mercredi 5 octobre 2011

Il y a du gaz dans l’eau


Longtemps épargnés par l’exploitation des gaz de schiste, les Français y sont aujourd’hui confrontés. Malgré des dangers avérés, les intérêts en jeu rendent l’issue de la mobilisation incertaine.

L’histoire des gaz de schiste ressemble à un polar doublé d’un film catastrophe. Permis d’exploration – entre l’Hérault et la Drôme – accordés en secret (ou presque), en mars 2010 par Jean-Louis Borloo. Menaces de poursuites judiciaires lancées par Julien Balkany, contre Marine Jobert et François Veillerette, les auteurs du livre choc Le Vrai scandale des gaz de schiste [1]. Tout y est. Si en France, l’intrigue avance au ralenti, les États- Unis, qui comptent environ 500 000 puits, ont quelques chapitres d’avance. Pour s’en convaincre, il suffit de visionner Gasland [2], le documentaire « explosif » réalisé par Josh Fox. Ce film, devenu la référence de la lutte contre l’exploitation des gaz de schiste, a eu l’effet d’une bombe. Ses images ont fait prendre conscience aux Français des dangers de ces hydrocarbures et de la « fracturation hydraulique » – technique utilisée pour leur extraction.

En 2009, Josh Fox reçoit un mail d’une compagnie gazière qui veut louer le terrain de son enfance, en Pennsylvanie, pour en exploiter le sous-sol. Avant d’accepter, il décide de mener son enquête – caméra au poing – dans les districts voisins. Ce qu’il découvre l’horrifie : l’eau des robinets s’enflamme, les personnes souffrent de divers maux – nausées, migraines… –, la faune et la flore sont détruites. En cause : les produits chimiques injectés dans l’immense quantité d’eau nécessaire à la fracturation – de 4 à 28 millions de litres par forage.

En France, la mobilisation – encore modeste – prend forme. « Il y avait environ 300 personnes lors de la réunion publique du 20 décembre 2010, la première du genre. On leur avait caché ce qu’on voulait faire de leur territoire et les conséquences que cela pouvait avoir », explique Marine Jobert. Les habitants ont longtemps été victimes d’une culture du secret liée au code minier qui ne contraint pas les sociétés exploitantes à informer la population de leurs activités. La mobilisation prend de l’ampleur : création de dizaines de collectifs, manifestations rassemblant jusqu’à 15 000 personnes dans des villages de l’Ardèche, une pétition « Gaz de schiste, non merci ! » comptant 100 000 signatures. Mais, elle s’attaque à « un secteur-clé qui fait beaucoup d’argent, paie beaucoup de taxes et emploie de nombreuses personnes », explique Sylvain Lapoix, journaliste àOwni.

Les gaz de schiste ont l’avantage d’exister presque partout, contrairement aux hydrocarbures dits « conventionnels ». Et, si nous ne savons pas précisément quelle quantité de gaz de schiste recèle le territoire français, certains spécialistes assurent que leur extraction assurerait l’indépendance énergétique du pays. L’enjeu est de taille.

« Avec François Veillerette, nous avons voulu synthétiser toutes les données dont nous disposions pour que les gens puissent se positionner dans le débat », explique Marine Jobert. Un débat qui a abouti cet été à la promulgation, en France, d’une loi interdisant la fracturation hydraulique. Une première mondiale. Mais pour Marine Jobert, il s’agit là d’une réponse technique qui ne répond pas à l’exigence citoyenne d’un vrai débat de société sur les questions énergétiques. Quant à la proposition de loi – étudiée le 6 octobre 2011 – visant à interdire l’exploration et l’exploitation des gaz et pétrole de schiste, l’espoir d’un soutien massif des élus est peu probable.

Et de leur côté, les industriels ne semblent pas prêts d’abandonner ce commerce juteux. Pour preuve, Total vient de réaffirmer sa volonté de mener des recherches de gaz de schiste sur les terres du permis d’exploration de Montélimar. Et, si la société a assuré qu’elle ne recourrait pas à la technique de la fracturation hydraulique, elle n’a cependant pas proposé d’alternative.

Malgré tout, « la mobilisation citoyenne française permet de lever le tabou autour des questions énergétiques », conclut Sylvain Lapoix. Et de faire pression sur les pouvoirs publics très frileux sur le sujet.

Notes

[1] Le Vrai scandale des gaz de schiste, de Marine Jobert et François Veillerette, éd. Les Liens qui libèrent, 180 p., 18 €.
[2] Gasland, de Josh Fox, Arte Vidéo.

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