samedi 29 octobre 2011

«  Le AAA, on s’en fout  !  »



L’économiste Jacques Généreux défend une réforme du statut des banques centrales nationales pour financer les États et sortir de la crise.

Va-t-on vers un nouvel échec pour régler la crise de la dette dans les pays de la zone euro ? Après la Grèce, c’est au tour de l’Italie et de la France d’être mises sous surveillance par les agences de notation. Les pays européens ont pris des mesures de sortie de crise. Le tabou de la restructuration de la dette d’un pays en difficulté est ainsi tombé : les banques devront tirer un trait sur au moins 50 % de la dette grecque. Un plan de recapitalisation des banques de plus de 100 milliards d’euros a été annoncé lors de la réunion des ministres européens des Finances, le 23 octobre.


Mais au lieu de prêter directement aux États, l’Allemagne et la Commission européenne, au nom des traités européens, proposent que le Fonds de soutien de la zone euro (FESF) reste l’instrument financier indispensable pour enrayer la contagion de la crise. Ce fonds devra garantir une partie des titres de dette qu’achèteront les marchés financiers, lesquels continueront de fixer les taux d’intérêt en s’appuyant sur les agences de notation. Rien ne les empêche de spéculer sur le défaut éventuel de l’Italie ou de l’Espagne. Autre mesure : des modifications du traité de Lisbonne sont prévues, mais pour renforcer l’austérité budgétaire.

L’enchaînement des sommets européens autour de la crise de la dette se déroule sur fond de pression des marchés financiers. Les dirigeants européens se donnent-ils les moyens de changer ?

Jacques Généreux : Quand on voit la réaction de François Baroin, ministre des Finances, après l’annonce de la mise sous surveillance de la France par Moody’s, on est affligés. Il s’est précipité devant les médias pour dire qu’il fera tout pour garder le triple A. Il laisse clairement entendre qu’il faut plus d’austérité. Il ne renoncera à aucune catastrophe pour la population, ni à aucun sacrifice pourvu qu’on respecte le jugement d’une agence de notation.

Le gouvernement français est pâle et tremblant devant quelques personnes réunies dans un bureau qui n’ont aucun pouvoir. C’est hallucinant de la part de la cinquième puissance économique mondiale, membre de l’Union européenne. Et il n’y a pas eu de la part du principal parti d’opposition à la droite une réaction vive et immédiate pour dire que la note des agences de notation, on s’en fout !

Or n’importe quel gouvernement progressiste peut se financer autrement qu’en passant par les marchés financiers. Mais les socialistes ne peuvent pas le dire puisqu’ils sont d’accord avec la droite sur le fait qu’il y a trop de dette et qu’il faut une forme d’austérité. Ils admettent que le financement des biens publics est dépendant des marchés financiers.

Les États peuvent-ils se passer des marchés financiers ?
Nous n’avons pas besoin des marchés financiers pour financer les biens publics. Mais on y a été contraints parce que l’on a renoncé à la participation de la Banque centrale européenne (BCE) au financement des dettes publiques. Au niveau européen, on a aussi décidé d’ouvrir les marchés de capitaux nationaux et européens à l’ensemble du marché mondial des capitaux, ce qui nous a rendus dépendants des conditions du marché mondial.

Il y a un moyen très simple de sortir de cette situation : on peut procéder à une réforme de notre banque centrale nationale pour l’autoriser à financer directement de la dette publique, c’est-à-dire prêter à taux zéro. On peut économiser là près de 50 milliards d’euros par an, ce qui correspond aux intérêts sur la dette publique française.

Sans se faire taper sur les doigts par la Commission européenne ?

On pourra toujours se faire taper sur les doigts, mais de manière symbolique. Évidemment, autoriser la Banque de France à financer la dette publique est interdit par les traités européens. Et on ne peut pas donner à des banques publiques des prérogatives que n’auraient pas d’autres banques, ce serait une entrave à la libre concurrence.

Il est de la responsabilité des gouvernements de désobéir à ces dispositions qui nous enferment dans la spirale infernale de la crise de la dette. Si on ne fait pas cela, on n’aura aucun moyen d’éviter les crises financières. On sait très bien que sur la question de la réforme de la BCE, il n’y aura pas d’accord. Il y a un veto allemand sur l’idée que la BCE pourrait devenir le banquier direct des États.

Comment la Grèce peut-elle sortir de cette crise ?

N’importe quel pays peut se sortir en quelques semaines de ce bourbier épouvantable. Le Premier ministre grec, Georges Papandréou, peut reprendre le contrôle de sa banque centrale par la loi, sans sortir du système européen et de la BCE. La Grèce peut présenter une réforme du statut de sa banque centrale et lui accorder l’autorisation de prêter directement à l’État.

Les traités européens ne seront pas respectés, mais il n’y a aucune autorité européenne qui interdira au Parlement grec de voter une telle loi. Les traités européens ont prévu des conditions pour entrer dans la zone euro, mais aucune pour y rester. Les agences de notation pourront toujours mettre un triple zéro à la Grèce ou à la France, cela n’aura pas d’incidence puisque les États pourront se financer eux-mêmes.

Rappelons que cela a été pratiqué par tous les pays européens jusque dans les années 1970. À cette époque, on n’avait pas de souci avec les marchés financiers ni avec les spéculateurs. De plus, il existait un contrôle des changes et des capitaux. Donc, on sait faire, et cela a marché. Il n’y a pas d’autres moyens de sortir de cette crise des dettes publiques. Mais on a beau l’expliquer, le démontrer, le rappeler depuis trois ans, on applique les méthodes inverses, c’est-à-dire moins de croissance, de la récession et de l’austérité.

Les spéculateurs les plus cyniques sur les marchés financiers savent très bien que la méthode qu’on emploie n’est pas de nature à garantir le remboursement de leurs créances. Cela veut dire qu’ils se préparent à une restructuration des dettes publiques. On les voit spéculer de plus belle en faveur de la dégradation de la dette grecque parce qu’ils ont pris tellement de contrats d’assurance sur cette dette qu’ils ont intérêt à ce que la Grèce soit en défaut de paiement.

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