lundi 1 août 2011

Les Roms plongés dans une précarité grandissante


«La règle est claire: les clandestins doivent être reconduits dans leur pays.» C'était il y a un an, le 30 juillet 2010. Nicolas Sarkozy prônait, dans undiscours prononcé à Grenoble, la«fermeté absolue dans la lutte contre l'immigration illégale». En ligne de mire, les Roms et leurs campements considérés comme des «implantations sauvages», des «zones de non-droit que l'on ne peut pas tolérer en France».

Discours de Grenoble, le 30 juillet 2010








28 juillet 2011, un campement au nord de Paris. Interdiction formelle d'en divulguer l'emplacement exact. Aucune photo, aucune vidéo. C'est le jour de la campagne de vaccination, prévue par Médecins du Monde (MdM) et la mairie. Très vite, l'équipe se confronte à un mur. Se faire vacciner contre la rougeole paraît bien secondaire. Les enfants sont presque tous malades, victimes de diarrhées. «Il faut manger du riz et des carottes! Rien d'autre!», martèle Jeanine Rochefort, médecin pour MdM. Difficile pour l'ONG de suivre correctement adultes et enfants. Depuis le début de l'année, le groupe s'est fait expulser six fois. A chaque déplacement, les adresses des centres de soins, les carnets de vaccination, les médicaments se perdent. Et les conséquences sont souvent dramatiques.
Conférence de presse de MdM, le 26 juillet 2011Conférnce de presse de MdM, le 26 juillet 2011© Cécile Alibert
Le 26 juillet dernier, Médecins du Monde tirait la sonnette d'alarme lors d'une conférence de presse. Pour son président, Olivier Bernard, une véritable «rupture» a suivi le discours de Grenoble: «Les expulsions du lieu de vie sont plus fréquentes et plus dures, et ont un effet sur la santé.» Stress, arrêt des traitements, non-suivi des grossesses..., les conséquences sont multiples et les statistiques préoccupantes. Neuf femmes roms sur dix ne sont pas suivies pendant leur grossesse et la mortalité néo-natale est neuf fois plus élevée que la moyenne française.
Sans parler des campagnes de vaccination mises à mal. Médecins du Monde a réalisé une enquête qui révèle une très faible couverture vaccinale des populations roms en France. Ainsi, seules 8% des personnes interrogées sont à jour dans leurs vaccins, ce qui provoque, d'après Jean-François Corty, directeur des missions France de l'ONG,«le retour de maladies d'une autre époque comme la tuberculose».

Une réalité inquiétante que décrit Jalila Bouzid, coordinatrice de la mission banlieue de MdM.

Ça s'en va et ça revient
La situation actuelle est due à une série de mesures annoncées à Grenoble: démantèlement de la moitié des campements illégaux en trois mois, accélération des procédures pour les détruire, impossibilité pour un Rom de bénéficier plus d'une fois à l'aide au retour.
Le 14 septembre 2010, Brice Hortefeux, alors ministre de l'intérieur, annonce à l'Assemblée nationale le démantèlement de 441 campements illicites, sur les 741 recensés en juillet 2010. En février 2011, 70% des installations illégales ont été évacuées, «dont 118 des 190 d'Ile-de-France», annonce le ministre dans Le ParisienUn chiffre qui atteint aujourd'hui les trois quarts, selon le ministère de l'intérieur, interrogé par l'AFP.
L'expulsion du lieu de vie est suivie, pour ceux en situation irrégulière, du renvoi dans leur pays d'origine. Le fichier Oscar (Outil de statistique et de contrôle de l'aide au retour), mis en place en 2010, contient les empreintes digitales des bénéficiaires de l'aide au retour, les empêchant ainsi de faire plusieurs demandes. Dans son rapport d'activités 2010, l'Observatoire français de l'immigration et de l'intégration (OFII) note une hausse de 37,9% des aides au retour volontaire en 2010. Les flux de retour sont constitués principalement de «ressortissants roumains et bulgares», en nombre comparable par rapport à 2009. Un élément que confirme le ministère de l'intérieur qui parle de 9.300 Roumains et Bulgares expulsés de France en 2009 et 9.529 en 2010.
Le nombre de Roms en France n'a ainsi pas bougé depuis plusieurs années, estime Olivier Bernard: «Il y a actuellement en France environ 15.000 personnes roms, qui sont majoritairement originaires de Roumanie et Bulgarie.» Marilisa Fantacci, coordinatrice du Collectif national droits de l'homme Romeurope, rejoint cet avis: «La dernière vague migratoire de Roms remonte aux années 1990, avec la chute de l'Union soviétique.» Depuis, le nombre de Roms dans l'Hexagone n'a pas explosé, et ce, même en 2007, avec l'entrée de la Roumanie et de la Bulgarie dans l'Union européenne. Aujourd'hui, un tiers des Roms vivent en Ile-de-France, dont environ 2.500 en Seine-Saint-Denis. Les autres se répartissent dans les grandes villes: entre 1.500 et 2.000 à Marseille, 1.000 à 1.500 à Lille, 600 à 1.000 à Lyon et Nantes.

Une situation difficile «depuis que Monsieur Sarkozy a parlé à la télé»

Alin, jeune romAlin, jeune rom© Cécile AlibertAlin, 20 ans, c'est un peu le Rom qui va à l'encontre des clichés. Gel dans les cheveux, chaussures noires vernies, chemise bleue impeccable... Une image que Médecins du Monde souhaite véhiculer pour casser les idées reçues. Depuis la conférence de presse du 26 juillet 2011, le jeune homme, qui a appris le français à l'école, en Roumanie puis en France, a enchaîné les interviews. Arrivé dans l'Hexagone en 1999, il a sillonné la région parisienne avant de s'établir dans un campement à La Courneuve.
«Depuis que Monsieur Sarkozy a parlé à la télé», sa vie a changé:«Avant, on prenait de l'eau à la borne à incendie mais la police nous l'a interdit. Maintenant, il faut aller toujours plus loin pour en trouver, demander aux gens ou dans les cafés.» La nourriture reste un problème constant: «On doit l'acheter car les gens ne nous en donnent pas. Le plus dur, c'est pour les plus petits.» Vingt enfants allaient à l'école, mais battus par leurs camarades, ils sont retournés au campement. Pour gagner sa vie, Alin se débrouille comme il peut. Le plus souvent, le jeune homme récupère de la ferraille, qu'il revend par la suite.
«Depuis l'adhésion de leurs pays à l'Union européenne en 2007, les citoyens roumains et bulgares sont soumis à des mesures dites transitoires, en France et dans neuf autres pays de l'UE. Cela entraîne une limitation à l'accès au marché du travail», déplore Marilisa FantacciLa France souhaiterait prolonger cette situation jusqu'à fin 2013. Son argument auprès de la Commission européenne: lever les mesures entraînerait des perturbations graves pour le marché du travail français. Un élément que la coordinatrice du collectif Romeurope conteste: «Il y a 4 millions de chômeurs inscrits à Pôle Emploi, la population roumaine et bulgare qui pourrait entrer sur le marché du travail est estimée entre 4.000 et 6.000 personnes, ce qui est dérisoire.» Et de citer l'exemple de l'Espagne qui n'a connu«aucun appel d'air» à la levée des mesures transitoires en 2009. 
Pas de travail signifie souvent pas d'intégration sociale. Les Roms restent au ban de la société, parqués dans ce que Marilisa Fantacci appelle des «bidonvilles», comme ce campement situé au nord de Paris où vivent environ 200 personnes d'origine roumaine, dont la moitié d'enfants. De l'extérieur, le camp est caché par des plaques de tôle. A l'intérieur, baraques en bois, caravanes et tentes servent de toits. Le sol est boueux, des bouteilles en plastique traînent, des fils électriques pendent. Dans un coin, un réfrigérateur. Quelques mètres plus loin, une machine à café. Tout au fond, une décharge à ciel ouvert. Une image que le chef du groupe ne veut pas retrouver dans les médias. Par honte? Non, plutôt par lassitude de constater que les Roms sont systématiquement assimilés à des miséreux.
En y regardant de plus près, d'ailleurs, quelques touches d'optimisme parsèment le campement. Autant le dehors peut paraître négligé, autant les intérieurs sont propres, soignés. Les lits sont faits, les couvertures pliées. Dans les allées, les enfants jouent, rient. Sur les visages, quelques sourires se dessinent. Un homme déambule, coiffé d'un chapeau de cow-boy. Les femmes portent des robes longues, toujours très colorées. Quelques-unes se teignent les cheveux, ont des boucles d'oreilles et arborent des nu-pieds tendance: «Les chaussures, c'est 5 euros au marché et la coiffure, 12 euros au bout de la rue», explique Vasilica, bientôt 26 ans, qui a quelques notions de français.
Comme Alin, cette mère de trois enfants a quitté la Roumanie il y a une dizaine d'années déjà, fuyant la pauvreté. Vasilica a vécu 7 ans en Espagne avant de venir en France: «C'est plus difficile de vivre ici. En Espagne, il y a de l'aide pour l'école, acheter à manger et des vêtements. Ici, je lave les vitres des voitures et je fais la manche.»Pour la jeune femme, rentrer en Roumanie est inenvisageable. La situation à l'Est ne s'est pas arrangée depuis la fin des années 1990, comme l'explique Alin: «Mes parents sont repartis en Roumanie depuis un an car ils devenaient trop âgés, mais c'est vraiment difficile.» Et de décrire une réalité très critique: «Il n'y a pas de travail, les salaires sont petits, environ 250 euros par mois, la nourriture est chère, les allocations familiales ont diminué, les enfants ne peuvent plus aller à l'école car il n'y a pas d'argent...»

