mercredi 3 août 2011

Maurice Kriegel-Valrimont, jusqu’au bout l’esprit de rébellion



Le mercredi 2 août 2006, le grand résistant français Maurice Kriegel Valrimont s’est éteint à Paris à l’âge de 92 ans. Toute sa vie, il a voulu changer le monde, avec succès assez souvent. À Lyon, Maurice prend le nom de Valrimont, et réussi, avec d’autres, à organiser l’unité des mouvements de résistance et à former toute une armée secrète... jusquà la Libération. Mais son énorme énergie constructive et son engagement antifasciste, antistaliniste, anticolonialiste continueront ensuite sereinement jusqu’à son dernier souffle, il y a tout juste trois ans.

Maurice Kriegel-Valrimont, jusqu’au bout l’esprit de rébellion


Avec lui dis­pa­raît non seu­le­ment une des plus gran­des figu­res de la résis­tance au nazisme et au fas­cisme avant et au cours de la seconde guerre mon­diale, mais aussi un juriste et un homme poli­ti­que de tout pre­mier plan pen­dant la recons­truc­tion du pays, et même bien après. Maurice Kriegel Valrimont [1] pour­rait bien avoir sa place au Panthéon, mais voilà, c’était un per­son­nage trop hors-normes [2].

Très jeune, Maurice Kriegel militait déjà

« Je suis devenu un mili­tant anti­fas­ciste dès mon ado­les­cence. C’était il y a plus de 70 ans, mais je le suis tou­jours resté »
Maurice Kriegel est né à Strasbourg le 14 mai 1914, ori­gi­naire d’une famille juive émigrée en Alsace venant d’Europe cen­trale (monar­chie austro-hon­groise). Étant enfant, il a vécu dans ses tripes l’anti­sé­mi­tisme et l’injus­tice. A Strasbourg, il suffit de tra­ver­ser le Rhin pour être en Allemagne, où des affron­te­ments fai­saient rage avec les signes annon­cia­teurs de l’arri­vée de Hitler au pou­voir. Et Maurice était déjà un jeune anti­fas­ciste, et dès qu’il se retrouve étudiant il par­ti­cipe à des grou­pes anti­fas­cis­tes, à un comité de vigi­lance.
Il fait des études de droit, mais refuse une car­rière d’avocat, ce qu’aurait voulu sa famille, car lui, il vou­lait chan­ger le monde, c’était son choix à lui de vou­loir par­ti­ci­per à des gran­des choses. Il n’a pas hésité à se mettre en oppo­si­tion avec sa famille, son milieu de la faculté, en quit­tant Strasbourg, et en allant à Paris au prin­temps de 1936.
Là, pour être auto­nome, il trouve un tra­vail comme employé d’assu­ran­ces... C’est l’époque du Front Populaire et Maurice s’engage alors dans l’action syn­di­cale, et, pres­que aus­si­tôt, en établissant un piquet de grève devant sa boîte en juin 1936. A 23 ans, il est élu secré­taire géné­ral du syn­di­cat CGT des employés d’assu­ran­ces, qui compte plus de 10.000 syn­di­qués à Paris. Il milite pour les congés payés et la semaine des qua­rante heures. Les affron­te­ments avec le patro­nat étaient d’une rare vio­lence et Maurice, avec une telle acti­vité syn­di­cale, en a payé le prix fort par un licen­cie­ment expé­di­tif. A partir de 1938, il conti­nue néan­moins son acti­vité syn­di­cale à temps plein à la CGT, ce qui a été pour lui très for­ma­teur.
Au même moment, les nazis ambi­tion­naient d’enva­hir l’Europe et avaient mis en marche l’affreuse machine de guerre. Il est mobi­lisé puis exempté en décem­bre 1939. En juin 1940 c’est la débâ­cle, et l’exode de cen­tai­nes de mil­liers de Français fuyant la bar­ba­rie nazie. Refusant le port de l’étoile jaune, Maurice rejoint Caen, puis Toulouse où sa famille a trouvé refuge, et où il ren­contre Jean-Pierre Vernant.
« Ne plus être un homme, c’est pire que de mourir ! »
Maurice est révolté, il ne peut admet­tre l’occu­pa­tion de la France par l’Allemagne nazie, la musi­que mili­taire alle­mande sur les Champs-Elysées, par­tout, la col­la­bo­ra­tion, le marché noir... Il ne peut admet­tre non plus, sans être com­mu­niste lui-même à l’époque, qu’on mette en taule ces braves gens de com­mu­nis­tes. Ce qui est impor­tant, c’est le fait qu’il y ait des résis­tants et qu’il y en ait tout de suite, de façon bien réelle, mais peu importe leur petit nombre au départ.

