lundi 1 août 2011

Un juge dépecé ; une justice démantelée



Réforme après réforme, le juge des enfants, magistrat emblématique chargé de protéger les enfants en danger et de réinsérer ceux qui avaient pu « tomber » dans la délinquance est en voie de disparition. Ceux qui avaient le projet de lui faire la peau l’auront donc emporté. Il ne restera bientôt que l’ombre de lui-même. Son nom même est voué à muer en un juge des mineurs, pour ne pas dire juge mineur.
Après la récente décision du Conseil Constitutionnel et avant celle à intervenir sur la loi Mercier adoptée ces jours-ci par le Parlement, il n’est pas inutile de faire le point sur l’état des lieux en revisitant l’histoire et de dessiner le portrait de ce futur juge. Non pas pour avancer une défense pro domo de l’institution – un instrument n’est qu’un instrument -  mais pour réfléchir où nous allons dans ce qui n’est qu’un pan de la réécriture de la République aujourd’hui en cours. En quoi la société, mais aussi les plus faibles, vont-ils en tirer partie ?
La France compte environ 450 juges des enfants, magistrats du siège spécialement nommés dans ces fonctions pour 135 tribunaux pour enfants sachant qu’il y a au moins un tribunal pour enfants par département..
Le juge des enfants date officiellement de 1945. La loi de juillet 1912 avait bien créé un tribunal pour enfants appelé à juger les moins de 18 ans – la majorité pénale est fixée à 18 ans depuis 1906 -, mais cette juridiction n’était pas composée de magistrats spécialisés. En fait, on qualifiait de tribunal pour enfants (TPE) le tribunal correctionnel de base quand il était appelé à juger des mineurs sur la base des règles spécifiques qui commençaient à émerger.
A la Libération, un tryptique est mis en place. On adopte un texte spécifique - la célèbre ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante -, on mandate une direction du ministère de la justice – l’Education surveillée détachée de l’Administration pénitentiaire et devenue depuis la PJJ – qui par ses services propres, mais aussi et surtout à travers le réseau associatif, se met à la disposition des juges des enfants.
On vit alors une époque de juges bâtisseurs : constatant le manque d’équipements les magistrats de la jeunesse de l’époque, nommés en fonction de l’intérêt pour les questions de l’enfance, suscitèrent des associations ou développèrent de nouveaux projets quand ils mirent pas eux mêmes la main à la pâte en sortant du tribunal pour prendre en charge des jeunes parfois errant dans les rues. Ils ressentirent un besoin de formation collective : le centre de Vaucresson y répondit appelant ensuite à la création du Centre national d’études judiciaires (1958) destiné à tous les magistrats et devenu depuis Ecole Nationale de la Magistrature.
Le juge des enfants dans l’utopie de la Libération devait éviter la prison aux enfants. La priorité éducative le souci de limiter au maximum le recours à une prison criminogène, et non pas d’interdire d’y recourir.
Ce nouveau juge apparaissait comme le modèle du magistrat moderne, appelé à rappeler fermement la loi s’il le fallait, mais doué d’un fibre sociale, s’appuyant sur les sciences humaines et pas seulement sur le code pénal pour accompagner les jeunes sur la durée et veiller à leur assurer l’accès au droit à l’éducation quand il leur avait manqué jusqu’alors.
 Dans cette dynamique, en 1958 une nouvelle étape majeure était franchie : le juge des enfants devenait compétent pour s’occuper des enfants en danger. La compétence exercée par le tribunal de grande instance depuis 1937  pour venir en aide aux parents en butte à leurs enfants lui était transférée, mais élargie. Il avait vocation à mettre en œuvre des mesures d’assistance éducative quand des parents étaient défaillants sans qu’il y ait matière à les déchoir. Il n’aurait pas à dire le droit mais à créer les conditions d’exercice de l’autorité parentale. Et en faisant du sur-mesure.
Conséquence : le juge des enfants aurait désormais à connaître des enfants en danger ET des enfants délinquants. Il prenait sa pleine dimension. : il n’aurait plus à attendre qu’un jeune commette un délit pour se préoccuper de lui. C’en était fini du « délit-prétexte » pour justifier son intervention. Il pourrait aussi ouvrir un dossier de protection de l’enfance quand il constaterait que le jeune se trouvait dans une séquence de vie qui l’amenait à commettre délit sur délit.
Il faut rappeler qu’en 1958 la majorité civile étant alors à 21 ans le juge des enfants pouvait suivre un jeune au-delà de sa majorité pénale.
Ajoutons que le même magistrat avait aussi, à travers la procédure de la tutelle aux prestations sociales, le bon usage des allocations.
En d’autres termes le juge des enfants avait en charge sur plusieurs années les enfants en difficulté avec comme souci de veiller à ce que leurs parents exercent pleinement leurs responsabilités. Eventuellement il veillera à leur faire prendre, sur un temps plus ou moins long,  une certaine distance,– sans rompre le lien – pour leur permettre un jour – c’était l’utopie - de retrouver leur place chez eux. Il s’appuyait sur les services sociaux, la PJJ certes mais aussi et surtout l’ASE et le secteur associatif habilité.
Idéalisée par certains, cette justice mystérieuse - les procédures se déroulent devant le juge des enfants à huis clos – en inquiétait d’autres.  Combien de fois n’ai-je pas entendu :  « Comment pouvez vous vous juger des enfants ? »
Certes le juge des enfants n’était pas en situation de monopole total, mais on pouvait dire qu’il était le personnage central de cette justice.
Ainsi en matière civile les décisions sur la filiation, l’exercice de l’autorité parentale, la tutelle ou la délégation d’autorité parentale relevaient – et relèvent toujours – du juge aux affaires matrimoniales devenu juge aux affaires familiales.
En matière pénale, le juge de police (ensuite complété par le juge de proximité) traite les petites infractions  ( les contraventions des 4 premières classes pour lesquelles une peine de prison n’est pas encourue) ; le juge d’instruction instruit obligatoirement les crimes et les affaires complexes avant de les renvoyer soit devant le Tribunal pour enfants, soit, via la cour d’appel, vers la cour d’assises des mineurs chargée de juger les plus de 16 ans accusés d’avoir commis un crime sachant que deux juges des enfants ou ex-juges des enfants y sont assesseurs.
Bref, à quelques détails près, ce juge spécialisé était le garant du continuum de la réponse judiciaire apportée au mineur délinquant ou en danger au demeurant souvent le même enfant.
Le parquet était alors très effacé. En matière pénale il se contentait de saisir le juge des enfants ou le juge d’instruction en classant de 40 à 60 % des procédures. S’agissant des enfants en danger il faisait un usage parcimonieux de des pouvoirs de protection donnés par la loi en cas d’urgence et se contentait de saisir le juge des enfants auquel il abandonnait la gestion des affaires. Peu investis dans leurs responsabilités les parquetiers tournaient beaucoup et étaient complexés par rapport aux juges des enfants qui leur en imposaient.
On est aujourd’hui bien loin de tout cela. Un mouvement de balancier s’est enclenché qui produit ses derniers effets. Spécialement, et je m’en réjouis pour y avoir appelé, le tribunal pour enfants marche désormais sur deux pieds : le parquet tient tout son rôle. Mieux- ou pire – ici comme sur l’ensemble de la justice pénale il a pris une place majeure quand tout bonnement on ne vise pas à lui confier le rôle du juge instruction. Il est déjà avec la composition pénale en situation de proposer des sanctions sous contrôle du  … juge.
Au début des années 90, le parquet, du fait des évolutions de la délinquance juvénile, a pris à bras le corps ses responsabilités pour pallier des juges soit disant défaillants. Il ne classe plus que 7% des procédures mais surtout en traite personnellement 60% à travers ce que l’on appelle la 3° voie qu’on qualifiait initialement de traitement autonome, sous entendu autonome des juges. Il est très présent sur le suivi des mineurs réitérants et pour cela la loi prévoit qu’il reçoit des comptes rendus des interventions de la PJJ destinés initialement au juge. Il a été singulièrement renforcé en substituts et s’est adjoint des délégués pour faire face à sa grande charge de travail.
En 2000 le législateur qui commence à se méfier des juges et pas seulement des juges des enfants confie la décision de détention provisoire au JLD. Le juge de l’instruction, qu’il soit juge d’instruction ou juge des enfants, n’aura plus qu’à décider de saisir ce nouveau juge. Il entrebâille la porte de la prison mais ne l’ouvre pas.
A l’inverse le Parlement va demander en 2004 au juge des enfants, au nom de la continuité éducative et judiciaire, d’être juge à part entière de l’application des peines, y compris pour les jeunes détenus, mais sans qu’il soit nécessaire que ce juge qui a condamné suive lui-même ces mesures. Il suffit un juge des enfants ! Continuum ?
A travers une série d’interventions législatives le parquet va recevoir le pouvoir de gérer l’agenda du juge (il peut délivrer via la police des convocations devant tel juge, tel jour à telle heuré pour être jugé ou mis en examen), de pousser le juge à juger dans un délai de 1 à 3 mois et, bien évidemment, il peut contourner le juge des enfants par la procédure de présentation immédiate devant le TPE : il décidera lui-même de saisir le TPE, il préparera le dossier et fixera une date. Demain il pourrait faire délivrer cette convocation par la police sans recevoir le jeune.
On ferme le dossier de protection de l’enfance quand le jeune multiplie les passages à l’acte. Il est devenu délinquant. Mieux on le traitera de plus en plus comme un délinquant adulte !
Dans ce contexte intervient la  décision du 7 juillet 2011 du Conseil Constitutionnel qui veut qu’à partir du 1er janvier 2013 le juge des enfants ne pourra plus juger comme président du TPE les jeunes qu’il y aura renvoyé quand il aura estimé que la gravité des fait ou la personnalité du jeune relèvent d’une audience plus solennelle que le jugement en chambre du conseil. Le juge qui prend cette décision de renvoi ne serait pas impartial. Il faut donc en trouver un autre (voir blog 429). On oublie que la décision de saisir le TPE s’inscrit justement dans le continuum et la cohérence éducative qu’on prétend rechercher.
Mieux ou pire, avec la loi Mercier, le tribunal pour enfants est vidé de son cœur de métier ne pourra plus connaitre des jeunes récidivistes de plus de 16 ans. Ils seront jugés par un tribunal correctionnel pour mineurs composé de trois juges professionnels dont un juge des enfants et de deux juges citoyens non formés.
Par ailleurs le rapport Varinard (2008) qui sert de référence au furur code de justice pénale des mineurs propose que les enfants de moins de 13 ans ayant commis des délits relèvent, non plus du juge des enfants, mais  d’instances territoriales qui sous l’autorité du maire prendront des mesures éducatives.
Ajoutons que la majorité civile ayant été ramenée de 21 à 18 ans en 1974, on a mis en place un dispositif pour les jeunes majeurs de 18-21 ans qui demandent de l‘aide au juge des enfants. La PJJ refusant désormais de financer les mesures, cette compétence du juge des enfants a été vidée de son contenu … sans que le décret de 1975 ait été abrogé. Il n’est pas inutile de préciser pour voir l’inversion de logique dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui,  que le jeune majeur pouvait aller demander de l’aide à « son » juge  alors même que celui-ci restant juge des enfants avait changé de tribunal.
