mercredi 20 juillet 2011

Ibrahim Qachouch, une voix qui dérangeait

                  
_Avenir_

Pour punir le chantre des manifestations de Hama qui enflammait les foules, les services secrets ont décidé de l'assassiner en l'égorgeant, leur manière de se venger de ses cordes vocales. Le chroniqueur d'"Al-Hayat" lui rend hommage.
 
Sa voix profonde et émouvante a fait le tour des extraits vidéo sur Internet. Il chantait, scandait, criait, tantôt ses propres textes, tantôt les slogans lancés par la foule à Hama, à Homs, à Deraa et ailleurs. Son timbre n'était pas sorti du moule des cours de chant, des chorales et des leçons de solfège, mais était brut, âpre, puissant comme celui des travailleurs sur les chantiers ou des vendeurs au marché d'un quartier populaire. Avec des mots simples, il résumait l'essentiel : vive la liberté, non à la tyrannie, non à la corruption. Cela était une leçon de patriotisme et se passait de longs discours.

Ses chants ont tenu tête aux portraits géants des pontes du régime qui ornent les façades d'immeubles et ont permis de vaincre la frayeur qu'on ressentait à chaque fois qu'on passait sous les regards d'une de ces statues érigées sur les places et aux ronds-points. Soudainement, les rois étaient nus, apparaissaient dans toute leur futilité et devenaient objet de sarcasmes. C'était une victoire symbolique remportée contre la terreur.

Des centaines de milliers de Syriens ont ri en écoutant ses textes, tapé du pied le rythme de sa musique, repris ses refrains. Comme si cela avait été le fruit d'un élan collectif. Lui, c'est Ibrahim Qachouch. Un jour, quand on écrira l'Histoire, on dira de lui qu'il a été la voix des habitants de Hama, des Syriens, des Arabes, de toux ceux qui se sont dressés contre l'oppression, la torture, les arrestations et les disparitions forcées, qui ont refusé ces régimes qui ne sont que marchands d'illusion.

Cet élan collectif a donc trouvé sa voix en la personne d'Ibrahim. Ses paroles exprimaient sans détour ni fioritures les sentiments du Syrien ordinaire. S'il a été assassiné, c'est parce que tous les régimes répressifs savent le danger que représente quelqu'un qui trouve les mots justes pour tourner la terreur en dérision, et aussi parce qu'il est tout aussi important de vaincre les symboles de la liberté que de déployer les forces de "sécurité" dans les rues. Le régime de Damas était conscient que l'assassinat était le seul moyen de le faire taire et de montrer l'exemple à tous ceux qui l'avaient applaudi et avaient repris ses refrains.

Il est mort au même moment où l'eau et l'électricité étaient coupées dans cette ville qui a pris goût à la liberté. Sans vouloir retirer quoi que ce soit à l'importance d'Ibrahim Qachouch, aux souffrances qu'il a endurées de la part de ses tortionnaires, au drame qui se déroule dans la ville de Hama, qu'on nous permette de conclure en disant que son assassinat ressemble à toutes les autres mesures répressives, ou encore aux promesses de "réformes" du régime : elles resteront sans effet parce qu'elles arrivent trop tard.

Ce crime-ci, à l'instar de tous les autres, ne fera pas renoncer les Syriens à leur principale revendication, exprimée très simplement par les mots de Qachouch : "La Syrie veut la liberté !"

http://www.courrierinternational.com/article/2011/07/11/ibrahim-qachouch-une-voix-qui-derangeait

photo : http://www.flickr.com/photos/casscroute/5564399428/

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