Lyon, capitale de la Résistance

« En ce qui me concerne, je ne suis pas devenu résis­tant, je n’ai jamais cessé d’être résis­tant. »
En com­pa­gnie de son épouse Paulette (Mala Ehrlischster), une femme dyna­mi­que et cou­ra­geuse ori­gi­naire de Varsovie, il vient à Lyon où se trouve tous les intel­lec­tuels fran­çais et bon nombre des orga­ni­sa­teurs de mou­ve­ments de résis­tance. Il s’engage à Lyon dans l’action résis­tante sous le nom de Valrimont, où il est chargé d’orga­ni­ser en mars 1942 la bran­che armée du mou­ve­ment Libération-Sud, fondé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie, aux côtés de Raymond Aubrac, un com­pa­gnon fidèle, Lucie Aubrac et Jean Cavaillès.
Ayant pour mis­sion la créa­tion et le déve­lop­pe­ment des for­ma­tions mili­tai­res, Maurice apprit vite l’art de la gué­rilla, tou­jours mobile, insai­sis­sa­ble, il sut frap­per l’ennemi en de mul­ti­ples cir­cons­tan­ces. Il fal­lait recru­ter et c’était plus aisé au début parmi les mili­tants syn­di­caux ou poli­ti­ques. Chacun sait que la Résistance n’était pas facile. Un appa­reil poli­cier mul­ti­forme essayait de la briser : les poli­ces de Vichy, la milice, les tri­bu­naux spé­ciaux et sur­tout les SS et la Gestapo. Le risque était mortel et quo­ti­dien.
« Vous savez, nous avons été dans la même cel­lule avec Aubrac, avec Ravanel, à Lyon, et si l’un de nous, un soir, une nuit, s’était réveillé, on n’avait que des mate­las. On était trop nom­breux pour pou­voir cou­cher sur le dos, il fal­lait être couché sur le côté. S’il y en avait un qui chan­geait de posi­tion, il fal­lait que tout le monde change de posi­tion. Là, j’ai ima­giné...Si l’un de nous avait dit que dans deux ans Paris serait libéré, les autres auraient passé le reste de la nuit à rigo­ler ! C’était invrai­sem­bla­ble... »
Nous voici le 15 mars 1943. Valrimont a rendez-vous dans un appar­te­ment de Lyon avec Raymond Aubrac et Serge Ravanel (Ascher). Il arrive le pre­mier et se fait arrê­ter illico par la police qui a eu l’adresse par Jean-Marie Curtil, un agent de liai­son de la résis­tance arrêté deux jours plus tôt à Bourg-en-Bresse. Tous les trois sont arrê­tés, ten­tent de s’enfuir et sont repris. À la prison St Paul, ils se retrou­vent dans la même cel­lule, ainsi qu’un res­pon­sa­ble impor­tant de Combat, François Forestier (Morin). En effet une partie de l’Etat Major de l’Armée Secrète à Lyon a été arrê­tée et est inter­ro­gée par Klaus Barbie et ses hommes, qui ne doi­vent pas s’en douter vrai­ment, pour­tant ils avaient récu­péré des docu­ments précis très com­pro­met­tants appor­tés à la ren­contre clan­des­tine par Combat.
L’occu­pa­tion de la zone sud du 11 novem­bre 1942 est toute récente et la Gestapo cher­che encore ses mar­ques. D’autre part, même si de toute la France, seul un magis­trat a refusé de prêter ser­ment à Pétain, la jus­tice de Vichy reste diver­si­fiée et cer­tains magis­trats ne sont pas d’emblée acquis à la cause de l’Allemagne nazie. Lucie Aubrac, ayant réa­lisé la situa­tion, va faire libé­rer son mari le 10 mai 1942, en allant car­ré­ment ren­contrer le pro­cu­reur et lui fai­sant un chan­tage. Mais il faut libé­rer les autres