Complétons le tableau en rappelant que la loi du 5 pars 2007 sur la protection de l’enfance, sous la pressions des conseils généraux, affirme explicitement que l’intervention judiciaire pour les enfants en danger doit devenir subsidiaire, c’est-à-dire concentrée sur les cas où les parents refusent l’intervention sociale. Il s’agit bien de lutter contre le mouvement de judiciarisation observé sur 30 ans. On en oublie de se demander pourquoi aujourd’hui l’action sociale touche souvent ses limites.
Le ministère de la justice estime lui aussi que les juges des enfants en font trop quand ils devraient s’investir plus encore sur la délinquance. A bref délai il y a tout lieu de penser que la compétence du juge des enfants en assistance éducative relèvera du juge aux affaires familiales dans le souci d’une (apparente) cohérence : de la filiation à l’exercice l’autorité parentale un seul et même juge pourrait intervenir ! Reste que dire qui doit exercer l’autorité parentale et mettre en œuvre des mesures éducatives n’est pas le même métier. Le futur juge de la famille ne pourra pas faire le sur-mesure du juge des enfants ; il devra se contenter de donner un mandat global aux services sociaux sur une durée plus oui moins longue comme aux USA.
Enfin de nouveaux dispositifs de gestion des dettes familiales ont déjà sensiblement réduit le recours au juge des enfants pour veiller au bon usage des prestations sociales perçues du chef des enfants.
Des mesures institutionnelles sont venues compléter ces dispositions juridictionnelles. Initialement la PJJ était au service des juridictions pour enfants, on a fait en sorte que sous l’autorité du préfet elle soit le bras social des politiques de sécurité, le tribunal devant y apporter sa contribution.
Symboliquement les présidents des tribunaux pour enfants ont été remplacés par des juges coordinateurs  bien replacés sous l’autorité des présidents des tribunaux de grande instance. Bref, les mutations déjà intervenues et celles engagées dessinent un tout autre juge des enfants, pardon un nouveau juge des mineurs libéré des jeunes majeurs, amputé des plus de 16 ans délinquants réitérants, soulagé au maximum sinon totalement des enfants en danger.
Le futur juge devra s’occuper principalement des enfants des 13 à 16 ans qui voleront des pommes et qui ne mériteront pas autre chose qu’un avertissement ou un suivi éducatif à travers une mesure de liberté surveillée. Dès qu’il faudra les renvoyer devant un tribunal et envisager une peine on appellera à un autre juge ! Après 16 ans, le tribunal correctionnel ou la cour d’assises pour mineurs prendront le relais.
 Il y aura bien formellement un juge spécialisé, mais dépossédé de sa mission essentielle : assurer sur la durée l’identification des besoins éducatifs - dont la privation de liberté -, doté des services compétents, connaissant ces services et capable d’en contrôler l’intervention pour en évaluer l’impact.
Dans le même temps la PJJ sera redevenue le secteur ouvert d’une grande direction de l’exécution des peines de la justice dont la colonne vertébrale sera l’administration pénitentiaire. Un jeune condamné exercera sa peine en liberté ou en milieu contraint, prison ou centres éducatifs fermés.
On se défiait du juge ; on l’a amputé, découpé, contourné et remplacé au point où aujourd’hui on recherche la cohérence passée.
Cette démarche est d’autant plus choquante que tant pour les enfants en danger que pour les enfants délinquants les résultats étaient patents. On a fait des juges des enfants et des juges en général les boucs émissaires des politiques sociales qui ont échoué.
 On aura démantelé un instrument performant quand il aurait fallu en assumer sa spécificité.
Je ne suis pas convaincu que demain les futurs magistrats se battront pour devenir juges des mineurs comme les précédents le faisaient pour être juge des enfants.
Je me demande surtout comment on rendra justice aux enfants qui, quoiqu’on en dise, avant d’être délinquants, ont d’abord pâti de graves carences. Casser le thermomètre n’a jamais fait passer fièvre !
http://jprosen.blog.lemonde.fr/2011/07/11/un-juge-depece-une-justice-demantelee-430/

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