dimanche 23 octobre 2011

Occupez 'World Street', la rue du monde

« … si l’ennemi gagne, même les morts ne seront pas en sécurité 
Et cet ennemi n’a pas cessé de gagner. » 
Walter Benjamin, Thèses sur le concept d’histoire

« L’Internationale des IndignéEs » commande. Le flambeau est passé de la Place Tahrir au Caire ( Printemps Arabe), à la Puerta del Sol de Madrid (Printemps Espagnol), à Liberty Square à New York (Occupy Wall Street) et depuis samedi dernier à World Street- 951 villes dans 82 pays.

Tous les âges, toutes les classes sociales, mais en majorité des jeunes –hommes et femmes- courageux, qui dénoncent la chute arrogante de grandes parties du monde dans un abîme géopolitique traversé par une crise sociale, financière, monétaire, politique et stratégique sans précédents.


Place Tahrir

Puerta del Sol


World Street - 951 villes, 82 pays

Rien n’est plus naturel que la mondialisation du « nous sommes les 99 % », vu que le mouvement dénonce en particulier les ravages causés dans le monde entier par le mythe de la mondialisation néolibérale, tel qu'il est mis en oeuvre par ce dieu courroucé, Le Marché. Et cependant les 1 % – et leur grands médias complices – ne le comprennent pas encore (ou s’en moquent) et essaieront d’écraser toute action pour remédier à l’échec total du néolibéralisme.

Les 1 % n’arrivent pas à comprendre la colère d’une génération « sans avenir », ou la colère de ceux qui ont joué le jeu et ont fini sans rien, la colère collective de tous ceux qui ne peuvent plus avoir confiance dans les institutions politiques et financières qui ont échoué.

Et cela va empirer. Les banques ne prêtent ni ne relancent l’économie, principalement parce qu’aux USA, seuls quatre géants - Goldman Sachs, JP Morgan Chase, Citigroup et Bank of America - détiennent maintenant 95 % des produits financiers dérivés usaméricains, un exorbitant cauchemar de 600 000 milliards de dollars sur le point de survenir. Les produits dérivés ont été décisifs dans la démolition de l’économie mondiale- avec toutes leurs conséquences sociales tragiques-, et cela pourrait recommencer.

Pendant ce temps, le 1 % est sur le point d’attaquer violemment les droits historiques des classes laborieuses et moyennes, au risque même de perdre ce qui reste de sa légitimité politique et sociale (en tout cas ils s’en moquent). Comme le souligne Minqi Li, un ex-détenu politique chinois et professeur d’économie à l’Université d’Utah : « Comme pendant la période 1968-1989, la résolution de la crise dépendra de l’évolution de la lutte de classes à une échelle mondiale. » Li insiste sur le fait que le capitalisme ne fait pas partie des options jouables ; mais le problème est que les élites solides du 1 % ont toujours le contrôle, et ne renonceront au pouvoir que sur leur cadavre collectif.

Créer un nouveau langage politique

Et maintenant ? Où aller à partir de là ? Où trouver la puissance de feu intellectuelle pour continuer à lutter ?

A Zuccotti Park – la base d’« Occupy Wall Street » au sud du Manhattan – il y a une bibliothèque publique gratuite, avec les livres donnés par tous ceux qui ont envie de le faire. Un bon premier pas serait que les gens fournissent beaucoup d’exemplaires de The Beach Beneath the Street, de McKenzie Wark, histoire captivante des situationnistes, le groupe conceptuel clef dirigé par Guy Debord au cœur de mai 1968.

Wark a aussi écrit un essai clinique qui détaille comment, au lieu d’ occuper une abstraction-Wallstreet – le mouvement a occupé une autre abstraction : « Un parc plus ou moins public niché dans le paysage des tours du centre de la ville, non loin du site de l’ancien World Trade Center » et de là a commencé à occuper « l’espace virtuel des médias sociaux ».

Wark conclut : « L’abstraction qu'est l’occupation est alors double : une occupation d’un lieu, dans un endroit près du vrai Wall Street, et l’occupation du vecteur des médias sociaux, avec slogans, images, vidéo, histoires. ‘Continuez à diffuser’ cela pourrait être un bon slogan dans ce cas. Pour ne pas dire continuez à créer le langage réel d’une politique dans l’espace des médias sociaux. »

Pas étonnant que les 1 % soient déroutés. « Occupy Wall Street » crée déjà un nouveau langage politique, balaye les vieilles catégories de cause et effet, utilise par exemple ce que Guy Debord a décrit comme la dérive, une technique pour se déplacer comme un éclair à travers des situations et ambiances différentes (du physique au virtuel, ou du sud de Manhattan à Washington Square et Times Square).

Ils amplifient déjà le concept de rhizome de Gilles Deleuze et Felix Guattari, perfectionnant une machine de guerre symbolique interdisciplinaire, souterraine.

Comme petit-fils de mai 68 et des situationnistes, « Occupy Wall Street » ne pouvait qu’être radical. Il veut aller au-delà de la politique du pouvoir, du pouvoir et du copinage capitalistes. Ils ne pourront pas l’acheter, une raison clef pour qu’il soit inlassablement ridiculisé par les intérêts capitalistes (qui s’intéresse aux monstres des affaires Times Warner et News Corporation de Rupert Murdoch ? Occupy devrait les laisser pourrir dans leur insignifiance). C’est essentiellement une rébellion collective des gens – ni droite ni gauche, mais certainement pas conservatrice – qui refusent d’être cooptés (et dont on espère qu'ils traiteront les opportunistes comme Al Gore, Warren Buffett et George Soros comme un fléau).

Qu’est-ce qu’ils veulent ? Ils veulent que les biens communs soient à la disposition de tous, pas privatisé ou exploités par des castes politiques corrompues. L’utilisation des biens communs – eau, forêts, réseaux de communication, usines, réseaux de transport, hôpitaux – doit dépendre des citoyens de chaque « Agora » locale moderne. Cela signifie, essentiellement, faire passer les gens d’abord, l’antithèse absolue de la marchandisation de la vie.

C’est un programme utopique, et ce qui contrarie les droitiers atlantistes, c’est un appel direct au communisme utopique. Titus Levi, professeur au United international College de Zhuhai, au sud de la Chine, le nomme "common-ism"; il réfléchit sur comment « le fait d’avoir une économie de la biologie et de l’humanité remet l’actuel système d’aplomb : en utilisant l’économie comme instrument pour l’humanité, et non démolir l’humanité pour servir les impératifs économiques ».

« Occupy Wall Street » veut certainement que les forêts ne soient pas abattues, que l’air ne soit pas pollué, que les banques ne trahissent pas leurs clients et que les citoyens soient totalement impliqués dans la gestion de la vie publique (et qu’ils ne se résignent pas à voter selon des lois électorales affligeantes tous les quatre ou cinq ans). Cela suppose des lois censées être appliquées par des personnes honnêtes et impartiales. Ce n’est pas le cas, d’où la croissance des rangs de ’l'Internationale des IndignéEs’.

Jeune, regarde au Sud

« Occupy Wall Street » devrait aussi utiliser un manuel décoiffant de politique radicale comme leCommunisme Herméneutique, de Gianni Vattimo, professeur de philosophie à l’Université de Turin et Santiago Zabala, enseignant-chercheur à l’Université de Barcelone.

En 140 pages bien remplies –plus de copieuses notes– Vattimo et Zabala esquivent le communisme soviétique historique et le modèle chinois contemporain pour louer les actuels gouvernements sud-américains démocratiquement élus, « déterminés à défendre les intérêts des plus faibles de leurs citoyens ».

Dilma Roussef

Evo Morales

Hugo Chávez

Cristina Kirchner

Ils ont certainement raison de croire que « c’est la région du monde qui représente mieux le communisme du XXIe Siècle qui, comme Eric Hobsbawm l’a dit, doit être d'abord et avant tout une critique du capitalisme, ou une défense de ce que le grand Walter Benjamin a appelé « la tradition des opprimés ».

Vattimo et Zabala font une critique dévastatrice de notre « démocratie encadrée », où le 1 % « suit la vérité sous forme d’imposition (violence), conservation (réalisme) et triomphe (histoire). Ces systèmes politiques métaphysiquement encadrés soutiennent que la société doit se diriger elle-même selon la vérité (le paradigme existant) c’est-à-dire en faveur du fort et contre le faible ».

Vattimo et Zabala démasquent naturellement toute la fausseté de la « fin de l’histoire » et démontrent « qu’avec le système de la démocratie encadrée métaphysiquement, le changement est presque impossible ». L’unique alternative possible qui reste pour le moment se trouve dans l’espace latin et spécialement sudaméricain, où, pour citer Noam Chomsky : les gens prennent la démocratie plus au sérieux qu'en Occident, certainement plus qu’aux USA».

Aussi imparfaites que puissent être les différentes expériences nationales, du Brésil au Venezuela, de la Bolivie à l’Argentine, les nouveaux gouvernements sud-américains ont au moins été plus représentatifs de leurs peuples parce qu'« ils se sont pas seulement détachés des dogmes néolibéraux imposés, mais aussi de la présence militaire qui va avec, c’est-à-dire le capitalisme armé ».

Par conséquent « Occupy the World » a beaucoup à gagner à l’analyse des différentes expériences politiques en Amérique du Sud. Les parallèles avec l’Europe sont très éclairants. Comparez par exemple l’Argentine – où lors des prochaines élections du 23 octobre Cristina Kirchner sera certainement réélue pour un troisième mandat post-néolibéral, et Dilma Rousseff au Brésil – avec l’Espagne, la patrie des indignad@s, où, vous le croirez ou pas, le réactionnaire, presque fasciste Parti Populaire va gagner probablement les élections du 20 novembre.

L'ex-Premier ministre espagnol, le reptilien José Marie Aznar a décrit les indignad@s comme un mouvement « marginal, non représentatif », exactement comme le présentateur moyen de Fox News.

Pas d’erreur : la puissance de feu intellectuelle pour canaliser la colère mondiale existe, de Vattimo et Zabala jusqu’à Deleuze et Guattari, de Debord et Benjamin jusqu’à David Harvey et Eric Hobsbawm, d'Alain Badiou et Slavoj Zizek à Minqi Li et Wang Hui, d'Atilio Boron au vice-président bolivien Álvaro García Linera.

Il ne s’agit pas encore d’une révolution (mondiale); c’est encore une évolution (lente). La majorité silencieuse post-politique n’est certainement pas imbécile, seulement cyniquement soumise. Le défi est de les arracher de leurs canapés et télécommandes pour descendre dans les rues, pour les transformer en 99 % agissants.

Cela implique de faire pression pour une série de mesures politiques clef, spécifiques : taxer les riches et le système financier, davantage de fonds pour l’éducation publique, une prévoyance santé décente, la fin de l’Empire des Bases US accros à la « pentagonisation ». En ce qui concerne les USA, une majorité écrasante d’USAméricains sont en faveur de ces politiques.

Par conséquent la réponse, mes amis, soufflera dans les rues. Tout le pouvoir à l’Internationale des IndignéEs. Il est temps de remixer Martha et les Vandellas pour ce début de XXIe Siècle : « Calling out around the world, are you ready for a brand new beat ? » [« Criez dans le monde entier, êtes-vous prêts pour un nouveau rythme ? » Dans le tube de 1964 « Dancing in the street »].

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