res­pon­sa­bles de la résis­tance. Pour cela, Lucie intè­gre un corps franc, parmi ceux formés par le poly­tech­ni­cien Ravanel. Un stra­ta­gème est trouvé : de la nour­ri­ture ava­riée est appor­tée aux trois pri­son­niers qui doit les rendre mala­des. Et c’est ainsi qu’à l’hôpi­tal de l’Antiquaille, les mem­bres de ce corps franc, tous dégui­sés en SS, libé­rent le 24 mai 1942 Valrimont, Ravanel et Forestier. Même Raymond Aubrac a tenu à en faire partie : il neu­tra­lise le stan­dard télé­pho­ni­que, au moyen d’un revol­ver hors d’usage. Comme ses cama­ra­des qui vont cher­cher les pri­son­niers dans leur cham­bre, il se fait passer pour un poli­cier alle­mand.
« Nous avons orga­nisé une indus­trie de faux-papiers, par cen­tai­nes de mil­liers ! »
Après cette évasion com­plè­te­ment réus­sie, Maurice Valrimont doit chan­ger d’air. Il pas­sait son temps dans les trains de nuit, debout, et allait, en aven­tu­reux, dans toutes les villes de la Zone Sud, pour regrou­per des hommes capa­bles de diri­ger des forces mili­tai­res résis­tan­tes. Partout, il arri­vait sans dif­fi­culté majeure à cons­ti­tuer en réseau des états-majors mili­tai­res, avec des gens, ou bien capa­bles, ou bien se for­mant.
Et puis il y eu une aide non voulue des Allemands quand ils ont ins­ti­tué le Service du Travail Obligatoire. Le STO a été le plus for­mi­da­ble moyen de recru­te­ment de la résis­tance, parce que désor­mais cela tou­chait toutes les famil­les. Alors qu’un bon nombre de la popu­la­tion sui­vait ce que disait le régime de Vichy asso­ciant les résis­tants à des ter­ro­ris­tes, l’opi­nion a changé en 1943 avec la peur du STO en Allemagne. Pour beau­coup c’était le STO ou le maquis. On fai­sait alors appel à la Résistance qui a effec­ti­ve­ment orga­nisé des plan­ques pour les jeunes avec des faux-papiers. Et ces jeunes tout natu­rel­le­ment s’enga­geait dans l’armée secrète ; la néces­sité en a fait des résis­tants capa­bles d’agir tout de suite. La divi­sion d’emblée de la société fran­çaise en col­la­bos et résis­tants n’a pas de sens. Et sans cette indus­trie de faux-papiers [3] com­bien de dépor­tés sup­plé­men­tai­res, juifs, mili­tants, requis du S.T.O., y aurait-il eu ? La résis­tance a joué un rôle énorme.
Des sabo­ta­ges sont effec­tués sur les cen­tres de recru­te­ment du STO. Des maquis-écoles sont ins­tal­lés dans des endroits recu­lés... Valrimont jouera un rôle déter­mi­nant dans la pré­pa­ra­tion et la libé­ra­tion du ter­ri­toire. Il devient délé­gué mili­taire puis com­man­dant du Mouvement de Libération Zone Sud. Il repré­sente les MUR (Mouvements Unis de la Résistance) au sein du Comité d’action mili­taire du conseil natio­nal de la Résistance (COMAC) qui assure le com­man­de­ment des Forces fran­çai­ses de l’Intérieur (FFI). Au prin­temps 1944, avec Pierre Villon (Ginsburger) et Vaillant (Jean de Voguë) il est l’un des trois diri­geants du COMAC.
À Paris, il est chargé de la publi­ca­tion du jour­nal clan­des­tin “Action”, organe des MUR, qui conti­nuera après la libé­ra­tion, dont il assure la dif­fu­sion par­tout dans le pays, dans lequel on retrouve les signa­tu­res de Claude Roy, Vercors, Roger Vailland....

