"Où l'on assiste à l'enterrement en 2D, sans fleurs ni couronnes, sans tambours ni trompettes de notre amie Démocratie."
Nous avions une bonne amie, grande, droite, sympathique, d'un âge assez avancé, qui depuis longtemps aimait accueillir des gens venus d'un peu partout en leur ouvrant grand ses bras.
C'était une amie débordante de valeurs, humaines, sociales, éthiques, qui refusait la corruption et les idées nauséabondes. Elle aimait être au-dessus de tout soupçon, elle souffrait d'ailleurs beaucoup pour et de cela.
Malheureusement depuis de longues années, elle était atteinte d'un mal incurable à ce jour.
Après une longue agonie, son récent décès dans une discrétion telle que personne ne s'en est quasiment aperçu, nous a attristé et terrifié. On eut voulu détourner le regard que l'on n'aurait pas pu.
Pourtant, ils n'y avaient pas été de main morte niveau distractions : de mariage princier en mariage princier, de guerre Libyenne illégitime en soi-disant bouleversements démocratiques méditerranéens, de feuilleton politico-sexuel en rumeurs et complots du plus bel effet, tout y est passé. En boucle. Notre temps de cerveau disponible était bel et bien occupé.
Mais nous, on avait bien regardé et on l'avait vue commencer à vaciller notre amie Démocratie.
Qu'est-ce qui nous avait mis la puce à l'oreille ? Un peu tout, un peu rien.On avait regardé de plus près et on avait dressé une liste, liste si longue qu'impossible à reproduire ici, de gens qui la poussaient chaque fois un peu plus dans la tombe.
D'abord, on avait vu à nouveau débouler sur les plateaus de télévision deux de ses plus illustres fossoyeurs. Respectivement sur France2 à "Mots croisés" (le lendi 30 mai 2011) monsieur Eric Woerth et sur Canal+ à "Dimanche+" (le gromanche 19 juin 2011) madame Michèle Alliot Marie.
Ces deux personnes que l'on reverra affublées d'un maroquin quelconque si malheureusement la droite repasse en 2012, étaient là, étaient encore là, comme si de rien n'était. Souriantes, détendues, gracieusement invitées par un système médiatique véreux, ultra-verrouillé, elles nous donnaient leurs avis sur à peu près tout et n'importe quoi.
A Eric Woerth, on aurait presque pu demander des tuyaux pour des courses hippiques, il paraît que sa femme et lui s'y connaissent bigrement, qu'il nous aurait répondu de bon coeur. On en aurait ri avec lui presque tellement ça en était triste.
Et on n'aurait pas oublié de prendre des nouvelles de son épouse qui, la pauvre, attaquait aux Prud'hommes son ancien employeur demandant la coquette somme d'un million d'euros. Elle a bien raison de préparer d'ores et déjà sa retraite, par les temps qui courent.
Et puis on a aussi écouté ce que disait Eric Woerth parce-que c'est toujours intéressant. Il nous a parlé,sans rire, l'air trés grave, de morale en politique et il a traité la candidature d'Eva Joly de "catastrophe pour notre pays". Il a raison. La candidature d'une ancienne magistrate, symbole de droiture s'il en est, non formatée par des années passées dans les arcanes marécageuses et nauséabondes de la République, une non politicienne en deux mots, serait catastrophique pour le système en place.
D'entendre l'ancien ministre du Travail, prononcer le mot "morale" nous a fait frissonner.
Et peu de temps après, on est tombé sur Michèle Alliot Marie.
Pour peu, on aurait pensé qu'elle s'était définitivement retirée du petit landerneau politique, comme la bienséance l'aurait voulu, ayant peut-être ouvert une échoppe de casseroles en Tunisie.
A elle également, on n'oublierait pas de demander des nouvelles de son compagnon, savoir si les soupçons graves évoqués un temps sur ses liens avec le régime Libyen s'étaient estompés. Elle nous aurait sans aucun doute rassuré.
Mais mis à part le thème de sa triste et rocambolesque démission du poste de ministre des Affaires Etrangères, on aurait vivement souhaité savoir si elle pouvait se regarder paisiblement dans une glace en ayant l'affaire de Tarnac sur la conscience. En ayant l'emprisonnement de jeunes Français innocents sur la conscience.
Guy Debord avait raison lorsqu'il écrivait que "cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L'histoire du terrorisme est écrite par l'Etat : elle est donc éducative".
On se souviendrait que tout cela se passait dans notre beau pays, pas en Chine ni chez Vladimir Vladimirovitch Poutine.
Et d'un écran l'autre, d'autres personnages encore tirant les grosses ficelles, défilaient.Messieurs Guéant, Guaino, Lévy, gracieusement invités eux aussi pour jouer leurs rôles respectifs. Proférant des propos que l'on n'aurait souhaité ne pas entendre.
Des communautés étaient désignées du doigt dans une indifférence quasi générale, dans une droitisation des esprits. On se disait qu'au lieu d'écouter BHL qui nous endormait, on aurait préféré entendre Noam Chomsky nous réveiller. Cela nous aurait changé.
On se disait qu'on aurait aimé demander plein de choses à Anne Lauvergeon encore patronne d'Areva lorsqu'elle nous précisait que tout irait bien, finalement, au Japon après un accident nucléaire niveau 7. Et tant qu'à faire, des précisions également sur le départ précipité de l'archipel nippon, le jour de la catastrophe, des ingénieurs français d'Areva.
Et nous arrivaient au loin, des images d'Espagne, de los Indignados. On apercevait sur une pancarte barcelonaise, écrit au feutre noir "Apaga tu tele, abre tu mente" (éteins ta télé,ouvre-toi l'esprit).
Et nous arrivaient des images de Grèce, le pays natal de notre amie Démocratie, où la violence se mêlait à l'effroi. Où tout un peuple se voyait écrasé par une poignée d'individus tenant à bout de bras un système pourri. Et on nous expliquait que ces gens violents dans les rues avaient la fibre terroriste. Et des économistes experts venaient nous expliquer que le pays allait vendre ses îles.
Et quel que soit l'endroit où l'on portait notre regard, ils asphyxiaient tous Démocratie jusque dans les parties de golf médiatisées de Barack Obama, honteux Prix Nobel de la Paix dont l'âme croupissait dans l'une des glauques cellules d'un Guantanamo encore existant.
L'agonie de Démocratie a été lente, irréversible, comme soigneusement programmée, noyée sous un déluge de non informations.
Et puis elle a passé l'arme à gauche.
Nous de notre côté, on a écouté les Indignés.
On a cassé notre téléviseur à coups de marteau, on s'est abonné à Attac, au magazine Nexus et au Monde Diplomatique, on a éteint la lumière et pis on est sorti dans la rue.
http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/basta-98238
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