mercredi 14 septembre 2011

C'est une guerre [de] TOTAL, Monsieur




Les vainqueurs de ce machin « cinétique » en Afrique du Nord (l'administration Obama jure qu'il ne s'agit pas d'une guerre) - qui se décrivent collectivement comme the « Friends Of Libya » (FOL) [« les amis de la Libye »] - étaient d'humeur enjouée lorsqu'ils se sont réunis à Paris jeudi, sans air conditionné mais avec des odeurs puissantes de brie coulant et de roquefort, pour se réjouir de leur « opération » de changement de régime en Libye, mise en oeuvre par l'Otan et autorisée par les Nations Unies.

Appelez-la la guerre FOL, la guerre R2P (comme « responsabilité de protéger » le pillage occidental), la guerre d'Air France, la guerre [de] TOTAL. en tout cas, les amis de la Libye se sont bien marrés en racontant leur version de la victoire.

Le Grand Libérateur des Arabes, le président néo-napoléonien Nicolas Sarkozy, jubilait : « Nous nous sommes alignés avec ce peuple arabe dans son aspiration à la liberté ». Les Bahreïnis, les Saoudiens, les Yéménites, sans parler des Tunisiens et des Egyptiens, ont toutes les raisons d'être déconcertés.

Sarko a ajouté : « Des douzaines de milliers de vies ont été épargnées grâce à cette intervention ». Même les « rebelles » en rajoutent, prétendant qu'il y a eu au moins 50.000 morts dans leurs rangs, avec l'OTAN qui poursuit ses bombardements sauvages meurtriers.



L'Emir du Qatar a au moins admis que Mouammar Kadhafi, en fuite, n'aurait pas pu être renversé sans l'OTAN. Mais il a ajouté que la Ligue Arabe aurait pu faire plus - en réalité elle l'a fait, en apportant son vote bidon qui a ouvert la voie à la Résolution 1973 de l'ONU, rédigée par les Anglais, les Français et les USAméricains.

Le Premier ministre par intérim du Conseil National de Transition (CNT), Mahmoud Jibril, a affirmé : « Le monde a parié sur les Libyens et les Libyens ont montré leur courage et fait de leur rêve une réalité ». Le « monde » signifie désormais l'OTAN et une bande de monarchies régressives du Golfe Persique. Quant au reste : fermez-la !

Pourtant, le plus sinistre, parfait dans son rôle, doit avoir été le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen : « Nous n'avons absolument aucun plan pour intervenir dans les pays de la région ». Puis est arrivé l'inévitable « mais ». Rasmussen a ajouté : « Mais, de façon plus générale, je pense que ceci pourrait établir un modèle. Nous avons démontré notre capacité à agir en soutien des Nations Unies et nous avons démontré notre capacité d'inclure des partenaires extérieurs à l'Otan dans de telles opérations ».

L'Afrique et le Moyen-Orient, sans parler de la plus grande partie des pays du Sud, ont été prévenus : l'impérialisme humanitaire, sous le voile de respectabilité du R2P, est la nouvelle loi de la terre.


Protéger le pillage

Quelques heures avant la grande fête à Paris, le quotidien français Libération publiait sur son siteinternet une lettre écrite seulement 17 jours après la Résolution 1973 de l'Onu. Dans cette lettre, le CNT ratifie un accord cédant à la France pas moins de 35% de la production totale libyenne de pétrole brut, en échange du soutien « humanitaire » de Sarko.[1]


Cette lettre est adressée au cabinet de l'émir du Qatar (l'intermédiaire, depuis le début, entre le CNT et la France) - avec une copie adressée au secrétaire général de la Ligue Arabe, qui était alors Amr Moussa. L'en-tête est fourni par le Front Populaire de Libération de la Libye.

La promesse correspond exactement à ce qu'un officiel d'une compagnie pétrolière dans la Cyrénaïque a dit la semaine dernière - que les « gagnants » dans ce pactole pétrolier seraient les pays qui ont soutenu dès le début le CNT.

Comme l'on s'y attendait, les réfutations se sont accumulées. Le Quai d'Orsay - le ministère français des Affaires étrangères - a déclaré qu'il n'avait jamais entendu parler d'un tel document. Pareil pour Mansour Saïd Al Nasr, l'envoyé spécial du CNT à la conférence de Paris. De son côté, l'homme du CNT en Grande-Bretagne, Gouma Al Gamaty, a ajouté que tous les contrats pétroliers futurs seraient accordés « sur la base du mérite ». Et même un géant mondial de l'énergie pétrolière comme Total, a dû intervenir : son PDG, Christophe de Margerie, a juré qu'il n'avait jamais discuté de contrats pétroliers avec le CNT.

Comme si Sarko et Total étaient des humanitaires altruistes et rousseauiens qui n'auraient jamais eu la moindre pensée au sujet des 44 milliards de barils ! Total se trouvait déjà en juin à Benghazi pour discuter affaires avec le CNT. Une féroce « guerre du pétrole » intra-européenne, entre Total et l'italien ENI a déjà commencé.

ENI - actif en Libye depuis 1959 - a déjà signé un accord avec le CNT, pour revenir dans les affaires et fournir immédiatement du carburant à la Libye - en échange d'une rétribution future en pétrole. La campagne de Total consiste à obtenir dans des futurs contrats une plus grosse part du gâteau énergétique libyen que celle dont cette société dispose déjà.

Mine de rien, une nouvelle Arabie
C'est quasiment officiel. La Libye n'est plus en Afrique. Elle a été resituée (promue ?) en Arabie. Peut-être que le Roi saoudien Abdallah l'a ordonné par décret et que personne ne l'a remarqué. Les « FOL » [les amis de la Libye] n'incluent pas les Africains. L'Union Africaine (UA) a refusé de reconnaître le CNT ; elle ne le fera que lorsqu'un gouvernement légitime sera en place.


Mehdi Sadeghi, Iran
Tandis que l'Otan y est allée à la mode Air France - libération depuis les airs, en classe affaire - l'UA a défendu depuis le début un cessez-le-feu et des négociations. Les FOL l'ont impérialement ignorée.

Peut-être les Africains ont-ils été les seuls à écouter la menace rappelant l'ère du Vietnam proférée par Ali Tarhouni, un membre du CNT - très proche du Qatar - qui a déclaré, à propos des quelques villes et régions toujours fidèles à Kadhafi : « Parfois, pour éviter une effusion de sang, on doit faire couler le sang - et plus tôt nous le ferons, moins de sang coulera ».

Peut-être les Africains ont-ils été les seuls à remarquer le nettoyage ethnique soutenu perpétré par les « rebelles » et de plus en plus rapporté (pas par les médias capitalistes), comme si personne ne savait que la population de la Cyrénaïque avait historiquement des préjugés extrêmes contre les Africains sub-sahariens.

Ou peut-être les Africains lisent-ils l'agenda des FOL comme dans un livre ouvert : le nouveau statut de la Libye comme colonie occidentale à peine déguisée, et la fable néo-orwellienne de l'impérialisme humanitaire.

Note 

[1] Voir l'article de Libération : "Pétrole : l'accord secret entre le CNT et la France", par Vittorio de Filippis, Libération, jeudi 1er septembre 2011.





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