La Libération de Paris

« Nous avons tra­versé Paris avec Choltitz captif devant une foule abso­lu­ment en délire. Cette tra­ver­sée de Paris, c’est mon plus beau sou­ve­nir. »
Sur la photo, Maurice Kriegel-Valrimont, c’est le jeune homme à lunet­tes debout der­rière le géné­ral Leclerc, le jour de la Libération de Paris, tandis que leur char se fend un chemin parmi la foule, le 25 août 1944.
Début 1944, devant l’immi­nence d’un débar­que­ment allié, sur ordre de Kriegel-Valrimont, des cen­tai­nes de bar­ri­ca­des sont édifiées dans les rues de Paris en vue de gêner les dépla­ce­ments des trou­pes nazies, de favo­ri­ser le sou­lè­ve­ment des Parisiens et de faci­li­ter la libé­ra­tion de la capi­tale. Cette libé­ra­tion devient effec­tive le 25 août 1944 ; date à laquelle le géné­ral alle­mand Dietrich von Choltitz, com­man­dant de la place mili­taire de Paris, signe l’acte de red­di­tion de ses trou­pes. La signa­ture a lieu en début d’après-midi à la pré­fec­ture de police de Paris, puis dans la soirée à la gare Montparnasse.
À la pré­fec­ture de police, contre l’avis du géné­ral Leclerc hos­tile à la pré­sence de civils dans la salle réser­vée ini­tia­le­ment aux mili­tai­res, Kriegel-Valrimont impose sa pré­sence et celle de Rol-Tanguy, qui fut le pre­mier Français signa­taire de l’acte de red­di­tion, ce qui sera for­te­ment repro­ché par de Gaulle. Afin de sou­li­gner publi­que­ment le rôle joué par les civils dans la Libération, dans le véhi­cule emme­nant Choltitz depuis la pré­fec­ture de police jusqu’à la gare Montparnasse, ce der­nier est placé entre le géné­ral Leclerc et Kriegel-Valrimont.
Sa joie est tou­te­fois ternie un peu plus tard lorsqu’il apprend le décès de sa femme, tuée par les nazis lors des com­bats aux­quels donne lieu la libé­ra­tion de Marseille.
La seconde guerre mon­diale ter­mi­née, Maurice Kriegel-Valrimont refuse la pro­po­si­tion qui lui est faite d’être nommé géné­ral.

La réalisation effective du programme du Conseil National de la Résistance : une avancée sociale considérable

« Le monde d’aujourd’hui est le résul­tat direct, dans ses ins­ti­tu­tions, de la Résistance. Prenons l’exem­ple de la Sécurité sociale. Dans la situa­tion dif­fi­cile de 1945 où la France était dému­nie, on a passé outre les tié­deurs de cer­tains pour miser sur l’inves­tis­se­ment social. Cela a permis les plus remar­qua­bles des avan­cées économiques. Sans les mesu­res socia­les, il n’y aurait pas eu les Trentes glo­rieu­ses. La capa­cité de tra­vail a été encou­ra­gée par les acquis sociaux de la Libération. »
Il est vrai qu’à la libé­ra­tion, il n’y a plus d’ins­ti­tu­tions en France, il n’y a plus rien d’orga­nisé, tout était au ser­vice des Allemands... et c’est dans une évolution nor­male que la Résistance a pu mettre en place son pro­gramme social comme une énorme avan­cée. Mais la Résistance, c’est la France dans toute sa diver­sité. « Entre un sala­rié com­mu­niste et Jean de Vogüe, l’homme des deux cents famil­les, l’indus­trie sucrière, pro­prié­taire du châ­teau de Vaux-le-Vicomte, c’est un ennemi de classe. Mais, dans la mesure où nous vou­lons la libé­ra­tion du ter­ri­toire, nous nous rejoi­gnons. Un cer­tain nombre d’hommes, y com­pris d’ori­gi­nes socia­les diver­ses, pren­nent cons­cience de ce qui est majeur du point de vue de l’inté­rêt natio­nal. Mais ça c’est l’Histoire. Quand l’Histoire gran­dit, les hommes gran­dis­sent avec. Et c’est beau à voir ! »
Dans un pays à genoux, où il n’y a plus de ponts, plus de char­bon, plus d’acier, plus d’énergie... pour beau­coup c’était de la folie que de vou­loir mettre en place la sécu­rité sociale et les retrai­tes. Mais ces jeunes résis­tants n’ont pas hési­ter à bous­cu­ler les choses, ce qui montre qu’il faut faire confiance dans la jeu­nesse. « Nous sommes passés outre et nous avons fait les choses. Et la preuve a été faite que c’est grâce à la légis­la­tion sociale que les pro­grès ont été accom­plis. » Ceux qui exploi­tent les autres n’ont pas de scru­pu­les à penser que cer­tains doi­vent pro­fi­ter et d’autres subir, ce qui aggrave les empoi­son­ne­ments sociaux. Mais ce n’est pas immua­ble, et bien au contraire, il est clair désor­mais que « le fait de garan­tir des droits sociaux résout les pro­blè­mes ».
En 1945, Maurice Kriegel-Valrimont est membre de l’Assemblée Consultative, et il est un des roua­ges essen­tiels de l’appli­ca­tion du pro­gramme du Conseil National de la Résistance, notam­ment pour la fon­da­tion de la Sécurité Sociale aux côtés de Pierre Laroque, Ambroise Croizat, Georges Buisson, Henri Raynaud, Marcel Willard et de Francis Netter. Il se mobi­lise pour faire reconnaî­tre le prin­cipe de soli­da­rité, qui pren­dra forme avec les ordon­nan­ces des 4 et 19 octo­bre 1945, les lois du 22 mai, du 22 août et du 30 octo­bre 1946.
Ce per­son­nage de la résis­tance devient vice-pré­si­dent de la Haute cour de Justice en charge de juger les diri­geants du régime de Vichy.
L’anti­co­lo­nia­liste
Il fut un acteur impor­tant de la déco­lo­ni­sa­tion, notam­ment en pré­pa­rant acti­ve­ment la loi du 19 mars 1946, qui abolit le statut colo­nial de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane en les clas­sant comme dépar­te­ments fran­çais.
Lors du procès de Lyon des 4 inculpés de « l’assas­si­nat » d’Alexis de Villeneuve qui se déroule du 17 au 23 juillet 1947, Maurice Kriegel-Valrimont vient insis­ter sur le climat de vio­lence entre­tenu dans l’île par les nos­tal­gi­ques de l’époque de l’escla­vage. Il sou­li­gne qu’à La Réunion, « la misère est exploi­tée par des indi­vi­dus sans scru­pu­les qui n’hési­tent pas à recou­rir à toutes les formes de pres­sion lors des consul­ta­tions électorales, mar­quées par de gros­siè­res irré­gu­la­ri­tés ». Le vice-pré­si­dent de la Haute Cour de jus­tice réus­sit à faire par­ta­ger cette convic­tion intime que « c’est une machi­na­tion poli­ti­que qui est à la base du procès Vergès » à la cour d’assi­ses de Lyon puis­que l’avocat géné­ral renonce à « toute accu­sa­tion de com­plot d’assas­si­nat » et qu’il ne requiert que des peines cor­rec­tion­nel­les assor­ties du sursis contre seu­le­ment deux des accu­sés ; les deux autres ne pou­vant, selon lui, qu’être acquit­tés.
Le 27 décem­bre 1951, il demande au gou­ver­ne­ment de lever immé­dia­te­ment l’état de siège à Madagascar et l’amnis­tie pour les Malgaches. Il veut mettre un terme à la guerre d’Indochine par des négo­cia­tions avec le Vietminh, et le 13 mai 1954, après Dien-Bien-Phu, Kriegel Valrimont invite le gou­ver­ne­ment à pren­dre en consi­dé­ra­tion les pro­po­si­tions de paix du gou­ver­ne­ment Ho-Chi-Minh.

