Pourquoi est-il donc parti à Tripoli ce 15 septembre ?
1. C'était une question d'orgueil. Narcisse a encore frappé. Nicolas Sarkozy voulait être le premier chef d'Etat étranger à se rendre dans la Libye post-Kadhafi. Il a dû accepter la présence de David Cameron, le premier ministre britannique. C'est l'Entente Cordiale ! Comment comprendre autrement ce caprice ? L'actualité française et européenne est toute entière centrée sur la crise de la dette et les soubresauts boursiers
2. Ce déplacement était aussi, comme d'autres, à vocation électorale. Se montrer sur place, « chef de guerre » victorieux sur les ruines encore fumantes de l'ancien pouvoir participait de ses efforts de représidentialisation depuis des mois. Sur le tarmac de l'aéroport, Sarkozy déclara, tel le général de Gaulle s'exprimant à Paris le 25 août 1944 : « c'est une très grande émotion. Je suis à Tripoli... Tripoli libéré. » Et surtout, il voulait « occuper » l'espace médiatique. De ce point de vue, ce fut à peine réussi. Le soir, Nicolas Sarkozy est rentré dans l'indifférence. L'actualité, la vraie, avait repris ses droits:, pour le meilleur et pour le pire: premier débat des primaires socialistes, découverte de plumes de dinosaures dans de la résine d'arbre, gigantesque fraude (2 milliards d'euros) à la banque UBS, et ... Euro de basket !
3. Le coût du voyage, non communiqué, était vraisemblablement hors normes: l'impréparation est toujours coûteuse. « Certes le dispositif est imposant, mais la destination est pour le moins sensible » a commenté un haut-fonctionnaire de la police. La veille, quelques 160 CRS avaient été envoyés sur place pour protéger le Monarque, une première. « On n'a jamais vu tant de policiers déployés à l'étranger pour une telle mission » remarquait Jean-Dominique Merchet sur Marianne2. « Un signe de la police dans l'entourage du chef de l'Etat ».Tous les CRS étaient volontaires mais ils recevront tous, « selon plusieurs sources syndicales », une prime exceptionnelle de 500 euros. Si l'Elysée avait préféré envoyer des gendarmes habitués aux opérations extérieures, l'opération n'aurait pas coûté un centime d'imprévu.
4. Ce voyage a fait une victime, le procès Chirac. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères, devait être entendu comme témoin ce jeudi au tribunal. L'escapade libyenne lui a fourni un prétexte facile. Jacques Chirac sèche, Alain Juppé voyage. Le sabordage du procès des emplois fictifs de la Mairie de Paris est presque total. La chroniqueuse judiciaire du Monde, Pascale Robert-Diard, commente: « Depuis que sa comparution a été envisagée par le tribunal, M. Juppé a tout fait pour y échapper. » Merci Benghazi !
5. Il y avait tout de même une relative urgence à venir en Libye. La situation politique est loin d'être stabilisée. Nul ne sait de quoi l'avenir sera fait. Le pays peut basculer. Il n'est pas encore sécurisé, le clan Kadhafi court toujours. Le gouvernement libyen n'est pas formé. Le Monarque fut acclamé aux cris de Allah Akbar. Reviendra-t-il dans quelques mois si le régime vire islamiste ? Il n'a promis aucun accompagnement politique du nouveau pouvoir.
6. Le voyage était « intéressé ». On soupçonne la France de vouloir se réserver une belle part du pétrole libyen. Le Monarque s'est défendu de toute arrière-pensée, à Tripoli: « Nous l'avons fait parce que c'était juste. Il n'y a aucun accord en sous-main, nous ne demandons aucune préférence et aucun passe-droit ».
