jeudi 20 octobre 2011

Libérez Wael !


Égypte : Wael Aly, symbole de la révolution confisquée
Souvenez-vous ! En janvier dernier, un vent de liberté venu de Tunisie avait soufflé sur l'Egypte. Des dizaines de milliers d'Égyptiens avaient envahis la Place Tahrir au Caire, bientôt rejoints par des centaines de milliers de personnes pour former une multitude de plus d'un million de manifestants. Comme une trainée de poudre, la révolte populaire avait pris dans les principales villes du pays, d'Alexandrie à Assouan, en passant par Suez et les villes de Haute Egypte comme Assiout et Al Minia. Son mot d'ordre « chaab yourid askat el nidham » (Le peuple veut la chute du régime) était sans appel !
Très vite, l'armée avait pris position dans les rues du Caire, s'interposant entre les manifestants de la place Tahrir et les hordes de contre-révolutionnaires diligentées par le régime, notamment durant les journées d'affrontement de début février qui firent leur lot de « martyrs de la révolution » tombés au champ d'honneur. Le sang avait coulé, marquant un point de non-retour qui précipita la chute du « raïs el makhlou3 » Moubarak. Le 11 février au soir, le Conseil suprême des forces armées (SCAF) annonçait la destitution du dictateur, déclenchant une liesse populaire inimaginable.

Les Égyptiens vivaient un rêve éveillé. Tout devenait possible : l'armée était à leurs côtés et avait refusé de tirer sur la foule ; un nouveau gouvernement avait été nommé et la coalition des révolutionnaires invités à la table d'Essam Sharaf, le Premier ministre, pour bâtir les fondements de la nouvelle Égypte, une Égypte « démocratique », disaient-ils.

Mais très vite, les lendemains ont déchanté. Les pourparlers au sommet avaient accouché d'une souris : pas de nouvelle constitution mais seulement des amendements soumis dans la précipitation à un référendum populaire le 19 mars. Les dés étaient pipés car l'ouverture contrôlée du champ politique a permis en effet à la principale force politique du pays, les Frères Musulmans nouvellement constitués en Parti pour la Justice et la Liberté, de rafler la mise électorale. Et ainsi d'étouffer les aspirations du pôle révolutionnaire par le contrôle de la société qu'ils quadrillent depuis des décennies à travers différents relais culturels et caritatifs.

Mais malgré le désenchantement provoqué par le « Oui » au lifting de la constitution et au calendrier électoral proposé, la contestation populaire n'était pas pour autant retombée. Les irréductibles de la place Tahrir continuaient, vaille que vaille et chaque vendredi de ce printemps arabe, à marteler leur légitimes revendications : justice pour les familles de martyrs, une nouvelle constitution suivie d'un calendrier électoral permettant aux partis démocrates de se constituer librement. Et finalement, un gouvernement civil avec le retour des militaires dans les casernes !

Une revendication de trop, au regard du SCAF qui s'était affublé du rôle de « garant de la révolution ». Un comble, car en Égypte comme dans tous les pays tenu d'une main de maitre par des militaires, l'armée a toujours été le garant du régime en place !

Les occupants de la place Tahrir le réalisèrent très vite. D'abord, le 9 mars, quand l'armée tenta une première fois, aidée de contre-révolutionnaires trop rapidement désignés comme « baltaguiya » (voyous) de nettoyer la place. L'opération s'était soldée par des dizaines de blessés, des dizaines de militants arrêtés et déférés illico presto devant le tribunal militaire ! Ensuite, durant la nuit du 9 avril , au lendemain de la manifestation monstre du 8 avril durant laquelle plus d'un million de contestataires avaient à nouveau envahi la place Tahrir. Cette journée, durant laquelle le président déchu Moubarak avait été jugé symboliquement par un tribunal populaire, devait au regard du SCAF, marquer la fin de la contestation populaire. Mais un événement inattendu avait perturbé le plan savamment concocté avec la complicité des Frères musulmans qui avaient pris le contrôle de la place. La foule avait été rejointe par un bataillon de militaires venus de Suez, et en début d'après midi, des officiers avaient été hissés sur la tribune principale, déclenchant une véritable euphorie générale. La ligne rouge avait été franchie et la réaction ne s'est pas faite attendre. Cette fois, l'armée avait opéré brutalement.

