mardi 19 juillet 2011

Kanakÿ : une lettre oubliée de Pierre Messmer

                                  Nouvelle Caledonie  et Dependances 10c

Mort le 29 août 2007, Pierre Messmer, grand com­bat­tant de la pre­mière heure contre le nazisme, après 1945, en tant que haut-fonc­tion­naire, a accom­pa­gné la déco­lo­ni­sa­tion, de l’Indochine fran­çaise à l’Afrique, en s’effor­çant de pré­voir le main­tien de l’influence fran­çaise. Ministre des armées de De Gaulle, il s’est opposé au putsch des géné­raux de 1961 en Algérie, et semble avoir dis­suadé le grand Charles de faire appel à l’armée en 1968. La suite est moins glo­rieuse.

Sous Pompidou, d’abord minis­tre des Dom-tom en 1971, il fut pre­mier minis­tre de 1972 jusqu’à la mort du pré­si­dent en 1974. On retien­dra qu’il a engagé la France dans le tout-nucléaire en lan­çant le chan­tier de 13 cen­tra­les nucléai­res. Et en 1972, et oui en 1972, il entre­prit de colo­ni­ser la Nouvelle Calédonie, comme le montre la lettre à Xavier Deniau, reprise ci-des­sous. Colonisation mas­si­fiée sous Giscard, qui conduit jusqu’à aujourd’hui à une situa­tion ter­ri­ble pour les Kanaks mar­gi­na­li­sés et ostra­ci­sés sur leur propre terre !

Pour Messmer, les Kanaks, qui peu­plent cet archi­pel depuis près de 5 000 ans, c’est moins que rien, ils n’exis­tent pas. Ou plutôt ils ne sont là que pour se révol­ter. C’est une jus­ti­fi­ca­tion ter­ri­ble de la pour­suite de l’apar­theid, du racisme, de la spo­lia­tion, de l’exploi­ta­tion, du pillage, de la répres­sion, des exac­tions, des assas­si­nats [1] qu’ont dû subir les Kanaks sur leur terre qui, ne l’oublions pas, fut un bagne [2] avant de deve­nir ter­ri­toire d’outre-mer. [3]

Ce qui n’empê­chera pas Messmer d’être élu à l’Académie des scien­ces mora­les (!) et poli­ti­ques en 1988, et de finir à l’Académie fran­çaise où il fut élu en 1999.

Dans une lettre du 19 juillet 1972, Pierre Messmer, alors Premier ministre, écrit à son secrétaire d’État aux DOM-TOM :

« La Nouvelle-Calédonie, colo­nie de peu­ple­ment, bien que vouée à la bigar­rure mul­ti­ra­ciale, est pro­ba­ble­ment le der­nier ter­ri­toire tro­pi­cal non indé­pen­dant au monde où un pays déve­loppé puisse faire émigrer ses res­sor­tis­sants.

Il faut donc saisir cette chance ultime de créer un pays fran­co­phone sup­plé­men­taire. La pré­sence fran­çaise en Calédonie ne peut être mena­cée, sauf guerre mon­diale, que par une reven­di­ca­tion natio­na­liste des popu­la­tions autoch­to­nes appuyées par quel­ques alliés éventuels dans d’autres com­mu­nau­tés eth­ni­ques venant du Pacifique.

À court et moyen terme, l’immi­gra­tion mas­sive de citoyens fran­çais métro­po­li­tains ou ori­gi­nai­res des dépar­te­ments d’outre-mer (Réunion) devrait per­met­tre d’éviter ce danger en main­te­nant et en amé­lio­rant le rap­port numé­ri­que des com­mu­nau­tés.

À long terme, la reven­di­ca­tion natio­na­liste autoch­tone ne sera évitée que si les com­mu­nau­tés non ori­gi­nai­res du Pacifique repré­sen­tent une masse démo­gra­phi­que majo­ri­taire. Il va de soi qu’on n’obtien­dra aucun effet démo­gra­phi­que à long terme sans immi­gra­tion sys­té­ma­ti­que de femmes et d’enfants.

Afin de cor­ri­ger le désé­qui­li­bre des sexes dans la popu­la­tion non autoch­tone, il convien­drait sans doute de faire réser­ver des emplois aux immi­grants dans les entre­pri­ses pri­vées. Le prin­cipe idéal serait que tout emploi pou­vant être occupé par une femme soit réservé aux femmes (secré­ta­riat, com­merce, méca­no­gra­phie).

Sans qu’il soit besoin de textes, l’admi­nis­tra­tion peut y veiller.

Les condi­tions sont réu­nies pour que la Calédonie soit dans vingt ans un petit ter­ri­toire fran­çais pros­père com­pa­ra­ble au Luxembourg et repré­sen­tant évidemment, dans le vide du Pacifique, bien plus que le Luxembourg en Europe.

Le succès de cette entre­prise indis­pen­sa­ble au main­tien de posi­tions fran­çai­ses à l’est de Suez dépend, entre autres condi­tions, de notre apti­tude à réus­sir enfin, après tant d’échecs dans notre Histoire, une opé­ra­tion de peu­ple­ment outre-mer. » [4]
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Calendriers, symboles solaires d’une civilisation kanake insoupçonnée
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Eloi Machoro et Pierre Declercq
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          P.-S.

D’autres articles parlent d’autres choses terribles dans lesquelles Pierre Messmer a participé comme les massacres au Cameroun ou vis à vis des Harkis...
Voir aussi l’article de Rebellyon du 2 mars 2005 : Massacres au Cameroun

Notes

[1] Ataï assassiné et décapité le 1er septembre 1878, lors d’une des plus importantes révoltes légitimes réprimées dans le sang - Et après cette lettre de Messmer : Richard Kamouda assassiné le 27 décembre 1975, Pierre Declercq assassiné le 19 septembre 1981, Eloi Machoro assassiné le 12 janvier 1985, le massacre de la grotte d’Ouvéa concocté par Chirac et Pasqua en 1988, Jean-Marie Djibaou assassiné le 4 mai 1889 ... et beaucoup d’autres. Sans parler des innombrables morts des guerres et par des maladies dûes aux conditions imposées par le gouvernement français.

[2] La Kanakÿ fut le bagne politique de 4 000 Communards et la merveilleuse Louise Michel y passa 7 ans de 1873 à 1880. Avant eux ce sont près de 200 Kabyles, ruant dans les brancards de la colonisation de l’Algérie, et d’autres Nord-Africains, qui y sont envoyés à vie. De nombreux criminels, ou supposés tels, étaient incités par la force, une fois leur peine effectuée, à rester sur place pour coloniser l’île. (Voir le livre de Roselène Dousset-Leenhardt, Nouvelle Calédonie 1878-1978 L’Harmattan,1978)

[3] Tout en demeurant dans l’idée une colonie de l’État français, une nouvelle appellation est née dernièrement : « collectivité sui generis », ou « de son propre genre », rattachée à la France. Deux articles de Wikipédia donnent une définition de la structuration institutionnelle de ce territoire : Nouvelle Calédonie et France d’outremer.

[4] Lettre citée dans le livre de Claude Gabriel et Vincent Kermel « Nouvelle-Calédonie La révolte kanake » (La Brèche, 1985)



[L’unité et la féroce résistance kanak n’a pas réussi à endiguer l’opération de colonisation menée par la France.
En 1988, au moment de la signature des accords de Matignon, Michel Rocard a garanti à Jean-Marie Tjibaou que grâce aux nouvelles dispositions concernant le corps électoral, en dix ans, la population Kanak allait être majoritaire en Nouvelle Calédonie.
La France n’a pas tenu parole. En 1998, sur les 200 000 habitants de Nouvelle Calédonie, seuls 80 000 sont kanaks.
L’immigration en provenance de la métropole et des iles de Wallis et Futuna, facilitée par les conditions d’ immigration mises en place par la France métropolitaine depuis plusieurs dizaines d’années, a empêché les kanak d’accèder démocratiquement à l’indépendance.
Les kanak minoritaires, le referendum pour l’indépendance de la Nouvelle Calédonie en 1998 s’est soldé par un échec et a été utilisé comme un alibi démocratique pro-colonisation.
Un autre référendum a été promis aux kanak pour 2014...après 16 années supplémentaires de colonisation et de politique de repeuplement !
PS : Notons sur place la présence d’un seul quotidien local de presse écrite, le torche-cul Les Nouvelles Calédoniennes (appartenant au marchand de canon Dassault) qui a complaisamment accompagné depuis 1971, date de sa création, la politique de colonisation française.]

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