vendredi 5 août 2011

Les massacrés de Hama interdits de télés françaises

Les journaux télévisés et chaines d’info continue françaises continuent imperturbablement leur couverture des événements de Syrie selon la ligne manichéenne anti-Bachar et pro-opposition qui est la leur depuis le début des troubles à la mi-mars. Apparemment sans états d’âme malgré les preuves croissantes d’actes de cruauté émanant de certains opposants, notamment à Hama, et de l’existence de groupes armés en action au moins à Hama et à Homs.

Mardi soir 2 août, le journal de France 2 donnait dans l’émotionnel et même dans le lacrymal, avec son blogueur-démocrate-syrien-en-exil pleurant devant son écran à l’annonce de nouvelles statistiques de tués (fournies certainement par l’OSDH et son efficace réseau de correspondants). On avait également droit à une douzaine de manifestants anti-Bachar à Paris et, bien sûr, au traditionnel décompte de victimes de la répression bachariste sur fond d’images de protestataires à mains nues. Au même moment sur TF1 un journaliste du Figaro explique comment Bachar et les siens s’appuient pour garder le pouvoir sur la minorité alaouite sur-représentée dans l’armée et la garde républicaine. Nous avons pris ce journal en route, mais il ne semble pas que M. Figaro ait expliqué que 1) la minorité alaouite – 10% de la population – ne suffirait pas à elle-seule à garantir la survie du régime, qui peut compter sur le soutien global de toutes les minorités, notamment chrétienne et druze, mais aussi de pas mal de sunnites qui n’ont pas envie de vivre selon la « saoudian way of life  » plus ou moins développés par les Frères musulmans et 2) les Alaouites, une des minorités les plus défavorisées de Syrie, ne sont pas tous ministres, généraux, gouverneurs, businessmen…

Mercredi 3 juillet à 13 heures, le journal  de la chaîne d’info continue BFM nous ressert, par la voix d’un correspondant arabe, le mélodrame habituel : Hama « à feu et à sang« , avec malgré tout des cortèges « immenses » de manifestants bravant les chars du régime à coup de slogans et de téléphones portables. Pour illustrer ce propos, on a droit à une colonne de fumée dans le ciel de Hama, à un homme en civil gisant sur le sol et aussi, c’est vrai, à des blindés en position dans un paysage urbain. Mais rien qui montre que les troupes ont affaire sur place à des opposants qui, à défaut de disposer de blindés, sont bien équipés en armement léger et automatique.

C’est finalement l’autre chaîne d’info continue I-Télé – annexe de Canal+ – qui fait, par rapport à ses consoeurs, montre d’un – relatif – « pluralisme » de l’information en diffusant un extrait du journal de la télévision d’Etat syrienne : l’occasion de voir pendant une minute des émeutiers armés en action à Hama, les techniciens de la télé syrienne ayant même pris soin de cercler en rouge des fusils d’assaut ou à pompe pourtant bien visibles.

Censure démocrate

Mais pas question, pas plus pour I-Télé que pour la concurrence, de montrer les images atroces et parlantes de cadavres ensanglantés balancés dans l’Oronte, depuis un pont d’Hama, par des émeutiers hurlant « Allah o Akbar ! » selon le mode islamiste. Pourtant, les journalistes français en charge du dossier syrien ont forcément connaissance de cette vidéo. Alors pourquoi ne la diffusent-ils pas ? Parce qu’il y a des doutes sur l’identification précise des événements ? On fait montre de moins de prudence quand il s’agit de présenter des bouts de manifs filmées sur portable comme la protestation de tout un peuple ! Le caractère « difficile » de ces images ? Mais nos médias n’ont jamais rechigné à montrer des victimes réelles ou supposées de la répression, exhibant notamment le corps décomposé du jeune Hamza pour faire croire à des tortures.

La raison la plus probable de cet « embargo », c’est que ces images ne vont pas dans le sens souhaité par l’establishment politico-médiatique français – et, au-delà, occidental – qui veut à tout prix que s’impose, sans restriction, sa lecture, disons américano-sioniste et quasi-hollywoodienne, de la crise syrienne. En un mot, ces cadavres-là ne sont pas géopolitiquement corrects ! Nos journalistes avaient d’ailleurs eu les mêmes réticences devant les cadavres d’une centaine de policiers ou soldats tués mi-juin à Jisr al-Choughour dans l’assaut du QG de la police par des groupes d’activistes armés : contraints malgré tout de montrer quelques uns de ces corps en uniforme, beaucoup de commentateurs s’étaient empressés de relayer la version ‘hautement crédible » des cyber-opposants, selon laquelle ces malheureux auraient été tués –  pour avoir refusé de tirer sur des civils - par d’autres militaires fidèles au régime. Chez nous, que voulez-vous, on n’aime que les victimes estampillées « démocrates », « pacifistes », « libérales », en un mot « occidentales », c’est comme ça !
C’est aussi cette forme de pudeur « démocratique » qui explique que les nombreux et – vraiment – impressionnants rassemblements de soutien au régime aient été aussi peu montrés ou commentés par nos journaux télévisé : quelques centaines ou milliers  de manifestants d’opposition à Hama, Homs ou Deir Ezzor pèsent plus lourd, dans les balances du Paysage Audiovisuel Français, que les centaines de milliers de bacharistes manifestant à Damas et dans toutes les villes du pays.

Vous avez dit « déontologie » ?

Bref, on est conduit à penser que nos médias – qui en leur temps ont relayé sans ciller les bidonnages de Timisoara, nous ont « vendu » la propagande américaine sur les armes secrètes et la puissance globale de l’armée de Saddam Hussein, qui nous ont expliqué que Kadhafi allait s’effondrer en quelques jours – pèchent gravement contre leur déontologie professionnelle sur le dossier syrien…

1) en reprenant systématiquement, sans le moindre réserve, les arguments et les chiffres d’une cyber-opposition rien moins que transparente sur son organisation, ses buts et ses subsides. Et en s’abstenant d’ailleurs de la moindre enquête sur ces cyber-activistes, dont le fameux Rami Abdel Rahmane ;

2) en passant sous silence les éléments n’allant pas dans le sens de leur analyse : existence de groupes d’opposants armés, nature idéologique de type islamiste des secteurs les plus influents et organisés de cette opposition radicale (Frères musulmans, groupes djihadistes), crime commis par les opposants ;

3) en s’abstenant de toute projection ou prospective, même les plus évidentes : si les Frères musulmans renversaient le régime baasiste, les libertés civiles et religieuses n’y gagneraient probablement rien, au contraire ce serait la porte ouverte à une situation à l’irakienne, avec guerre civile larvée et exode des minorités, notamment la chrétienne ; la déstabilisation de la Syrie entraînerait immanquablement celle de toute la région, du Liban à l’Irak en passant par la Jordanie ;

4) en passant complètement sous silence des données fondamentales comme le projet – « bushiste » mais pas remisé dans les cartons par l’administration Obama – de « reformatage » du Proche-Orient, dans le sens des intérêts de Washington et de son allié privilégié israélien ;

5) en simplifiant, d’une manière générale, à des fins sensationnalistes ou idéologiquement correctes, des situations complexes : Bachar al-Assad n’est pas son père ; la Syrie multi-confessionnelle n’est ni la Suisse ni la France ; il y a plusieurs oppositions et des revendications très diverses dans la société syrienne.

On peut faire le pari que, dans quelques mois, ou quelques années, des essayistes, spécialistes du Proche-Orient ou des médias français, viendront nous expliquer, dans ces mêmes médias, que ceux-ci se sont fait manipuler par des officines ou des puissances étrangères, qui les ont « intoxiqués » sur la situation en Syrie, comme ils les avaient intoxiqués sur l’Irak, l’Iran, la Libye, le Kosovo ou la Georgie. Et on lira des éditoriaux comme quoi les « professionnels de la profession » doivent faire preuve de prudence et d’un professionnalisme redoublé pour éviter à l’avenir manipulations et désinformations. Entre-temps, la Syrie aura peut-être plongé dans une guerre civile…

Louis Denghien


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