lundi 24 octobre 2011

Pourquoi le Pakistan dit « adieu » au programme du FMI


L’accord de confirmation (Stand-By Agreement en anglais) d’un montant de 11,3 milliards de dollars, le huitième du genre conclu avec le FMI, se termine sur une note amère
Le maintien à distance du FMI pendant plus d’un an ne constitue en rien une bonne nouvelle


Le gouvernement du Pakistan a récemment décidé de dire « adieu » au Fonds Monétaire International (FMI), du moins pour l’instant, avec la fin, le 30 septembre 2011, du programme mis en place par un accord stand-by de 11,3 milliards de dollars. Il s’agit du huitième accord stand-byconclu avec l’institution depuis que le pays y a adhéré en 1950 et il se termine une fois de plus sur un échec. Sur les huit programmes, six ont été passés avec des gouvernements démocratiques.





Peu après avoir accédé au pouvoir, en novembre 2008, le gouvernement actuel du Parti du peuple pakistanais(PPP, Pakistan Peoples Party) avait conclu un accord avec le FMI pour un montant de 11,3 milliards de dollars, dont seulement 7,6 milliards ont été effectivement déboursés, puisque depuis mai 2010, le FMI a suspendu le programme et retenu le versement des 3,7 milliards restants en raison du non respect des strictes conditionnalités établies dans l’accord. Ce dernier a quand même été prolongé de neuf mois, jusqu’au 30 septembre de cette année, mais les décaissements n’ont pas été effectués en raison de l’impossibilité d’un accord entre le FMI et le gouvernement pakistanais. Au bout du compte, cette situation a amené le Pakistan à dire adieu au programme. Le ministre des Finances, Abdul Hafeez Sheikh, l’a clairement indiqué dans une déclaration datée du 17 septembre 2011.


L’éventualité d’un arrêt du programme du FMI plane depuis un moment déjà puisque le Pakistan n’a reçu aucun financement du FMI et de la Banque mondiale depuis mai 2010. Mais la mise à distance du FMI depuis plus d’un an maintenant n’est en rien une bonne nouvelle. L’opinion la plus répandue est que le gouvernement voulait se débarrasser des conditions imposées par le FMI, non pas pour opérer un virage radical dans sa politique économique, mais en vue des prochaines élections générales prévues pour le début de 2013.

Des 11 principales conditionnalités exigées par le FMI, trois en particulier se distinguent : la maîtrise du déficit budgétaire, l’introduction d’une taxe sur la valeur ajoutée et la réduction drastique des subventions dans le secteur de l’électricité. Tout gouvernement qui se soumettrait à ces exigences aurait bien peu de chances de conserver sa popularité. Désormais affranchi de ces contraintes, le gouvernement peut dès lors prendre décisions favorables au peuple comme le maintien de prix bas pour l’électricité et la réduction du prix des carburants.

La décision d’abandonner le programme existant avec le FMI est la bienvenue, mais elle ne semble que temporaire et motivée par des visées politiciennes. Ce n’est pas le fruit d’un effort conscient pour se dégager de l’influence du FMI et venir en aide de manière durable à la population. Il est intéressant de noter que le gouvernement précédent avait aussi abandonné un programme du FMI prématurément, simplement dans le but de remporter les élections. Le gouvernement actuel semble suivre le même chemin. Bien que les gouvernements acceptent les conditions du FMI durant leur mandat, dans la période précédant les élections, leur « amitié » avec le FMI devient trop coûteuse politiquement.

La rupture du programme avec le FMI va avoir des conséquences évidentes sur les chances d’obtenir des prêts d’autres institutions multilatérales comme la Banque mondiale ou la Banque asiatique de développement. Le Pakistan devrait rembourser 1,2 milliard de dollars de capital et d’intérêts au FMI, en deux versements, mais les réserves de change du pays pourraient baisser de 500 millions de dollars pour atteindre 2 milliards de dollars, contre un niveau actuel de 17,5 milliards de réserves.

A long terme, le gouvernement n’aura d’autre choix que de poursuivre les réformes dans le secteur de l’énergie, l’ajustement et le programme de stabilisation macroéconomique pour gagner en crédibilité aux yeux du FMI et avoir de nouveau recours à ses services en cas de difficultés relative aux comptes extérieurs. Si cela se produit, ce qui s’ensuivra est presque inévitable : le Pakistan se verra de nouveau poussé dans les bras FMI, qui risque d’être plus sévère encore la prochaine fois.

Les perspectives en matière de dette au Pakistan vont donc de mal en pis. La dette publique a grimpé de 120 millions de roupies pakistanaises depuis le 1er juillet 2011, suite à la dépréciation de la monnaie pakistanaise. La dette publique a ainsi atteint 11 000 milliards de roupies, la dette publique extérieure représentant 4 500 milliards de roupies (50 milliards de dollars) et la dette publique interne s’élevant à 6 500 milliards de roupies (75 milliards de dollars). Le pays consacre environ 3 milliards de dollars chaque année pour rembourser ses créanciers étrangers. Ce montant sera encore bien plus élevé pour l’exercice 2010, puisqu’il devrait atteindre 5,46 milliards de dollars. Il devrait ensuite exploser en 2014, lorsque les prêts rééchelonnés devront être à nouveau remboursés ; la dette publique extérieure atteindra alors 75 milliards de dollars.