Dans la nuit du 9 avril, peu après 3 heures du matin, la police militaire et des forces spéciales sont intervenues pour évacuer la place, encerclant les centaines de manifestants et semant la terreur à coup de salves de mitraillettes tirées en l'air et de coups portés à l'aide de matraques électriques. La place Tahrir devint soudain le théâtre de scènes de violence urbaines d'une rare intensité: tirs de sommation nourris, voitures incendiées, jets de pierres contre les militaires, et même un « gradé » agressé par la foule en colère. Objectif principal : se saisir de ce groupe d'officiers qui, grisé par la liesse populaire, s'étaient trop rapidement qualifiés de « libres ». Bilan de cette nuit bleue : 19 civils et 2 « officiers libres » tués, des dizaines de blessés... Le tout aussitôt camouflé. Au matin, la place était rendue à la circulation, totalement nettoyée !

Comme pour masquer son crime -mais aussi pour terroriser les contestataires- le SCAF a lancé un mandat d'arrêt contre Wael Aly Ahmed Aly, un activiste pacifique de la place Tahrir -plus connu sous le nom de Wael Abouleil. Présenté comme contre-révolutionnaire à la solde d'Ibrahim Kamel, un homme d'affaires lié au clan Moubarak, Wael est accusé d'avoir poussé la population à la révolte contre l'armée et d'avoir ainsi provoqué la mort des civils cette fameuse nuit du 9 avril. Une accusation forgée de toutes pièces et sans aucun fondement.

En réalité, Wael Abouleil est le prototype du nouveau révolutionnaire du monde arabe. Issu de la classe moyenne menacée par la misère, ce self manager au niveau d'études supérieure est un indépendant, sans aucune ambition politique. Son caractère jovial et sa patience à toute épreuve avaient très vite attiré la sympathie de tous ces jeunes des classes populaires en mal de repères. En démocrate horizontaliste, il savait les écouter et répondre à leurs demandes tout en les incitant à réfléchir pour donner un sens à leurs actions. Sans oublier sa capacité d'organisation logistique due à son expérience dans le secteur touristique.

Pas étonnant donc qu'il soit devenu la cible du SCAF décidé à reprendre par tous les moyens le contrôle de la rue. Arrêté le 13 avril juste après une conférence de presse où il annonçait sa reddition, Wael a été jugé une première fois et acquitté le 11 mai par le tribunal militaire. Mais son calvaire continue : ses co-accusés ont été libérés mais lui a été maintenu en détention puis inculpé une nouvelle fois dans le cadre d'une procédure criminelle fabriquée de toutes pièces à l'aide de faux témoignages et de rapports accablants ficelés par... la police politique ! Un complot en bonne et due forme digne de l'époque stalinienne destiné à tuer dans l'œuf toute contestation du régime militaire. Le procès de Wael Abouleil commencera le 24 octobre prochain devant la chambre criminelle du Caire. Il risque une lourde peine de prison voire pire, car Adel Esam Gom'a, juge habituellement désigné pour les procès politiques, dirigera la Cour... Et sa réputation de « tueur » ne laisse rien augurer de bon quant à l'issue du procès !

Dans un tel contexte, la défense de Wael est un enjeu de taille pour tous les prisonniers politiques qui croupissent dans les geôles égyptiennes (actuellement 12 000 !). Son cas doit devenir exemplaire pour le combat des droits humains et des libertés démocratiques en Egypte, mais aussi dans tous le monde arabe où des milliers de Wael se sont soulevés pour qu'un autre monde soit possible. Seule une vague de solidarité transnationale peut conduire les geôliers à remettre Wael purement et simplement en liberté.

Signez la pétition !


*Wael Abouleil, militant égyptien du mouvement démocratique indépendant de la Place Tahrir, est emprisonné depuis le 13 avril 2011 sur la base d'accusations montées de toutes pièces. Il attend d'être jugé le 24 octobre prochain. Il risque une condamnation très lourde. Ce combattant pacifique de la liberté doit être lavé de toutes les accusations portées contre lui et être purement et simplement remis en liberté.

Rabha Attaf رابحة عطاف
Fausto Giudice فاوستو جيوديشي

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