vendredi 16 septembre 2011

Chiens de guerre



On n’avait pas vu de chiens aussi terrifiants depuis le Chien des Baskerville. Ils ont été élevés par un ardent admirateur du défunt “Rabbin” Meir Kahane, qui fut stigmatisé comme fasciste par la Cour Suprême israélienne. Ils ont pour tâche de protéger les colonies et d’attaquer des Palestiniens. Ce sont des chiens de colon ou, plutôt, des chiens-colons.

Toutes nos chaînes de télé ont fait des reportages à leur sujet et vanté leur efficacité et leur ardeur.
Tout cela pour se préparer à “Septembre”.
 
SEPTEMBRE N’EST pas simplement le nom d’un mois, le septième dans l’ancien calendrier romain. C’est le symbole d’un terrible danger, d’une menace existentielle indescriptible.
 
Dans les toutes prochaines semaines, les Palestiniens vont demander aux Nations unies de reconnaître l’État de Palestine.
 
“L’Autorité Palestinienne prépare un bain de sang”a allègrement déclaré Avigdor Lieberman. Et lorsque Lieberman annonce de la violence, il serait imprudent de l’ignorer.
 
Cela fait maintenant des mois que notre armée se prépare justement à une telle éventualité. Elle a annoncé cette semaine qu’elle entraîne les colons – beaucoup de colons sont des officiers de l’armée, et beaucoup d’officiers vivent dans les colonies. “L’armée assure la défense de tous les Israéliens, où qu’ils se trouvent,” est la position officielle.
 
Il a été déclaré que l’un des scénarios auxquels l’armée se prépare est que des Palestiniens tirent sur des soldats et des colons “du sein de manifestations de masse”. C’est une déclaration lourde de menaces. J’ai participé à des centaines de manifestations et je n’ai jamais vu quelqu’un tirer “du sein de la manifestation”. Une telle personne ferait preuve d’une irresponsabilité insensée, car elle exposerait tous les gens autour d’elle à des représailles mortelles. Mais c’est un prétexte commode pour tirer sur des protestataires non-violents.
 
C’est inquiétant car cela s’est déjà produit dans le passé. Après la première intifada, qui fut considérée comme une success story palestinienne (et qui a conduit aux accords d’Oslo), notre armée s’est activement préparée pour la seconde. Les moyens choisis furent des tireurs d’élite.
 
La seconde intifada (“al-Aqsa”) démarra après l’échec de la conférence de Camp David et la “visite” délibérément provocante d’Ariel Sharon au Mont du Temple. Les Palestiniens firent des manifestations de masse non-violentes. L’armée riposta par des meurtres ciblés. Un tireur d’élite accompagné d’un officier prenait position sur le passage de la manifestation et l’officier désignait les cibles choisies – des protestataires à l’allure de “meneurs”. Ils étaient abattus.
 
Ce fut d’une grande efficacité. Bientôt les manifestations non-violentes cessèrent pour céder la place à des actions très violentes (“terroristes”). Avec elles l’armée se trouvait de nouveau en terrain familier.
Au total, pendant la seconde intifada, 4546 Palestiniens furent tués, dont 882 étaient des enfants, contre 1044 Israéliens, dont 716 civils et parmi eux 124 enfants.
 
Je crains que les préparatifs en vue d’une troisième intifada, dont on prévoit le déclenchement le mois prochain, répondent à la même logique. Mais les circonstances seraient totalement différentes. Après les événements d’Égypte et de Syrie, les protestataires palestiniens pourraient cette fois réagir différemment, et le “bain de sang” pourrait être beaucoup plus sévère. Il en sera de même des réactions internationales et arabes. J’imagine des affiches condamnant Benjamin al-Assad et Bashar Nétanyahou.
 
Mais la plupart des Israéliens ne sont pas inquiets. Ils pensent que tout le scénario a été inventé par Nétanyahou comme une manœuvre pour mettre fin à l’énorme mouvement de protestation sociale qui secoue Israël. “Les jeunes protestataires exigent la justice sociale et un État-Providence, comme des enfants qui demandent des glaces, alors que la catastrophe menace de façon imminente,” selon les termes d’un des colonels (retraité).
 
LES COLONS et leurs chiens figurent au premier plan des prochains scénarios.

 
C’est tout à fait logique puisque les colons jouent maintenant un rôle central dans le conflit. Ce sont eux qui empêchent tout accord de paix ou même toute négociation de paix sérieuse.
 
C’est très simple : toute paix entre Israël et les Palestiniens sera nécessairement fondée sur la cession de la Cisjordanie, de Jérusalem Est et de la Bande de Gaza au futur État de Palestine. Un consensus là-dessus est actuellement acquis au plan mondial. La seule question est de situer exactement le tracé de la frontière, puisqu’il y a également un consensus sur des échanges d’un commun accord de parcelles de territoire.
 
Cela veut dire que la paix impliquera nécessairement l’abandon d’un grand nombre de colonies et l’évacuation des colons de l’ensemble de la Cisjordanie.
 
Les colons et leurs alliés dominent la coalition gouvernementale israélienne actuelle. Ils sont opposés à l’abandon même d’un mètre carré de territoire occupé du pays que Dieu nous a promis. (Même les colons qui ne croient pas en Dieu croient que Dieu nous a promis la terre.) C’est à cause de cela qu’il n’y a pas de négociations de paix, ni de gel des constructions dans les colonies, ni de mouvement d’aucune sorte vers la paix.
 