Du « harcèlement policier » à la « délinquance »

Jalila Bouzid, coordinatriceJalila Bouzid, coordinatrice© Cécile Alibert

Difficile pour Alin de s'endormir le soir quand la police peut débarquer à tout moment. Selon Jalila Bouzid, les expulsions en Seine-Saint-Denis, département qui concentre la plus grande population de Roms, étaient déjà très fréquentes avant le discours de Grenoble. Depuis, s'y ajoute le«harcèlement policier».





Une situation que l'on retrouve également en province, comme à Marseille. «Depuis l'année dernière, il y a une vague d'expulsions massive, combinée à un phénomène inédit: le harcèlement policier», explique Cendrine Labaume. La coordinatrice de MdM à Marseille remarque une aggravation de la situation: «Ce qui est nouveau, c'est que les Roms ont interdiction de se mettre à l'abri, en s'abritant sous des tentes ou sous des bâches. Lorsqu'ils se font expulser d'un endroit, ils vont quelques mètres plus loin et s'installent sur le trottoir.»
Conséquence directe: les conditions de vie se dégradent, entraînant une gêne pour le voisinage. Cendrine Labaume constate ainsi une«absence d'empathie flagrante». Absence qui paraît compréhensible pour la coordinatrice: «L'état sanitaire se détériorant, cela crée une nuisance pour l'entourage et il devient difficile d'être solidaire. Au final, il existe une souffrance des Roms mais aussi des riverains.»
Certains témoignages de Roms vont au-delà du harcèlement et parlent de dérives. Les policiers n'hésiteraient pas à frapper les populations et envoyer des gaz lacrymogènes, même sur les enfants. Des accusations que le délégué national du syndicat Unité SGP Police réfute: «Ce n'est pas nouveau de dénoncer des violences policières. Il existe une sorte de racisme envers la police. Si un policier commet ce genre d'action, il est poursuivi.» Yannick Danio n'exclut toutefois pas l'idée d'un harcèlement et s'interroge: «Est-ce simplement un harcèlement policier ou un harcèlement policier dû à des consignes politiques? Nous avons reçu des quotas à remplir.» Selon lui, il existerait par ailleurs un harcèlement de la part des Roms: «Ils font signer des pétitions, font semblant d'être sourds et muets... Il y a un ras-le-bol général des citoyens face à ce type de comportement. Et c'est sans prendre en compte la délinquance.»
Une délinquance que tente de chiffrer une «étude policière», révélée par l'AFP le 22 juillet dernier: «La “délinquance générée par les ressortissants roumains a augmenté de 72,4% au premier semestre 2011 par rapport au premier semestre 2010», en région parisienne.«5.680 Roumains, dont une très forte majorité de mineurs, ont étémis en cause pour des larcins sur les six premiers mois de 2011, contre un total de 3.294 sur la même période de 2010.» Une réalité qui, selon l'AFP, ne fait que confirmer une tendance déjà ancienne. Le 28 juillet 2010, Brice Hortefeux avait ainsi annoncé que «les actes de délinquance perpétrés par des Roumains à Paris avaient augmenté de 259% en 18 mois».
«Il y a déjà eu une tentative de recensement dans le Val-de-Marne et nous nous y sommes opposés. On ne peut pas stigmatiser une catégorie de population», regrette Yannick Danio, qui souligne que l'étude concerne les ressortissants roumains et non directement les Roms (les statistiques ethniques étant illégales en France). 
Damien Nantes, directeur de l'association Hors la Rue, met quant à lui en avant «le flou volontairement entretenu» par l'étude: «On ne connaît pas la méthodologie. Tout est mélangé, comme la violence faite aux policiers et la charité collective. Et puis, il est question demises en cause et non de condamnations Selon lui, les chiffres peuvent s'expliquer par une volonté de surveiller de plus près une certaine catégorie de population. De plus, l'étude omet une réalité importante: «Il existe un phénomène de traite, d'exploitation des mineurs. Ce sont d'abord des victimes avant d'être des délinquants.»Damien Nantes rappelle également la situation précaire des populations: «Les mesures actuelles obligent des personnes sédentaires de culture et de tradition à être nomades. Elles n'ont pas de travail, n'ont pas d'insertion sociale, ce qui les contraint à être dans des activités de survie. Elles sont vulnérables et peuvent être exploitées.»
En résumé, cette étude s'apparente pour le directeur de l'association à de la pure «communication». Une façon, très ancienne finalement, de décrédibiliser une cause.
http://www.mediapart.fr/journal/france/310711/les-roms-plonges-dans-une-precarite-grandissante

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