Alors que le nombre de détenus dans les prisons françaises atteint presque 65 000 (un record), Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature, s’alarme, dans une tribune publiée dans Le Monde daté du 27 juillet 2011, de « la situation catastrophique des prisons françaises ».
En plus de l’état de surpopulation dans lequel se trouvent de nombreux établissements pénitentiaires, la multiplication des condamnations de l’État français, devant des juridictions administratives ou devant la Cour européenne des droits de l’homme, témoigne du mauvais état des prisons et du non-respect de la dignité des prisonniers.
Rappelons que la France présente le taux de suicide carcéral le plus élevé de l’Europe occidentale : un suicide ou mort suspecte tous les trois jours en prison, 10 fois plus qu’en milieu libre [1].
Prisons : silence, on entasse
[Le Monde, 27 juillet 2011]
Dans une indifférence quasi-générale, que "les vacances" ne suffisent pas à expliquer, l’Etat vient d’être condamné à trois reprises en quelques semaines par la justice administrative en raison des conditions d’existence qui ont cours dans ses prisons. Des personnes détenues dans les maisons d’arrêt de Nanterre, Bois-d’Arcy, Rouen et Marseille ont ainsi obtenu réparation d’atteintes à leur dignité (cellules trop exiguës, toilettes non cloisonnées, absence de ventilation, mauvaise hygiène des locaux, impossibilité de circuler pour les détenus handicapés…).
Le constat n’est certes pas nouveau : du Sénat à la Cour européenne des droits de l’homme, en passant par le contrôleur général des lieux de privation de liberté, la Commission nationale consultative des droits de l’homme ou le Comité européen pour la prévention de la torture, on ne compte plus les alertes officielles. En 2000 (déjà !), une commission d’enquête parlementaire avait ainsi observé que "les conditions de détention dans les maisons d’arrêt étaient souvent indignes d’un pays qui se targue de donner des leçons à l’extérieur dans le domaine des droits de l’homme". Le titre de son rapport était plutôt éloquent : "Prisons : une humiliation pour la République". Le genre d’humiliation auquel on s’habitue, apparemment…
Il n’y a pourtant aucune raison de penser que la situation va s’améliorer, bien au contraire. Le 1er juillet, la France comptait 73 320 personnes sous écrou (un "record") dont 64 726 détenus, contre 49 718 et 49 342 dix ans plus tôt (soit + 47,5 % et + 31,2 % !) et 68 659 et 62 113 l’année dernière (+ 6,8 % et + 4,2 %). En un an, le nombre de détenus "en surnombre" a augmenté de 14 % pour atteindre 11 185 (ce qui représente 20 % de l’ensemble des détenus, 32 % dans les maisons d’arrêt). Le 1er juin, il n’y a jamais eu autant de détenus dans les prisons françaises (64 971). 37 établissements pénitentiaires ont un taux d’occupation supérieur ou égal à 150 %, dont 5 au-delà de 200 %.
On compte ainsi 367 détenus pour 180 places à Béthune (203,9 %), 882 pour 588 à Villepinte (150 %), 239 pour 94 à Nouméa (254,3 %), 89 pour 40 à La Roche-sur-Yon (222,5 %), 604 pour 371 à Gradignan (162,8 %), 163 pour 90 à Auxerre (181,1 %) (chiffres au 1er juillet 2011, selon la direction de l’administration pénitentiaire)…
Selon une étude publiée par Pierre V. Tournier, directeur de recherches au CNRS, l’accroissement de la population sous écrou est particulièrement net depuis le début de l’année (+ 7,4 % entre le 1er janvier et le 1er avril) et s’explique, non par un allongement du temps moyen passé sous écrou, mais par une augmentation des entrées sous écrou, avec en particulier une forte hausse des mises à exécution des peines d’emprisonnement de un an à moins de trois ans (+ 50 %) (selon l’Observatoire des prisons et autres lieux d’enfermement). Le chercheur rapproche cette évolution de l’affaire dite "de Pornic" survenue en janvier et de "son traitement médiatique, politique et judiciaire" qui "a pu favoriser le recours à la détention".
