vendredi 12 août 2011

Défausse commune : réflexions sur la réforme de la psychiatrie

P.M.D/D.S.M IV _DDC7047



Est-il possible, aujourd’hui, de jeter un regard sur l’actualité sans céder à la paresse du commentaire ? Voilà la question que l’on peut se poser au sujet de la réforme de la psychiatrie, votée tout récemment en première lecture à l’Assemblée.
Enclenchée par un fait-divers – un étudiant poignardé par un malade mental en fugue, à Grenoble, en 2008 – la réflexion présiden… pardon, gouvernementale, s’est arrêtée aux habituelles considérations sécuritaires.D’abord, par une série de dispositions visant à clarifier le niveau de responsabilité des uns et des autres en cas de sortie des malades. Ce n’est pas seulement le rôle des préfets qui s’en trouve accru, mais également celui des personnels médicaux. S’il reviendra aux premiers d’autoriser, par exemple, l’aménagement de la prise en charge de tel ou tel patient ou la levée des soins sans consentement, en
particulier pour les personnes déclarées pénalement irresponsables ou ayant séjourné dans une unité pour malades difficiles (UMD), ce sera sur l’avis préalable d’un collège de soignants, en plus du certificat médical circonstancié du médecin en charge du patient, et d’au moins deux expertises.
Idem pour les sorties individuelles accompagnées, de courte durée, soumises à l’autorisation du préfet (pour les deux premières catégories de malades décrites ci-dessus), et subordonnées à un certificat médical signé du psychiatre assurant le suivi effectif du patient en soins sans consentement depuis plus d’un an.
Première conclusion : la porosité entre le pouvoir médical et les représentants de l’État, de même que les conditions objectives de création de casiers judiciaires psychiatriques, sont désormais instituées.
Certes, dans son projet de loi, Roselyne Bachelot a souligné la garantie des libertés individuelles, à travers notamment la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention pour demander la levée d’une mesure de soins sans consentement. Mais celui-ci rendra sa détention sur les avis d’un collège de soignants et d’experts psychiatres, pour les cas les plus lourds (irresponsables pénaux, et sortants de séjour UMD). Pour les autres, lorsqu’un proche ou un tiers demandera la levée de la mesure de soins forcés, le psychiatre traitant aura désormais la possibilité de s’y opposer. Et, au vu des certificats médicaux établis par ce dernier, le préfet pourra confirmer la mesure initiale – le maintien en soins – tous les semestres.
Seconde conclusion : ce jeu de ping-pong technocratique où, soyons clairs, la question de la dangerosité sera prépondérante, rendra les perspectives de libération – je dis bien libération – très relatives, dans la mesure où les uns et les autres seront tentés de maintenir le statu quo plutôt que de prendre un risque lourd de conséquences médiatiques et électorales.
Dans un entretien accordé à Libération (23 mars dernier), Nora Berra, secrétaire d’État à la Santé, s’extasiait de cette alternative à l’hospitalisation dessinée par le projet de loi : les soins ambulatoires (c’est-à-dire à domicile) sous contrainte. « Aujourd’hui, déclarait-elle, avec les progrès des traitements et des médicaments, nous avons changé de siècle. Il est normal que les modalités évoluent. Il faut être dans une société moderne. Les malades préfèrent être pris en charge près de leur famille et de leurs proches, plutôt que d’être enfermés dans l’hôpital. »
On appréciera le terme « enfermés » 1.
Reste que si le patient rechigne à entrer dans la modernité en refusant de se shooter aux médocs, il devra retourner à son enfermement.
Troisième conclusion : l’alignement des soins psychiatriques en milieu ouvert sur les mesures de contrôle judiciaire.
Avec quelque 70 000 personnes concernées, il va de soi que cette nouvelle usine à gaz a peu de chances de fonctionner, vu le manque de moyens alloués. Mais, et comme le faisait remarquer un psychiatre dans Le Monde (30 mars), « il y a belle lurette que les lois ne sont plus faites pour être appliquées ou pour améliorer la situation de ceux qui auront à en subir les effets, mais pour afficher la force de l’État-gendarme. »
Ce médecin-chef au Centre psychiatrique du Bois-de-Bondy (Seine-Saint-Denis), par ailleurs expert auprès des tribunaux, a vu juste. Encore pourrait-il élargir son point de vue ! Car franchement, après s’être acquis les bonnes grâces de son maître judiciaire au point de gagner, au cours du siècle passé, une influence énorme sur le processus pénal, les experts psychiatres n’étaient-ils pas appelés, tôt ou tard, à payer la rançon de la gloire ? Les petits juges comme Fabrice Burgaud, et autres directeurs des services pénitentiaires comme celui de Rennes 2 ne veulent plus se sentir seuls à l’heure de rendre des comptes. En cas de pépin, ils tiennent désormais à garder, à portée de main, les experts qui les ont inspirés, ne serait-ce que pour amortir leur propre chute.
Nombreux à protester contre la réforme de la psychiatrie – « nuit sécuritaire », « grand enfermement », « retour de l’asile »… – les personnels hospitaliers mesurent-ils à quel point la liquidation des services publics de santé menace l’ensemble de la communauté, malades comme soignants ? Affectée par la réorganisation incessante des services, confrontée au manque de moyens financiers et humains, avec son lot de stress, de dépressions, voire de suicides, la profession doit aujourd’hui « gérer » – comment dire ça autrement ? – des personnes en grande souffrance morale et psychique, que le pouvoir traite désormais comme une nouvelle classe dangereuse. À mauvaises conditions de travail, mauvais soins, sauf qu’il ne s’agit pas de la grève du zèle si chère à Émile Pouget, mais d’un sacrifice collectif institutionnalisé.
Les malades mentaux sont avant tout des victimes. Victimes d’une raison qui s’est égarée, dont les ressorts échappent encore, parfois, aux médecins les plus compétents. Mais aussi, car cela arrive, victimes d’une raison économique de plus en plus violente, de plus en plus vorace, qui pressure les corps et les esprits, jette les perdants au chômage, à la rue, aux désespoirs divers. Autant de candidats à la folie qui, telles ces falaises de craie attaquées par la mer, finissent un jour par s’écrouler.
Et nous, qui avons encore toute notre tête, allons-nous nous focaliser sur les murs des asiles qu’on redresse, en oubliant les parois de cette prison bien plus vaste dans laquelle nous sommes – quelle terrible locution ! – condamnés à vivre ?

1. Il n’est pas anodin. En novembre 2010 s’est ouvert, au centre hospitalier de Sarreguemines (Moselle), la première unité de soins intensifs psychiatriques (USIP) pour malades mentaux dangereux – ou « unité pour malades agités perturbateurs », dans le jargon professionnel – de la région Est. La direction de l’établissement annonce fièrement le délai, record, de trois mois de séjour avant que les patients puissent retrouver leur milieu d’origine et être soignés pour d’autres pathologies plus classiques. On verra si, en trois mois, la médecine moderne est capable de soigner autrement qu’à doses de stupéfiants, on verra également si les malades ne seront pas amenés, finalement, à entrer et sortir de ces USIP comme dans autant de salles de shoot, au petit malheur la malchance. Hélas, ce type de structure hautement sécurisée anticipe probablement ce que seront à l’avenir les soins aux malades dits dangereux…
2. Respectivement, affaire d’Outreau et affaire Tony Meilhon. Burgaud a certes été sanctionné – une réprimande inscrite dans son dossier, brrr… – avant de poursuivre sa carrière comme substitut au Parquet de Paris. Le directeur de taule limogé n’a, à mon avis, pas trop de souci à se faire.



André Sulfide

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