lundi 10 octobre 2011

«Commandos brosse à dents»: le fichage ADN façon corse


En matière de vigilance vis-à-vis des prélèvements ADN, la Corse fait figure de département pilote. Le 4 septembre 2011, quand la Ligue des droits de l'homme (LDH) a organisé au pied levé un rassemblement contre le fichage systématisé, autour de l'affaire Plasenzotti (un étudiant qui a refusé le prélèvement ADN en garde à vue), élus nationalistes et de gauche, organisations syndicales et responsables associatifs ont aussitôt répondu présent.

Le député-maire PS d'Ajaccio s'est même fendu d'une déclaration contre les prélèvements systématiques d'ADN sans relation avec les faits présumés. «Sur un plan moral, comme sur un plan éthique, ces prélèvements constituent une forme de confiscation de ce qui compose l'identité de chacun d'entre nous», a déclaré Simon Renucci.

«En Corse, il y a une grande sensibilité sur ces questions d'ADN, car nous avons connu à plusieurs reprises des conflits sur le plan politique et syndical qui ont provoqué une prise de conscience de la population, explique André Paccou, délégué de Corse de la LDH. Notamment, car il y a eu une entreprise consistant à systématiser les prélèvements chez les militants nationalistes pour pouvoir faire des rapprochements sur des lieux d'attentat, et parfois au mépris du respect des procédures.»

Depuis une dizaine d'années, les militants nationalistes corses refusent par principe les prélèvements ADN, malgré la sanction encourue (15.000 euros d'amende et un an de prison).

«C'est une démarche de désobéissance civile face à un fichier, à l'origine protecteur, mais devenu attentatoire aux libertés individuelles, syndicales et politiques», explique Me Jean-Guy Talamoni. Militant du parti indépendantiste Corsica Libera, l'avocat a défendu avec succès plusieurs militants ayant refusé le fichage.

«Nous pensions engager un bras de fer avec la justice, mais à notre grande surprise, il n'a pas eu lieu, car nous avons obtenu énormément de relaxes des tribunaux, suivis par la Cour d'appel de Bastia», explique-t-il.

En avril 2011, la Cour d'appel de Bastia a ainsi relaxé quatre militants nationalistes qui comparaissaient pour refus du prélèvement en garde à vue. Elle a également allégé à une amende de 1000 euros la peine d'Alain Mosconi et Felix Da Gregorio.

Condamnés pour avoir détourné en 2005 un bateau de la SNCM, lePascal Paoli, lors d'un conflit musclé sur le port de Marseille, les deux syndicalistes avaient ensuite refusé de figurer dans le Fnaeg. Ils avaient été condamnés en première instance à un mois de prison ferme pour ce refus.

«En regroupant ces affaires lors d'une audience, exceptionnellement tenue par le premier président de la cour d'appel, les juges ont vraiment voulu infliger un camouflet au parquet, estime Jean-Guy Talamoni. Ce qui est mis en cause est le fait de généraliser le fichage ADN pour des raisons de commodités procédurales pour les policiers et les magistrats.»

Une jurisprudence corse dont s'inspirent désormais les avocats sur le continent.

«Commandos brosse à dents»

Devant ces refus systématiques, les forces de l'ordre ont, elles, adopté une autre tactique, également en cours dans d'autres départements : saisir, lors de perquisitions, des objets personnels (caleçons, brosses à dents, etc.) en vue de comparaison ADN. Une pratique à la limite du détournement de procédure, même si la commission rogatoire donnée par le juge d'instruction permet de prélever tous les éléments «pouvant être utiles à l'enquête».

La LDH parle ironiquement de «commandos brosse à dents». «En 2007-2008, on a dénombré une trentaine d'interventions de la police antiterroriste qui débarquait à 6 heures du matin chez les militants, fracassait les portes, les sortait du lit, les mettait en garde à vue, et filait droit à la salle de bains récupérer des effets personnels pour recueillir l'ADN», raconte André Paccou.

Des pratiques qui existent toujours selon le militant nationaliste Jean-Toussaint Plasenzotti dont le fils, mis en garde à vue le 5 juillet 2011, a refusé de donner son ADN. «Ils ont tenté à quatre reprises de prendre son ADN de manière détournée, notamment dans une autre enquête concernant un jeune cousin de mon fils accusé de vol, raconte Jean-Toussaint Plasenzotti. Mon fils avait été convoqué à la brigade de gendarmerie d'Ajaccio à propos de ce vol, et à l'issue de l'audition, ils ont voulu prendre son ADN. Comme il a refusé, les gendarmes sont venus à la maison sur des raisons stupides, avec une commission rogatoire ouverte sans nom, ni motif. J'ai dû les empêcher de prendre les savates de mon fils et ils ont eux-mêmes reconnu qu'ils étaient venus prendre de l'ADN.»

A Ecully, le laboratoire de la police scientifique où est géré le fichier national automatisé des empreintes génétiques, ce mode opératoire laisse dubitatif. «On peut imaginer qu'il y ait eu des envies, mais il y a une traçabilité, explique Gérard Lagarde, du syndicat Unité SGP Police. L'opérateur au labo doit confirmer que le prélèvement a été fait dans un cadre légal, donc il y a peu de chances que ce type de prélèvement ADN soit accepté à des fins de comparaison.»
Il faut dire que policiers et gendarmes ne font pas toujours dans le détail. En 2008, après la diffusion d'un communiqué du FNLC par France Bleu Frequenza Armora, les policiers antiterroristes avaient tenté de prélever l'ADN de toute la rédaction à Bastia !

«Nous avons toujours eu un journaliste authentificateur, qui connaît le lieu précis de dépôt des communiqués et qui dispose d'un code, explique Pierre-Louis Alessandri, délégué SNJ dans la radio. Il est régulièrement interrogé par les policiers mais ce jour-là ils ont tenté d'étendre leur investigation à l'ensemble des journalistes. Ça s'est arrêté devant le tollé, même le président de Radio France avait protesté !"

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