Son engagement communiste
et son exclusion du PCF

Pendant la résis­tance, Kriegel Valrimont avait vive­ment dénoncé la col­la­bo­ra­tion avec l’Allemagne nazie des patrons de l’indus­trie fran­çaise et notam­ment les patrons des forges. Les « De Wendel » l’avaient obligé à s’expli­quer devant le tri­bu­nal de Briey. Mais il avait été tel­le­ment applaudi par des cen­tai­nes d’ouvriers lor­rains, sidé­rur­gis­tes, mineurs, que cela lui avait fait chaud au coeur et allait l’encou­ra­ger à se pré­sen­ter comme député de Meurthe-et-Moselle. Il a été élu de 1945 à 1958 au Palais Bourbon, aux côtés de l’abbé Pierre avec qui il se retrou­vait sou­vent.
Pendant tous ses man­dats, c’est un député très actif, qui fait de très nom­breu­ses pro­po­si­tions de lois, comme celles sur la natio­na­li­sa­tion de la sidé­rur­gie, l’amnis­tie des gré­vis­tes de 1948. Il n’hésite pas à envoyer devant la Haute Cour de jus­tice pour magouilles des per­son­na­li­tés impor­tan­tes comme Henri Queuille, Paul Ramadier, Jules Moch. En 1956 et 1957, il inter­vient contre Euratom et les expé­rien­ces d’armes nucléai­res. Et en 1958, il est fer­me­ment opposé au retour de de Gaulle... Il n’est plus député sous la 5e République et devient jusqu’en 1975 sala­rié de la Sécurité Sociale.
C’est en 1946 que Maurice entre effec­ti­ve­ment au Parti Communiste, et très vite, en 1947, on l’appelle pour figu­rer au sein du comité cen­tral du PCF. L’essor com­mu­niste est consi­dé­ra­ble après la Libération, y com­pris dans cer­tai­nes zones rura­les pau­vres où la Résistance a bou­le­versé les sché­mas tra­di­tion­nels en créant sou­vent des liens forts entre ouvriers et pay­sans. Au sortir de la Seconde Guerre mon­diale, le Parti com­mu­niste béné­fi­cie en France d’une aura nou­velle. C’est le pre­mier parti de France. Aux élections légis­la­ti­ves du 10 novem­bre 1946, le PCF obtient 5 mil­lions 500.000 voix et 186 élus sur 497, alors que le MRP n’a que 172 élus et la SFIO 102 élus. Fort de son rôle dans la Résistance, il trouve logi­que­ment sa place dans le nou­veau pay­sage poli­ti­que qui se des­sine à la Libération, appuyant auprès de l’opi­nion publi­que l’image du « parti des fusillés ». Dans un parti com­plè­te­ment décimé, il n’était pas simple de gérer l’afflux d’adhé­sions nou­vel­les, dont Maurice Kriegel Valrimont avait bien sûr sa part de contri­bu­tion. Or la direc­tion du PCF, selon les aspi­ra­tions de ses tuteurs sovié­ti­ques, a pré­féré l’État fran­çais res­tauré par les gaul­lis­tes, avec sept minis­tres com­mu­nis­tes dans le gou­ver­ne­ment, pen­dant deux ans, plutôt que des ins­tan­ces issues de la Résistance pour­tant domi­nées par les com­mu­nis­tes.
En 1955, Maurice ose cri­ti­quer l’atti­tude du Parti com­mu­niste à l’égard du gou­ver­ne­ment Mendès France (traité de « ce juif » par Duclos), et milite ouver­te­ment contre le sta­li­nisme à l’inté­rieur du PCF. On le met sur la touche petit à petit. Et une soirée de 1961, dans la salle muni­ci­pale d’Auboué, en Lorraine, un diri­geant du Parti venu de Paris l’insulte en public et obtient son éviction du PCF. Il a d’ailleurs écrit un livre sur cette période : « Mémoires rebel­les » [4].
Et c’est la tra­ver­sée du désert poli­ti­que, comme pour beau­coup d’autres. Maurice Kriegel-Valrimont fai­sait partie de cette atta­chante caté­go­rie de com­mu­nis­tes que la direc­tion du PCF pré­fère morts que vivants. C’est qu’ils sont nom­breux, les orphe­lins du parti comme lui : Georges Guingoin, le préfet du maquis limou­sin, exclu en 1950, Charles Tillon, mutin de la mer Noire en 1919 puis res­pon­sa­ble des Francs Tireurs Partisans (FTP) lors de la Résistance, exclu en 1952... Au PCF, les cadres à éliminer étaient ceux qui jouis­saient d’une popu­la­rité qu’ils avaient acquise par eux-mêmes. « Des mil­lions de per­son­nes, les plus géné­reu­ses, les plus dévouées de ce pays, sont pas­sées par le Parti com­mu­niste, et l’on a assisté à un immense gâchis d’énergies mili­tan­tes. Comme si l’on avait pra­ti­qué une sai­gnée, on a privé la gauche fran­çaise de l’essen­tiel de ses forces. On a sté­ri­lisé plu­sieurs géné­ra­tions. »
Mais si Maurice se sent orphe­lin du parti, il garde en lui les idées des com­mu­nards, sans se com­pro­met­tre. « Nous par­ti­ci­pions à trans­for­mer la réa­lité quo­ti­dienne, et c’était beau. » Refusant bien sûr d’aller au PS, ni dans un « grou­pus­cule », pen­dant toutes ces années, il s’est efforcé, tout en étant tou­jours très actif, de ras­sem­bler : par exem­ple, il crée la « Ligue natio­nale contre la force de frappe » sous de Gaulle, il sou­tient la cam­pa­gne de Juquin en 1988, il lutte contre le FN... Il espère une nou­velle « force motrice » qui manque tou­jours véri­ta­ble­ment.
« Les vies mili­tan­tes sont des très belles vies. Pour tout ce que j’ai connu, je n’en vois pas de meilleu­res. Peut-être ai-je un peu d’illu­sions, mais alors lais­sez-moi mes illu­sions... »