Les colons sont allés à leurs emplacements en Cisjordanie essentiellement dans ce but : créer “des faits sur le terrain” qui préviendraient toute possibilité de constitution d’un État palestinien viable. Par conséquent, peu importe que ce soient les colons qui empêchent la restitution des territoires occupés pour obtenir la paix ou que ce soit le gouvernement qui se serve des colons à cette fin. Cela revient au même : les colons bloquent toute tentative de paix.
 
Comme diraient les Américains : ce sont les colons, idiot.
 
QUELQUES BRAVES israéliens jouent vraiment les idiots, ou le sont réellement.
 
Maintenant la mode dans certains milieux est d’épouser la cause des colons au nom de l’unité nationale. Les Juifs, disent-t-ils, ne devraient pas se quereller entre eux, en se référant à l’ancienne sagesse du ghetto. Les colons sont des gens comme nous.
 
Au premier rang de ceux qui tiennent ces propos on trouve Shelly Yachimovitch, l’une des membres de la Knesset et l’une de six candidats à la présidence du parti travailliste moribond. Pendant des années elle a fourni un bon travail comme avocate de la justice sociale, sans jamais gaspiller un mot pour la paix, l’occupation, les colonies, la Palestine et de telles balivernes. Maintenant, dans le cadre de sa campagne, elle s’est engagée à fond dans l’amour des colons. Comme elle le dit : “Je ne considère certainement pas l’entreprise de colonisation comme un péché et un crime. À l’époque c’était complètement consensuel. C’est le parti travailliste qui a fait la promotion de la colonisation dans les territoires. C’est un fait, un fait historique.”
 
Certains pensent que Yachimovitch ne prétend sentir les choses ainsi que pour engranger les votes du courant dominant pour le contrôle du parti, et qu’elle a l’intention d’unir ce qui reste du parti à Kadima, où elle tenterait de supplanter Tzipi Livni et peut-être même de devenir Premier ministre.
 
Peut-être. Mais je persiste à la soupçonner de penser réellement ce qu’elle dit – et cela est naturellement une chose terrible à dire à propos de toute personnalité politique, homme ou femme.
 
MAIS SÉRIEUSEMENT, on ne peut pas épouser la cause des colons et lutter en même temps pour la justice sociale. C’est tout simplement impossible, même si certains des leaders du mouvement de protestation sociale le prétendent pour des raisons tactiques.
 
Il n’est pas possible d’avoir un État-Providence israélien tant que dure la guerre. Les incidents de frontière des deux dernières semaines montrent combien il est facile de distraire l’opinion publique et de réduire au silence les protestataires lorsque la bannière de la sécurité est déployée. Et combien il est facile pour le gouvernement de prolonger n’importe quel incident.
 
Semer la peur de “Septembre” est encore un autre exemple.
 
Mais les raisons de l’impossibilité de séparer la justice sociale de la sécurité sont plus profondes. De sérieuses réformes sociales exigent de l’argent, beaucoup d’argent. Même après une réforme du système d’imposition – davantage d’impôts directs “progressifs”, moins d’impôts indirects “dégressifs” – et le démantèlement des cartels des “gros capitalistes”, des dizaines de milliards de dollars seront nécessaires pour le sauvetage de nos écoles, nos hôpitaux et nos services sociaux.
 
Ces milliards ne peuvent venir que du budget militaire et des colonies. Des sommes énormes sont investies dans les colonies – pas seulement pour les logements lourdement subventionnés des colons, pour les salaires versés par le gouvernement à de nombreux colons (un pourcentage beaucoup plus élevé que pour l’ensemble de la population), mais aussi pour les infrastructures (routes, approvisionnement en eau et en électricité, etc.) et les troupes nombreuses nécessaires pour assurer leur défense. Les préparatifs en vue de “Septembre” montrent une nouvelle fois combien cela coûte.
 
MAIS CEPENDANT l’histoire ne se limite pas à cela. Au-delà de tous ces faits il y a la raison principale de l’infirmité d’Israël : le conflit lui-même.
 
À cause du conflit, nous sommes obligés d’entretenir une énorme institution militaire. Nous payons par tête pour les forces armées de très loin plus que les citoyens de n’importe quel pays occidental.
 
Israël, un pays de seulement 7,5 millions d’habitants, entretient la quatrième ou la cinquième force militaire du monde. L’aide militaire des États-Unis n’y contribue que pour une faible part.
 
Par conséquent, mettre fin à la guerre est un préalable indispensable à tout effort réel de transformation d’Israël en un État-Providence “scandinave”, avec un maximum de justice sociale. Le conflit n’est pas simplement un élément parmi beaucoup d’autres à prendre en considération. C’est l’élément principal.
 
Vous pouvez aimer les colons ou les haïr, les combattre ou épouser leur cause autant que vous voulez – le fait demeure que les colonies sont de loin le principal obstacle à la paix et à l’État-providence. Pas simplement en raison de leur coût, pas seulement à cause des pogroms auxquels leurs habitants se livrent de temps à autre, pas seulement à cause de la façon dont elles dominent le système politique. Mais à cause de leur existence même.
 
À la différence du Chien des Baskerville, les chiens des colonies aboient bruyamment. C’est le bruit de la guerre. 



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire