lundi 1 août 2011

Crise de la dette américaine: les plus pauvres en première ligne


Un article de Renaud Ceccotti-Ricci, à New York


Alors que démocrates et républicains sont toujours à la recherche d'un accord, au Congrès, pour le relèvement du plafond de la dette américaine, la limite fatidique du mardi 2 août, date à laquelle les caisses du gouvernement seront vides selon les experts du département du Trésor, arrive à grands pas.
Mais quelles seraient réellement les conséquences de ce scénario catastrophe? Si les économistes s'écharpent sur les effets concernant l'économie américaine et mondiale en général, une chose semble claire: les plus pauvres seront le plus durement touchés. En clair, si les caisses de l'Etat sont vides et que le gouvernement Obama n'obtient pas du Congrès une rallonge pour emprunter de l'argent auprès des banques et des fonds de pensions, il sera dans l'impossibilité de faire face à toutes les dépenses habituelles comme les salaires des fonctionnaires, le budget de la défense... et les aides sociales.
Comme ne cesse de le rappeler la très conservatrice chaine de télévision Fox News, le plus gros des dépenses de l'Etat reste en effet ce volet social. Impossible donc de payer les retraites, de financer les tickets d'alimentations (Food stamps) dont 44 millions d'Américains dépendent chaque jour pour se nourrir, de rembourser les dépenses de santé des personnes âgées (Medicare) et des familles à faible revenu (Medicaid)...
«C'est tout ce petit monde-là, déjà le plus durement touché par la situation dans laquelle nous ont mis banquiers et économistes en 2008, qui devra à nouveau payer les pots cassés», explique Mark Phillips, travailleur social à Harlem, passablement énervé. «Les républicains ont fait exploser nos dépenses militaires, ils continuent d'offrir chaque année des réductions d'impôts aux plus riches et ils sont responsables de cette curie économique dans laquelle nous sommes, mais ils refusent de signer le moindre accord pour aider des millions d'Américains à vivre dans la dignité ? C'est ignoble.»
La crise de la dette est devenue en quelques jours, aux Etats-Unis, le principal sujet de conversation partout dans le pays. Adna a 82 ans, elle a travaillé toute sa vie comme caissière dans un gros supermarché du New Jersey avant de prendre sa retraite en Floride, où le coup de la vie est moindre et les maisons de retraites plus nombreuses. «Si je ne reçois pas mon chèque de retraite à partir du 2 août comme on l'annonce, je pourrais tenir six mois sur mes économies personnelles, mais c'est tout. Ensuite, ce sera à ma fille de m'aider, si elle le peut. Sinon, j'irai vivre chez elle... Mais tout le monde n'a pas des proches pouvant les recevoir.»
Surtout, Adna, qui a beaucoup de mal à se déplacer, a besoin d'une infirmière à domicile six heures par jour pour aller déjeuner, se promener ou jouer au bingo avec ses amis de la maison de retraite. Qui paiera pour cela et pour le remboursement des médicaments, excessivement chers aux Etats-Unis, dont elle a besoin? «Personne, si les caisses de l'Etat sont vides», se désespère-t-elle.
En tout, 54,8 millions d'Américains reçoivent chaque mois des aides de la Sécurité sociale américaine, selon les chiffres mêmes du gouvernement. La plupart des aides vont directement aux retraités, aux personnes souffrant d'un handicap ou aux services à l'enfance... Pour plus de 40% d'entre eux, ces aides représentent plus de 90% de leurs ressources totales: autant dire qu'ils ne peuvent pas vivre sans.
Interrogée par le Huffington Post, Joan Entmacher, vice-présidente de la section Sécurité économique des familles auprès du National Women's Law Center, une association basée à Washington qui aide les femmes et leurs familles lorsqu'elles rencontrent des difficultés socio-économiques, est elle aussi très inquiète: «Ce dont on parle là, ce n'est pas des marchés financiers, qui sont bien sûr également très importants, mais de la possibilité pour des millions d'Américains d'acheter à manger, de payer leurs factures, leur loyer ou leurs emprunts, bref de survivre tout simplement...»
Ces aides de la Sécurité sociale américaine arrivent chaque mois, le 3 (d'où le choix du 2 août comme date limite), sur le compte des personnes concernées. Jusqu'à présent, ils ont toujours pu compter dessus.
«Les gens savent que cet argent va tomber, explique Joan Entmacher.Ils savent que s'ils font un chèque à leur propriétaire le 1er ou le 2 du mois, celui-ci le recevra et pourra l'encaisser le 3 car l'argent sera tombé entre-temps.» Si l'argent ne tombe pas, ils se retrouveront dans le rouge sur leur compte bancaire. La plupart des banques américaines ont pour le moment refusé de dire si elles prélèveraient les indemnités habituelles dans le cas où ces personnes ne pourraient pas payer leurs factures.
Un scénario catastrophe que réfute pourtant Richard Johnson, directeur du programme des retraites auprès de l'Institut urbain de Washington: «Si ces chèques ne sont pas envoyés le 3, ce serait tellement catastrophique pour tellement de personnes que je ne pense pas que ce sera le cas.» Ces millions de retraités, forts de leur poids politique dans la campagne présidentielle à venir, ne peuvent, selon lui, être laissés à l'abandon.
Selon lui, le gouvernement devra trouver d'autres coupes budgétaires moins dangereuses politiquement. La Maison Blanche a reconnu être en train d'élaborer ses priorités pour savoir qui serait payé et qui ne le serait pas en cas d'absence de compromis.
Une telle situation d'urgence, ou government shutdown comme on dit outre-Atlantique, les Etats-Unis ont déjà connu ça, il n'y a pas si longtemps d'ailleurs. C'était en 1995, sous Bill Clinton. A l'époque, le président démocrate avait mis son veto au plan budgétaire prévu par les républicains, majoritaires au Congrès, qui prévoyait d'énormes coupes au niveau de l'aide sociale, de l'éducation, de l'environnement et de la politique de santé...
A défaut d'accord le 14 novembre 1995, le gouvernement Clinton avait dû choisir qui ne serait plus payé et qui se retrouverait au chômage technique: les services de santé pour les vétérans avaient été réduits à la portion congrue, les centres de prévention médicale avaient fermé temporairement, les employés des 368 parcs nationaux ainsi que les employés d'ambassade accordant visas et passeports avaient été mis au chômage, causant par la même occasion beaucoup de tort aux compagnies aériennes. Mais les pensions de retraites, elles, avaient été sauvegardées.
La crise de 1995 avait duré deux mois. Cette fois, s'il n'y a pas d'accord, le désaccord entre démocrates et républicains est si important que la situation pourrait s'éterniser, et les coupes budgétaires façon Bill Clinton ne suffiraient évidemment pas. 
Sur la chaîne 11 Alive, Ricky Byrd, un vétéran en chaise roulante qui vit à Atlanta dans une situation d'extrême pauvreté, est lui bien plus alarmiste: «Ce sont les pauvres qui vont sentir le choc en premier, explique cet Africain-Américain de 53 ans. S'il n'y a rien à manger, ils vont aller en ville, commencer par attaquer les magasins puis tout casser...», menace-t-il. Byrd se dit «fier» de ne pas dépendre des food stamps mais sa Sécurité sociale, il l'a gagnée à la guerre et le Congrès n'a pas intérêt à la lui prendre: «Et de quel droit m'interdiraient-ils de recevoir cet argent que l'on me doit? J'ai travaillé dur pour y avoir droit, j'ai cotisé toute ma vie. Ils ne peuvent pas faire ça, ou bien alors je vous préviens que je vais foutre le bordel... un sacré bordel...»
Au Sénat (à majorité démocrate) et à la Chambre des représentants (à majorité républicaine), les deux partis se disent préoccupés par la situation. Les sessions extraordinaires s'enchaînent pendant des heures mais personne ne veut vraiment bouger d'un iota sur ses principes (pas d'augmentation d'impôt pour les républicains, pas touche au volet social pour les démocrates). Les observateurs tentent de rassurer l'opinion publique en promettant un accord à la dernière minute, une fois que chacun aura bien montré qu'il n'est pas prêt à renier ses engagements auprès de ses électeurs à quelques mois seulement de l'élection présidentielle.
A ce petit jeu là, les républicains, perçus comme les plus intransigeants des deux camps, semblent en train de perdre la partie. Les Américains veulent un accord à tout prix. Mais la bataille n'est pas finie. En 1995, Bill Clinton, tenu pour responsable du government shutdown, avait vu sa cote de popularité baisser dramatiquement pendant les deux mois de crise avant de grimper en flèche une fois un accord trouvé. Pour Elaine Kamarck, ancienne collaboratrice de Clinton et désormais professeure à la Kennedy school of government, le Sciences-Po de l'université d'Harvard, ce serait même cela qui lui aurait permis de remporter les élections de 1996. Les républicains ont peut-être trouvé leur nouveau modèle en la personne de Bill Clinton..
http://www.mediapart.fr/journal/international/310711/crise-de-la-dette-americaine-les-plus-pauvres-en-premiere-ligne

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