7. Cette visite permettait à Nicolas Sarkozy de sortir, quelques heures durant, du sale climat qui pollue sa pré-campagne en Sarkofrance. Mercredi, son ami Ziad Takieddine était mis en examen dans l'affaire du Karachigate. L'Elysée avait été, sans aucun doute, prévenu de l'éventualité. Le même jour, le livre de Pierre Péan « la République des mallettes » sortait en librairie. Le journaliste y dévoile les relations d'Alexandre Djouhri avec Nicolas Sarkozy dans de multiples affaires et multiples soupçons de corruption. Un quotidien algérien préférait, ce jeudi 15 septembre, revenir sur « les trois Arabes de Sarkozy », Takieddine, Djouhri et Bourgi: «Exécuteurs des basses œuvres élyséennes, ces trois personnages très sulfureux, liés au ministre de l’Intérieur, jettent le trouble sur la face cachée du pouvoir ». L'Algérie n'a pas apprécié l'intervention occidentale en Libye.
8. Sur place, Nicolas Sarkozy n'avait rien à y promettre. vers 13h, dans une salle protégée à Tripoli, le Monarque français voulait être solennel : « Je veux dire au peuple lybien qu'il peut compter sur l'amitié et l'admiration du peuple français. Nous avons la Méditerranée en commun, nous avons un destin en commun. Cela vaut pour tous les peuples arabes dans le monde qui voudront se libérer de leurs chaines. La France et l'Europe seront à leurs côtés.» Mais pour le reste, ses quelques mots, à Tripoli puis à Benghazi furent lénifiants ou prévisibles: ; « Kadhafi est un danger » ; «il y a un travail à terminer»; ou encore : « Monsieur Kadhafi doit être arrêté, et tous ceux qui sont inculpés par des juridiction intrenationalaes doivent rendre des comptes sur ce qu'ils ont fait ». Il a même dédié son déplacement « à tous ceux qui espèrent que la Syrie soit un jour libre ».
9. La mise en scène était énorme. Sur le site d'Elysée.fr, un grand dossier avec texte, discours et video rappelait « l'action forte, concertée et déterminée du Président Nicolas Sarkozy ». Les journalistes étrangers étaient présents sur le tarmac de l'aéroport pour ne pas rater l'évènement, l'arrivée de l'Airbus présidentiel. Le Monarque a même rencontré une famille dont l'enfant de 6 mois (né donc avant le début de la révolution) a été prénommé ... Sarkozy.
10. Le clou du spectacle fut à Benghazi. Sarkozy et Cameron s'adressèrent aux habitants sur la « Place de la Liberté ». La tribune, sur l'estrade, comprenait même son panneau, écrit en français et en arabe, « Benghazi, jeudi 15 septembre 2011 ». Les caméras étaient là, le moment était plus fort, la foule était là pour applaudir. Moustafa Abdel Jalil, ancien ministre de la Justice du colonel Kadhafi et président du CNT parla en premier. David Cameron s'empara du micro. Nicolas Sarkozy attendit patiemment sur le côté. Quand se fut son tour, il se laissa applaudir, pour délivrer ensuite quelques phrases à peine, entrecoupées d'une traduction par une interprète. Il dû crier, sa voix manquait parfois de souffle.
«Jeunes de Benghazi ! jeunes de Libye, jeunes arabes, la France veut vous dire son amitié et son soutien. Vous avez voulu la paix... vous avez voulu la liberté, vous voulez le progrès économique, la France, la Grande-Bretagne, l'Europe seront toujours aux côtés du peuple libyen. Mais, amis de Benghazi, nous vous demandons une chose. Nous croyons dans la Libye unie, pas dans la Libye divisée.
Peuple de Libye !! Vous avez démontré votre courage. Aujou vous devez démontrer un nv courage, celui du pardon et celui de la réconciliation.
Vive Benghazi ! Vive la Libye ! Vive l'amitié entre la France et la Libye ! »
Sarkozy décida ensuite de descendre dans la foule, au grand dam des forces de sécurité. On ne voyait plus rien. Après quelques instants, il fut contraint de s'éclipser sur les côtés. Il était temps de rentrer en France.
On ne sait pas si au retour, il a un instant envisagé de changer son ambassadeur à Tripoli et d'y nommer un fin connaisseur du pays. Boillon, Boris Boillon.
En novembre dernier sur CANAL+, ce jeune diplomate expliquait combien le colonel Kadhafi était comme son père.
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