De fait, tous les procureurs ont reçu du garde des sceaux, le 15 février, une circulaire d’application "immédiate" leur enjoignant, notamment, de faire exécuter plus rapidement les peines d’emprisonnement. Les plus zélés d’entre eux se sont ainsi sentis autorisés à mettre en échec des projets d’aménagement de peine, pourtant utiles à la société, en adoptant soudain une lecture tatillonne voire abusive de certains textes de procédure.
Plus généralement, la situation catastrophique des prisons françaises n’est sans doute pas sans lien avec les pratiques et les discours caricaturaux qui tiennent lieu de philosophie pénale au pouvoir actuel : la dénonciation récurrente (et mensongère) du "laxisme des juges", les multiples lois banalisant l’emprisonnement (notamment celle sur les "peines-planchers"), la pression statistique qui s’exerce toujours plus sur les parquets au mépris de la réalité des situations, la suppression des grâces collectives du 14 juillet, les préconisations ineptes du rapport Ciotti…, autant d’indices d’un projet politique qui vise à achever la transformation de la justice pénale en machine à enfermer aveuglément.
Productivisme dangereux
Pour quels effets sur la délinquance ? Pas fameux, si l’on en juge par la permanence de l’obsession répressive elle-même ou encore par la hausse des atteintes aux personnes récemment stigmatisée par la Cour des comptes…
Parallèlement, pour mémoire, "le taux de suicide dans nos prisons a quintuplé en 50 ans alors qu’il a dans le même temps peu changé dans la population générale (…). La France présente le taux de suicide carcéral le plus élevé de l’Europe des Quinze, avec des détenus qui se suicident 5 à 6 fois plus que les hommes âgés de 15 à 59 ans " (Suicide en prison : la France comparée à ses voisins européens, Géraldine Duthé et a., Bulletin mensuel d’information de l’Institut national d’études démographiques, décembre 2009).
Il est plus que temps de rompre avec ce productivisme pénal stupide et dangereux. Il y a quelques semaines, le chef de l’Etat prônait une "révolution judiciaire" : elle s’impose assurément, mais à l’inverse de la régression qu’il a choisi d’incarner. La solution passera nécessairement par la dépénalisation de certaines infractions (séjour irrégulier, usage de stupéfiants…), une limitation drastique du recours à la détention provisoire (26 % des détenus sont présumés innocents, sept ans après le "scandale d’Outreau"), un changement radical de politique pénale impliquant notamment une forte réduction du nombre de comparutions immédiates, l’instauration d’un numerus clausus pénitentiaire…
Entre le 1er juin et le 1er octobre 1981, sous l’impulsion du garde des sceaux Robert Badinter, la population carcérale avait baissé d’environ 40 %. Avec 29 000 détenus, le pays avait-il alors sombré dans le chaos ? Voilà qui pourrait faire réfléchir et réagir les candidats à la prochaine élection présidentielle…
Matthieu Bonduelle
secrétaire général du Syndicat de la magistrature
Nouvelle condamnation de l’Etat pour mauvaises conditions de détention
[ LEMONDE.FR avec AFP, 18 juillet 2011]
Le tribunal administratif de Versailles a condamné l’Etat à indemniser deux détenus des maisons d’arrêt de Nanterre (Hauts-de-Seine) et de Bois-d’Arcy (Yvelines), selon une décision rendue publique lundi 18 juillet par l’avocat de deux détenus mais remontant au 8 juillet.
Dans chacun des deux établissements, des experts ont relevé que le système de ventilation ne fonctionnait pas lors de leur visite en mai 2010 et ont même constaté qu’à Bois-d’Arcy, il était hors service quasiment depuis la mise en activité de la maison d’arrêt. D’autre part, à Bois-d’Arcy, le réduit des toilettes "n’est pas entièrement cloisonné" et il n’y a pas d’eau chaude au lavabo des cellules, tandis que les cellules de Nanterre, censées mesurer 9,5 m2, n’en font que 9.
"La France reste une mauvaise élève"
C’est la troisième fois en quelques semaines que l’Etat français est condamné pour le mauvais état de ses prisons.
Fin juin, l’Etat avait été condamné à payer des dommages et intérêts à deux détenus des Baumettes à Marseille, en raison de conditions portant atteinte à leur "dignité". L’hygiène très sommaire des locaux était pointée dans un cas, l’impossibilité de se déplacer en fauteuil roulant dans l’autre.
Dans la même période, l’Etat était de nouveau condamné à Rouen à indemniser 62 personnes incarcérées, ou l’ayant été, dans la prison de la ville, reconnue comme vétuste par l’adminstration pénitentiaire et vouée à la fermeture. Plusieurs autres condamnations ont été prononcées à Rouen depuis 2008, visant toutes cette vieille prison appelée "Bonne Nouvelle".
La nouvelle condamnation ne concerne pas des prisons très anciennes : les maisons d’arrêt de Bois-d’Arcy et Nanterre sont en service depuis 20 ou 25 ans. Ce qui, selon l’avocat des deux détenus, Me Fabien Arakélian, "apporte la démonstration qu’il faut saisir la justice pour pousser l’Etat à se conformer aux exigences européennes car la France reste une mauvaise élève".
Restaurer les détenus dans leur dignité
Selon l’Observatoire international des prisons (OIP), d’autres actions contre l’Etat sont en instance ou en préparation et pourraient concerner une dizaine d’autres établissements."L’objectif numéro un est de restaurer les personnes détenues dans leur dignité", a déclaré à l’AFP Me Etienne Noël, administrateur de la section française de l’OIP.
Le ministère de la justice ne commentait pas lundi ces décisions de justice "en cours d’analyse", tout en se réservant le droit de faire appel, a précisé son porte-parole, Bruno Badré. Il renvoie par ailleurs au nouveau programme immobilier pénitentiaire rendu public début mai par le ministre, Michel Mercier, qui prévoit notamment la construction de 25 nouveaux établissements et la rénovation de 15 autres, parallèlement à la fermeture de 36 prisons vétustes, dont l’état ne permet pas d’envisager une rénovation.
"Bien sûr il faut construire des prisons pour remplacer les vieilles, mais il ne faut pas en profiter pour faire des monstres", a commenté Me Noël. "Il faut faire des petites prisons et ne pas s’obliger à les remplir".
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Communiqué de l’OIPLa France condamnée pour les mesures de sécurité imposées aux détenus lors des extractions médicales [2]
La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France pour avoir soumis un détenu au port des menottes et des entraves pendant ses consultations médicales, et lui avoir imposé la présence d’un personnel de surveillance durant ses examens médicaux. Quatrième condamnation de la France en matière pénitentiaire en moins de six mois, cette décision vient remettre en cause les conditions dans lesquelles se déroulent les extractions médicales des personnes détenues.Dans leur arrêt du 26 mai 2011, les juges de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ont considéré, à l’unanimité, que les moyens de contrainte et de sécurité imposés à un détenu français lors de plusieurs extractions et consultations médicales aux centres hospitaliers d’Amiens et Laon entre février 2000 et septembre 2005 étaient constitutifs d’un « traitement dégradant ».
