mardi 11 octobre 2011

« J’entends encore le cri des morts »


C’est un récit terrifiant qui hante leurs nuits, devenues blanches. Youcef, Hassem et Habib, trois Tunisiens rescapés de l’immeuble incendié de Pantin, ne sont pas près d’oublier cette journée du mercredi 28 septembre. Il est un peu moins de six heures du matin quand le feu attaque la bâtisse d’un étage. Lorsqu’il est éteint par les pompiers une heure et demie plus tard, six migrants sont décédés dans des conditions atroces. Quatre Tunisiens sont morts carbonisés ; deux Égyptiens, asphyxiés.

Le plus dur, ce sont les cris. Les appels à l’aide, puis les hurlements de douleurs. Ce sont ces voix qui poursuivent les rescapés et les témoins du drame. « J’entends encore le cri des morts » souffle Youcef. Ce grand gaillard de 22 ans au visage émacié est originaire de Sfax, capitale économique du Sud tunisien. Il a rejoint la France pour y faire des études il y a déjà deux ans. Des « vents tournants » l’ont poussé jusqu’à ce squat de la banlieue parisienne.


Pour mieux raconter, il faut dessiner. Youcef attrape un cahier pour y crayonner un plan de la maison : l’escalier qui mène à l’étage, où se trouvent cinq pièces autour d’un couloir. Le feu a pris dans la « chambre de l’égyptien » et a rapidement gagné le couloir, où Youcef dormait. « Je me suis réveillé à cause de la chaleur. Les flammes étaient déjà très grandes. C’était comme dans les films, quand l’acteur fuit avec des flammes de tous les côtés. » Pour échapper au feu, le jeune homme parvient à sauter par la fenêtre du premier étage. D’autres n’auront pas cette chance. D’après la topologie des lieux dessinés par Youcef, ce sont les personnes situés dans des pièces aux fenêtres grillagées qui ont trouvé la mort. Quatre tunisiens, qui dormaient dans la chambre du fond, se retrouvent prisonniers des flammes. Dans une autre pièce, donnant sur le passage, ce sont deux Égyptiens qui se retrouvent bloqués. « L’un d’eux tendait sa main à travers les barreaux en appelant à l’aide », se souvient Youcef, hanté depuis par cette image.

« Comment on peut dire ça à des gens en train de griller ? »

Pendant ce temps, Hassem calcule. Récemment arrivé en France, ce jeune tunisien de 23 ans s’est échappé dès qu’il a senti la fumée, «beaucoup de fumée». Dès lors, il attend les pompiers qui, dit-il, mettront plus de vingt minutes à arriver sur place et quinze autres à sortir leur lance à incendie. Youcef leur hurle sa douleur et insiste pour montrer les entrées du squat. « Laissez faire les professionnels » lui aurait-on répondu. Mais au fur et à mesure, les cris se font moins forts. Un riverain confirme cette version des faits : « Les gens hurlaient et les pompiers leur disaient de se calmer. Comment on peut dire ça à des gens en train de griller ? Ils ont mis un temps fou à entrer dans le bâtiment. » Ému, ce quinquagénaire marocain remet en place les bouquets de fleurs déposés devant l’immeuble noirci par les flammes. Depuis quatre jours, il essaye de consoler sa femme qui ne cesse de pleurer «à cause des cris des gens que personne n’a aidé». Sur la maison, des mains anonymes ont déposé quelques messages : « Ils sont venus trouver la liberté, ils ont trouvé la mort », « France, terre d’asile, où l’on meurt pour rien et atrocement. J’ai honte ».

Sauvé des flammes, les survivants se sentent aujourd’hui rejetés, méprisés, humiliés. « Quand je suis sorti, je n’avais qu’un pantalon, ce sont les voisins qui m’ont donné des vêtements, ce n’est pas normal », s’énerve Youcef. Sans même passer par l’hôpital, les survivants sont embarqués au poste. Ils y resteront plusieurs heures avant de pouvoir, enfin, voir un médecin.

100 € pour avoir échappé aux flammes...

Ce n’est pas le cas d’Habib. Ce garçon de dix-neuf ans au visage juvénile s’est tordu la jambe en sautant du premier étage. Une béquille dans chaque main et un bandage sur le pied, il raconte aujourd’hui qu’une fois sorti de l’immeuble en flammes, il a fui, effrayé par la présence policière. Mis à la porte par son oncle qui l’a fait venir en France, Habib n’a plus d’endroit où aller. Le petit pécule donné par la mairie a vite fondu et le il n’a rien mangé depuis la veille. 100 € pour avoir échappé aux flammes ? Les rescapés vivent ce don comme une humiliation. « On dirait qu’on est venu faire la charité alors qu’on aurait pu brûler » lâche Youcef. A la mairie, on se défend de pouvoir faire plus. « Les collectivités n’ont pas d’argent liquide » justifie Philippe Bon, directeur de cabinet du maire socialiste, Bertrand Kern.

Outre cet argent, la ville a mis en place une aide sociale, humanitaire et sanitaire. Une cellule psychologique serait ouverte à l’hôpital Avicenne de Bobigny, cellule dont les rescapés ne savent rien... Les vingt survivants dorment dans un stade de la ville, en attendant un logement plus pérenne qui doit leur être trouvé par une association. Sur leur situation administrative - beaucoup sont en situation irrégulière - la ville renvoie la balle à l’État. « Cela relève du préfet » poursuit Philippe Bon, qui précise que l’ambassade de Tunisie à Pantin a promis la délivrance de nouveaux passeports.

Afin de rentrer au pays ? Pour Habib, Youcef et Hassem, il n’en est pas question. Les trois jeunes hommes se sont lourdement endettés pour venir en France et ils ne peuvent dignement rentrer en Tunisie. Ils restent ici avec un seul projet : « connaître la vérité et la justice ».

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