mercredi 3 août 2011

Lettre ouverte d'Act Up à Henri Emmanuelli

[act up-paris] Marche du 1er décembre
«Irez-vous planter des drapeaux tricolores sur les tombes des malades abandonné(e)s par la France?», demande l'association au député, auteur d'un récent rapport sur la taxe sur les billets d'avion, qui permet de financer la lutte contre le sida et le paludisme. Act-Up Paris reproche au socialiste de vouloir faire primer le «rayonnement de la France» sur l'intérêt des malades.
---------------------------
Monsieur,


Le 13 juillet 2011, vous rendiez public un rapport parlementaire, et en assuriez la médiatisation. Ce rapport porte sur la répartition de la taxe sur les billets d'avion, et notamment sur le fonctionnement d'UNITAID, facilité d'achat qui utilise ce financement pour payer la prévention et les traitements contre le sida et le paludisme. Votre travail se fondait sur un rapport de la Cour des comptes et quelques auditions de personnes concernées -même si vous n'avez pas jugé bon d'auditionner les associations qui ont une solide expérience de cette structure.
Séropositif(ve)s, malades du sida, travaillant quotidiennement avec nos pair(e)s des pays pauvres, nous avons pris connaissance de votre travail. Nous aurions pu espérer qu'un parlementaire socialiste concentre ses réserves sur tout ce qui met en péril l'accès aux traitements et l'efficacité d'UNITAID, notamment dans sa recherche de faire baisser les prix des traitements en faisant jouer la concurrence avec les médicaments génériques. Vous auriez ainsi pu évoquer les menaces sur les génériques comme les accords commerciaux bi-latéraux ou le traité ACTA, négociés par les pays riches, qui vont bloquer la circulation de copies à bas prix de traitements et remettre en cause tout ce qui a été gagné ces dix dernières années. Tous ces accords, négociés entre autres au nom de la France, sans qu'aucune consultation des citoyen(nes) ou de leurs élu(es) ne soit mise en place, auront un impact sur l'efficacité d'UNITAID: il était de votre devoir d'en parler.
Mais, alors que 7 personnes sur 10 dans le monde n'ont pas accès aux traitements contre le VIH qui pourraient sauver leur vie, alors que 15 000 personnes meurent chaque jour du sida, du paludisme et de la tuberculose, alors que l'hépatite C ravage la planète, vous avez choisi vos priorités: vous regrettez que les efforts financiers de la France au sein d'UNITAID ne soient pas plus visibles. Deux de vos cinq propositions visent à renforcer cette visibilité; aucune ne concerne l'accès aux traitements ou les génériques, fondement du travail d'UNITAID. Cette hiérarchie dans les priorités est obscène au regard de la situation réelle des personnes vivant avec une maladie grave.
Malgré vos dénégations, vous méprisez totalement l'intérêt des malades. Tout(e) responsable authentiquement soucieux(se) des personnes qui meurent faute de traitements aurait évoqué les thèmes listés ci-dessus et aurait proposé des solutions. Au lieu de cela vous consacrez une section entière sur le «rayonnement de la France».
Puisque vous tenez tant à peindre de bleu, blanc et rouge les médicaments payés par UNITAID, vous devez être logique et aller planter des drapeaux tricolores sur les tombes de tous(tes) les malades que la France a abandonné(e)s. Il aura fallu attendre 2001 pour que la France s'engage réellement, et de façon très insuffisante, dans le soutien financier à l'accès aux traitements contre le VIH. Depuis 1981, et pendant 20 ans, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont refusé de payer des médicaments. La France, ancien pays esclavagiste, ancien colonisateur, pillant encore depuis leur indépendance les pays d'Afrique et d'Asie, a une immense responsabilité dans les millions de morts que le sida a fait depuis ses débuts.
Quand on a conscience de cette histoire, quand on connaît la situation et les enjeux actuels, quand on sait que près de 70 % des personnes qui en ont un besoin vital n'ont pas accès aux traitements, on peut lire vos priorités pour ce qu'elles sont: 7 malades peuvent bien crever, tant que les trois autres remercient la France. Quelle honte!
Vos «thèses» sont déjà très répandues au sein du Front national et de l'UMP. Il est affligeant de voir que le chauvinisme le plus crasse gangrène aussi le parti qui prétend incarner une alternative l'année prochaine, et qui, dans son projet pour 2012, présente un projet de solidarité internationale vide de toute substance. Avez-vous conscience que vos propos sont les seuls qu'un socialiste ait tenus depuis longtemps publiquement sur les questions des engagements de la France vis-à-vis des pays les plus démunis? Quelles conclusions faut-il en tirer pour les prochaines élections?
Nous rendons cette lettre publique et la diffusons auprès de tous(tes) nos partenaires en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud, afin qu'elles et ils se rendent compte de ce qu'un élu «de gauche» peut dire et faire de leur vie. La honte, elle, ne tue pas. Le sida extermine; il est particulièrement bien aidé par des responsables, qui, comme vous, affichent des priorités de bac à sable et sacrifient les malades de la planète au pire des chauvinismes électoralistes.
Avec toute notre colère,
Act Up-Paris.
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/190711/lettre-ouverte-dact-henri-emmanuelli
photo : http://flic.kr/p/4bevXs

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire