Le 1er mai 2004, dix pays |1| ont rejoint une Union européenne (UE) en pleine expansion. Cette date marque une étape historique dans le processus d’intégration européenne. Un des éléments clés de ce processus d’élargissement a été l’engagement des nouveaux membres d’intégrer l’Union économique et monétaire européenne (UEM) au cours des années suivantes. Dans ce but, les pays s’engageaient à atteindre les critères de convergence établis par le traité de Maastricht |2|.
Une fois entrés dans l’Union européenne, les nouveaux États membres (NEM) ont fait l’objet d’un traitement spécial de la part des investisseurs internationaux. En tant que nouveaux membres de l’UE et futurs membres de la zone euro, ce groupe de pays a été considéré par les marchés comme faisant partie d’une catégorie différente du reste des pays émergents. Ces dix dernières années, des flux massifs de capitaux sous forme d’investissements et de crédits bancaires se sont dirigés vers les NEM.L’enthousiasme des investisseurs internationaux envers les NEM a brutalement pris fin au second semestre 2008 lorsque les ondes de choc de la crise financière née aux États-Unis ont atteint la région. Des économies, qu’on estimait encore quelques mois auparavant dotées de fondements macro-économiques solides, ont tout à coup été confrontées à un environnement radicalement différent. Du fait de leur niveau élevé d’endettement externe et de problèmes de déficit de leur balance courante, les NEM sont alors devenus l’équivalent international des crédits subprime aux États-Unis. L’absence de contrôle sur les mouvements de capitaux et de régulation du système bancaire a facilité l’apparition de bulles de crédit et de bulles financières responsables des sérieuses difficultés économiques qui ont affecté ces économies.
En fait, la croissance de la dette publique en Europe de l’Est a été provoquée par l’éclatement de la bulle financière créée par une poignée d’institutions financières européennes. Le chapitre se divise ainsi en 3 parties. La première analyse l’évolution des flux internationaux de capital vers les NEM. Dans une seconde partie, on passera en revue l’impact des flux de capitaux sur ces économies en mettant l’accent sur l’évolution du crédit au secteur privé. L’analyse des tendances de la dette publique dans le contexte de bulle financière et de la crise financière postérieure qui a sévèrement affecté les NEM au cours des dernières années sera analysée dans une troisième partie.
Financement externe et expansion du secteur bancaire européen
Graphique 1 Financement externe net – pays européens émergents (en milliards de dollars) |3|
Malgré la similitude dans le profil de financement entre ce groupe de pays et d’autres pays européens en difficulté comme l’Espagne ou l’Irlande, il existe cependant une différence clé. Dans le cas de pays comme l’Irlande ou l’Espagne, le financement externe a soutenu l’expansion d’entités financières nationales. En Europe de l’Est, le crédit externe est le produit de la vente du secteur financier national à des investisseurs étrangers. En 2009, environ 70 % des institutions bancaires des NEM appartenaient à des institutions bancaires étrangères |4|. L’absence de régulation de la part des maisons-mères des entités bancaires et des gouvernements des pays d’Europe de l’Est a créé les conditions pour une expansion du crédit bancaire telle qu’on l’a connue.
C’est ainsi que l’endettement externe des NEM auprès d’entités bancaires européennes a continuellement augmenté jusqu’à atteindre des niveaux significatifs à la fin de la décennie. En 2008, près de 80 % de la dette externe résultait de crédits bancaires. L’endettement auprès d’entités bancaires européennes représentait cette année-là en moyenne 89 % du PIB des NEM. Les cas les plus frappants sont ceux des pays baltes comme la Lettonie et l’Estonie où la dette vis-à-vis des banques étrangères représentait respectivement 120 et 140 % du PIB |5| .
Il faut souligner que les banques locales responsables de cet endettement externe sont dans la majorité des cas des filiales des grands groupes bancaires européens. C’est la conséquence du fait qu’une partie importante du crédit octroyé pendant la première moitié de la décennie au secteur privé des NEM était libellé en euros. Etant donné qu’aucun pays du groupe n’avait encore adopté l’euro, cela impliquait que les banques actives dans ces pays devaient capter des ressources de l’étranger, particulièrement de leurs maisons-mères, pour ensuite faire des prêts au niveau national. La croissance rapide de la dette externe a ainsi servi de support à l’expansion d’importantes entités bancaires européennes dans le groupe des nouveaux pays membres de l’UE.
Les caractéristiques de l’exposition d’entités bancaires européennes aux crédits des pays émergents européens permettent de diviser les pays en deux groupes. D’une part, on trouve les pays baltes qui ont les niveaux d’endettement externes les plus élevés et dont les principaux créanciers sont des banques suédoises. Au total, 73,5 % des crédits étrangers des banques suédoises étaient concentrés en Lettonie, Estonie et Lituanie pour un montant équivalent à 20 % du PIB de la Suède |6|. D’autre part, on trouve les pays d’Europe centrale dont les principaux créanciers sont l’Autriche, l’Italie et la Belgique. Les crédits à l’Europe centrale représentent respectivement 91,6 %, 86,4 % et 68 % des prêts extérieurs de ces pays. Lorsqu’on compare avec les PIB des pays créanciers, les crédits représentent 70 % de celui de l’Autriche, 10 % dans le cas de l’Italie et 26 % dans le cas de la Belgique |7|.
Ces chiffres montrent l’importance des opérations dans les NEM pour les banques européennes. Si l’expansion dans ces pays a permis une augmentation significative des profits des banques, les problèmes apparus à partir de 2008 ont mis en jeu leur propre survie. Dans la partie suivante, on analysera comment le processus d’endettement a eu lieu et quel a été son impact sur les économies d’Europe de l’Est.
Crédit privé et spéculation
Graphique 2 Dette privée en % du PIB, NEM 2000-2009 |8|
L’augmentation rapide du crédit a eu à son tour d’importantes répercussions sur les économies. Les prêts à faibles taux d’intérêt libellés en euros ont donné lieu à une vague de spéculation sur le marché immobilier et boursier. La croissance rapide des crédits hypothécaires, à des taux annuels qui dans le cas de l’Estonie et de la Lettonie dépassaient les 60 %, favorisait une augmentation des prix de l’immobilier. Ces prêts ont été jusqu’à augmenter de 25 % par an au cours de la période 2001-2006 |9|. Pendant ce temps, les Bourses régionales connaissaient une euphorie sans précédent avec une croissance de plus de 300 % au cours de la période.
Ainsi, le financement externe, le crédit interne et l’augmentation rapide du prix de plusieurs catégories d’actifs se sont combinés pour former un modèle de croissance économique élevée et de profonde instabilité financière. Au cours de la période 2001-2007, le taux de croissance annuel moyen du groupe des NEM était de 5,2 %. Si on le compare avec le reste des régions en développement, il n’a été inférieur qu’à celui des pays de l’Asie du sud-est. La différence entre les deux régions tenait au fait qu’alors que ces économies asiatiques avaient consolidé leur croissance par leurs exportations, la poursuite de la croissance des pays de l’Europe de l’Est dépendait entièrement du crédit externe |10|.
Tout comme cela avait été le cas lors de précédentes crises financières, la forte croissance économique a justifié l’entrée de plus grandes masses de capitaux, ce qui a intensifié le cycle spéculatif en cours. Cependant, comme on l’a déjà noté, tout le schéma économique reposait sur la capacité de ce groupe de pays à continuer d’augmenter son niveau d’endettement. La crise née aux États-Unis en 2007-2008 a mis fin à cette situation. Au beau milieu de la panique financière, les banques européennes ont commencé à geler leurs lignes de crédit et à réduire leur exposition à l’égard des NEM. Le crédit au secteur privé a brutalement pris fin et avec lui la consommation et l’investissement privés. Les NEM étaient officiellement entrés en crise.
Crise économique et dette publique
La médiatisation des problèmes de finances publiques et la sévérité des plans d’austérité laisseraient penser que la croissance de la dette publique est la principale difficulté des NEM. Néanmoins, comme on l’a vu auparavant, la dette publique ne joue pas un grand rôle dans l’accumulation des déséquilibres qui ont conduit à la crise. Le graphique 7-3 confirme cette affirmation. Lorsqu’on observe l’évolution de la dette publique en pourcentage du PIB pour la période 2000-2009, il est clair que, dans la majorité des cas, on pouvait relever une tendance à la baisse du ratio dette/PIB avant la crise financière. Une fois que la crise a fait sentir ses effets, la tendance s’est inversée et on constate des augmentations significatives de la dette publique dans les différents pays au cours des deux dernières années.
Graphique 3 Dette publique des NEM en % du PIB, 2000-2009 |11|
L’explication de ce phénomène réside dans l’effondrement de l’activité économique après le gel virtuel du crédit externe. En l’espace de seulement deux ans, le crédit bancaire externe net est passé de 380 milliards de dollars à une sortie nette de capitaux atteignant 42 milliards de dollars. Cet effondrement brutal du niveau de ressources externes disponibles a conduit à une baisse du PIB d’en moyenne 7,37 % entre 2008 et 2009. Cette baisse a été si sévère que l’on n’espère pas retrouver avant 2015 les niveaux d’avant la crise. D’autre part, la chute de l’activité du secteur privé a eu une incidence importante sur les finances publiques car les recettes provenant de l’impôt ont diminué significativement. Le déficit public des NEM est passé de 2,8 % du PIB en 2008 à 6,4 % en 2009 et permet d’expliquer l’augmentation de la dette publique au cours des dernières années.
L’augmentation de la dette publique est le résultat, et non la cause
Ces chiffres montrent qu’après des années d’excès de la part du secteur privé et des entités financières, ce sont les gouvernements des pays affectés par l’effondrement de l’économie régionale qui ont payé la note. La position du FMI et de la Commission européenne qui met l’accent sur la stabilité budgétaire est ainsi complètement erronée. L’augmentation du déficit budgétaire et avec lui de la dette publique est le résultat, et non la cause, de la dépendance excessive et insoutenable du secteur privé envers le crédit externe, qui est le principal problème structurel auquel font face les économies des NEM. Tant que ce problème ne sera pas résolu de manière satisfaisante et que les niveaux d’endettement du secteur privé dans ces pays ne seront pas significativement réduits, les coupes dans les dépenses publiques ne feront qu’aggraver la situation. En éliminant la seule source stable de la demande globale, les plans d’austérité affaiblissent le processus de reprise économique et font porter l’effort uniquement sur la population salariée et les allocataires sociaux.
Il est ainsi intéressant de signaler le rôle de l’augmentation de la dette des NEM dans l’expansion du secteur bancaire européen. Au cours de la dernière décennie, l’augmentation de la dette privée a été au cœur de l’expansion et de la rentabilité du secteur bancaire européen. Aujourd’hui, et pour les années à venir, l’augmentation de la dette privée servira à garantir la survie de ces mêmes banques après l’explosion de la bulle du crédit privé. En garantissant les dettes initialement contractées par le secteur privé, les gouvernements de ces pays cautionnent des années d’excès et de spéculation.
Ce cadre d’analyse laisse clairement voir que les vraies raisons de la mise en œuvre des plans d’ajustement a peu à voir avec une saine gestion des finances publiques. Il s’agit en réalité de s’assurer que les États destinent la plus grande quantité de ressources au paiement de la dette. Aux yeux des dirigeants européens, la survie des banques suédoises, autrichiennes, belges et italiennes doit passer avant les besoins de millions d’Européens dont les vies ont été bouleversées par la crise.
Notes
|1| À cette date, la République tchèque, Chypre, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, Malte, la Pologne, la Slovénie et la Slovaquie ont été officiellement acceptés comme membres de l’Union européenne. Le traité autorisant leur intégration a été signé le 16 avril 2003.
|2| Le traité de Maastricht de 1992 représente le point de départ de l’UEM. Cet accord fixe quatre critères qu’un pays doit remplir pour accéder à l’UEM : 1) la dette publique du gouvernement central doit être inférieure à 60 % du PIB ; 2) le déficit public ne doit pas dépasser 3 % du PIB ; 3) les taux d’intérêt à long terme ne doivent pas dépasser de plus de 2 points ceux des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix ; 4) le taux d’inflation ne doit pas dépasser de plus de 1,5 point celui des trois États membres présentant les meilleurs résultats en matière de stabilité des prix.
|3| Source : Institut de la finance internationale (2005), (2008), (2010), « Capital Flows to Emerging Markets ».
|4| BRI, “Capital Flows and Emerging Market Economies”, Committee on the Global Financial System, CGFS Papers n°33, 2009.
|5| Financial Times, ¨Eastern Europe 1¨, 17 février 2009.
|6| Zsófia Árvai, Karl Driessen et İnci Ötker-Robe, “Regional Financial Interlinkages and Financial Contagion Within Europe”, IMF WP/09/6, 2009.
|7| Voir l’article du Financial Times référencé en note 5.
|8| Source : Vladimir Gligorov and Michael Landesmann, ¨The Three Debts : A look from the East¨, WIIW Policy Note n°4, Département d’économie de l’Université Johannes Kepler de Linz, 2010,www.econ.jku.at/members/Land...
|9| György Szapáry et Zsolt Darvas, “Euro Enlargement and Euro Adoption Strategies”, Economic Papers EMU@10 Research, Bruxelles, 2008.
|10| On a assisté au même phénomène dans le cas de la Grèce (voir chapitre 5) et dans une moindre mesure pour le Portugal et l’Espagne.
|11| Source : Eurostat.
P.-S.
Traduction Virginie de Romanet en collaboration avec Audrey Dye
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