Par ailleurs, la note du Pakistan se dégrade rapidement principalement en raison des nombreuses implications de son engagement dans la guerre contre le terrorisme menée par les États-Unis. Selon une étude récente du FMI, 28 pays parmi les plus pauvres ont un risque élevé de subir une crise de la dette. Le Pakistan est cinquième sur cette liste selon le critère de la « probabilité cumulative de défaut » (cumulative probability of default en anglais, CPD). Les maux dont souffre le Pakistan sont de plus en plus complexes et les remèdes économiques néolibéraux n’arrangeront rien.

Alors que le pays porte encore les stigmates des dommages économiques causés par les terribles inondations de l’an dernier, il a de nouveau été touché par des inondations cette année. La principale cause de ces inondations est le débordement d’eau du Left Bank Outfall Drainage(LBOD)- un projet de drainage des terres irriguées défectueux financé par la Banque mondiale. Plus de 8 millions de personnes sont cette fois touchées dans la province du Sindh. Des centaines de milliers de personnes se retrouvent sans abri, sans nourriture ni soins médicaux. Il est honteux que le FMI et d’autres créanciers, en pleine violation des droits humains fondamentaux, continuent à forcer le gouvernement à rembourser sa dette alors que des millions de gens crient désespérément à l’aide pour satisfaire leurs besoins élémentaires.

Les programmes du FMI au Pakistan sont lourds de motivations politiques


Le Pakistan rejoignit le FMI en 1950. En 1958, le Pakistan eut recourt pour la première fois à un prêt du FMI. Il s’agissait d’un accord stand-by de 25 millions de dollars, qui fut annulé peu après. En effet, le Pakistan traversait une période de crise politique et le premier dictateur, le général Ayub Khan |1|, était sur le point de prendre le pouvoir. Dans les années 1960, sous le régime de Ayub Khan, le FMI accorda volontiers son appui économique par deux accords stand-by, en 1965 et 1968, pour plaire au cher dictateur. Quand le second dictateur, Muhammad Yahya Khan |2|, fut placé à la tête du Pakistan, le FMI continua à prodiguer ses largesses et à apporter sa bénédiction au régime : quatre accords stand-by, pour un montant de 330 millions de dollars, furent conclus.

Avec le premier gouvernement élu démocratiquement de Zulfikar Ali Bhutto, l’attitude du FMI devint moins bienveillante et l’institution retira le Pakistan de la liste de ses « favoris » en raison de l’orientation socialiste de ZA Bhutto. C’est pourquoi Bhutto dut dire au Fonds « Allez au diable, nous ne voulons de pas votre argent ».

En 1979, suite au renversement du gouvernement démocratiquement élu de ZA Bhutto par le général Zia ul Haq , le troisième dictateur, plus cruel encore que ces prédécesseurs, l’implication du FMI changea radicalement de nature et d’ampleur : l’institution prêta sans compter au dictateur. D’après les statistiques, sur une période de 20 ans (1958-1979), le Pakistan conclut des programmes avec le FMI pour 460 millions de dollars, tandis qu’en novembre 1980, le Fonds accorda la somme de 1,27 milliard au régime de Zia ul Haq |3| au titre du Mécanisme élargi de crédit (Extended Fund Facility), soit trois fois le montant prêté via sept accords stand-by sur vingt ans.

Il est intéressant de noter qu’après le régime de Zia, il y eut un changement important dans la nature des crédits accordés par le FMI à la fin des années 1980 et durant les années 1990, soit une période où se succédèrent les gouvernements démocratiques du PPP et du PML (Pakistan Muslim League, Ligue musulmane). Des conditions plus strictes et complexes furent attachées aux prêts octroyés. Le nombre de conditionnalités liées aux prêts accordés dans le cadre de l’ajustement structurel passa d’une moyenne de 27 en 1985 à 56 en 1989, sous le gouvernement de Benazir Bhutto (1988-91). Les conditionnalités du prêt de 1988 furent les plus sévères dans l’histoire des relations entre Pakistan et le FMI.

Les recettes anti-sociales du FMI ont été appliquées tout au long des années 1990. Mais l’arrivée soudaine d’un nouveau dictateur, le général Pervez Musharraf en 1999, couplée aux événements du 11 septembre 2001, marquèrent un fléchissement de l’attitude du Fonds, qui se montra, comme à son habitude, complaisant à l’égard du nouveau dictateur pakistanais. Quand le régime de Musharraf accepta de se rallier à la « guerre contre le terrorisme » déclarée par les États-Unis, le FMI se montra plus clément quant à l’octroi d’un financement concessionnel dans le cadre de la Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (Poverty Reduction and Growth Facility). Il n’est pas inintéressant de rappeler qu’une semaine avant le 11 septembre, les possibilités du Pakistan de se voir accorder ce financement étaient minces.

Ce qui précède démontre que ce revirement du FMI à l’égard du Pakistan fut le résultat d’une entente politique entre le général Musharraf et l’administration états-unienne, en contradiction avec une prétendue éthique de neutralité en matière d’emprunts multilatéraux.

Notes
|1| Général en chef de l’armée pakistanaise, il s’empare du pouvoir et impose une dictature militaire d’octobre 1958 à mars 1969 (NDT).
|2| Après avoir été général en chef de l’armée pakistanaise, il fut le successeur désigné de Ayub Khan dans le cadre de la dictature militaire qui régnait alors au Pakistan. Il fut président de mars 1969 à décembre 1971 (NDT).
|3| Auteur du coup d’Etat contre Zulfika Ali Buttho, père de Benazir, qu’il fit pendre. Il fut président de 1978 à 1988, date à laquelle il trouve la mort dans un accident d’avion (NDT).
http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=6048

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