'au 6 novembre au Centre photographique d'Ile-de-France, 107, avenue de la République − 77340 Pontault-Combault − www.cpif.net

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