Les juges ont apprécié les faits à la lumière d’un rapport de l’IGAS – saisie par l’OIP le 12 juillet 2005 –, qui a reconnu que les conditions de sécurité avaient primé sur l’intimité de Michel Duval, alors âgé de 61 ans et porteur d’une prothèse à la hanche, ainsi que sur la confidentialité des soins. Ils ont estimé les mesures de contrainte utilisées (entraves et menottes) d’autant plus disproportionnées qu’elles avaient été combinées à la présence constante de surveillants ou de policiers lors d’examens médicaux, dont certains présentaient un caractère intime. La Cour s’est notamment référée à la position du Comité de prévention contre la torture du Conseil de l’Europe (CPT), selon laquelle l’examen médical des détenus soumis à des moyens de contrainte constitue « une pratique hautement contestable tant du point de vue de l’éthique que du point de vue clinique », le Comité recommandant d’effectuer tous actes médicaux de détenus hors de l’écoute et – sauf demande contraire du médecin concerné dans un cas particulier – hors de la vue du personnel d’escorte. Elle a également tenu compte des rapports du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe qui, à l’occasion de sa visite en France en 2005, avait dénoncé la pratique résultant de la circulaire toujours en vigueur du 18 novembre 2004, relative à l’organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale : « Le transfert et l’hospitalisation se déroulent souvent dans des conditions qui entravent l’accès aux soins[...]. Les dispositions introduites par cette circulaire nuisent aux droits de la personne : le secret médical n’est pas respecté ; le port d’entraves et de menottes rajoutent à la souffrance et à l’inconfort et peut ainsi constituer une humiliation et un traitement inhumain et dégradant ». A la suite de sa visite en France en 2008, le Commissaire européen constatait à nouveau que « les conditions de consultation des détenus à l’hôpital sont rendues difficiles principalement en raison du port des menottes et de la présence quasi permanente du personnel pénitentiaire ». Elle a enfin signalé que ces constats rejoignaient aussi ceux de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) qui a considéré en 2006 qu’« il ne saurait être dérogé au principe du respect du secret médical » et que « l’acte médical doit être pratiqué à l’abri du regard et de toute écoute extérieure », désapprouvant ainsi « les conditions dans lesquelles s’effectuent les consultations de détenus sous surveillance constante à l’hôpital de ville ».
Cet arrêt du 26 mai 2011 vient remettre en cause les mesures de contrainte et de sécurité prises à l’occasion des quelque 50 000 extractions médicales dont les personnes détenues bénéficient chaque année en France, en application de la circulaire du 18 novembre 2004relative à l’organisation des escortes pénitentiaires des détenus faisant l’objet d’une consultation médicale.
L’OIP rappelle :
- qu’aux termes de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ;
- que l’article 46 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 dispose que « La qualité et la continuité des soins sont garanties aux personnes détenues dans des conditions équivalentes à celles dont bénéficie l’ensemble de la population » et que « l’administration pénitentiaire respecte le droit au secret médical des personnes détenues ainsi que le secret de la consultation ».
Depuis son ouverture en 2004, le centre pénitentiaire de Toulon-La Farlède a donc été le lieu de 10 suicides (au moins) :
Un détenu se pend à La Farlède
[AFP, 17 juin 2011]
Un homme âgé de 34 ans, en détention provisoire à la prison de La Farlède (Var) à la suite d’une tentative d’assassinat sur son ex-compagne, s’est suicidé par pendaison hier soir dans sa cellule, a-t-on appris aujourd’hui auprès d’une source proche du dossier.
L’homme qui avait été placé en quartier d’isolement a noué les draps aux barreaux de sa cellule pour mettre fin à ses jours. Son corps a été découvert au cours d’une ronde des surveillants peu avant 19H30. Le parquet de Toulon a été avisé.
- 6 jusqu’en 2009 (voir cette page)
- 3 en 2010 (voir la page précédente et cette autre)
- 1 en 2011 (voir ci-dessus).
Notes
[1] On en est aujourd’hui au 51e suicide ou mort suspecte connu(e) en détention depuis le début de l’année 2011. Référence : http://www.prison.eu.org/spip.php?a....
[2] Source : http://www.oip.org/index.php/commun....
photo : http://flic.kr/p/4jvnZp
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