L’appel des Résistants à la jeunesse

Maurice Kriegel-Valrimont a pris une grande part dans ce fameux Appel des Résistants :« créer c’est résis­ter, résis­ter c’est créer » de mars 2004, qui a donné un grand appel d’air, un nou­veau souf­fle, même s’il a peu été média­tisé avant la mort de Lucie Aubrac le 15 mars 2007, et même si le monde poli­ti­que ne s’en est pas emparé !
Devant la montée actuelle du racisme et de l’exclu­sion, ces com­bat­tants de la liberté ne vou­laient pas rester silen­cieux. A la fin de la guerre, ils pen­saient avoir défi­ni­ti­ve­ment vaincu le fas­cisme. Aujourd’hui, Maurice Kriegel a peur du retour de ces idéo­lo­gies : « Nous nous étions enga­gés dans la lutte pour libé­rer notre pays de ce qui n’était pas accep­ta­ble. Mais nous avions pensé à tort, après la vic­toire sur le fas­cisme en 1944/45 que la bar­ba­rie était défi­ni­ti­ve­ment défaite. »
Or défen­dre la liberté, c’est aussi pour lui pro­té­ger notre société des injus­ti­ces socia­les : « Il faut aussi que tout le monde sache que l’on ne peut pas lais­ser à l’écart du droit du tra­vail, des droits sociaux, des droits élémentaires des mil­lions de citoyens, et en par­ti­cu­lier, des jeunes, la lutte pour les liber­tés com­porte aussi le res­pect de tous les droits essen­tiels. » L’appel qu’il a signé, avec douze autres résis­tants, se veut être un nou­veau « Programme de Résistance ».
On ne peut savoir à l’avance com­ment tourne l’his­toire, mais il y a eu plein de moments où les retour­ne­ments sont rapi­des comme en 1934 où la France a l’air dans une situa­tion pré-fas­ciste, un peu comme aujourd’hui, et après la grosse manif de regrou­pe­ment syn­di­cal de février 1934, il n’a fallu que deux ans pour qu’arrive le Front Populaire. Personne ne s’atten­dait à ça.
« Et dans le monde, il existe des signes nom­breux qui mon­trent que les gens ne sont pas dis­po­sés à lais­ser faire indé­fi­ni­ment ce qui va à l’encontre de leurs inté­rêts évidents. »
« Nous avons vécu nos vies en osant des choix. C’est au tour des jeunes d’oser leurs choix. Le monde d’aujourd’hui doit trou­ver les jeunes qui met­tent en oeuvre la poli­ti­que de leur temps. Lors de l’Occupation, la France a connu la plus effroya­ble machine de répres­sion qui ait jamais existé. Nous l’avons vain­cue. Mais c’est aujourd’hui aux jeunes de s’enga­ger et de faire des choix ! »

P.-S.

Une source importante des paroles de Maurice Kriegel-Valrimont dans cet article provient d’un reportage de François Ruffin s’entretenant avec lui, pour l’émission « Là-bas si j’y suis » de Daniel Mermet sur France Inter diffusée le 2 mars 2006.

Notes


[1] On prononce « Krié-gel »
[2] On ne va tout de même pas y laisser reposer un communiste, et en plus exclu du parti...
[3] Voir L’invention du contrôle par Pièces et Main d’Oeuvre, où l’on fait référence à cette industrie de faux-papiers de la Résistance (chapitre II)[4] Mémoires rebelles, Maurice Kriegel-Valrimont avec Olivier Biffaud, éd. Odile Jacob, Paris, 1999, 265 pages.

http://rebellyon.info/Maurice-Kriegel-Valrimont-jusqu-au.html

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