A l’opposé, les mêmes faiseurs d’opinion, ainsi que leurs homologues universitaires, présentent les Etats-Unis et l’Europe comme des sociétés stables avec des croissances économiques régulières, une amélioration progressive des acquis sociaux, des compromis consensuels pour résoudre les problèmes et des pratiques fiscales saines.
Panoramique du mural Présence de l'Amérique latine (300 mètres carrés), peint par Jorge González Camarena entre 1964 et 1965, situé au Musée d'Art de l'Université de Concepción, au Chili.
Les cercles progressistes sont aussi fautifs, car ils se concentrent sur les ’avancées’ des régimes de gauche mais ignorent les dynamiques souterraines qui affectent la plus grande partie de la région et perdent ainsi de vue les nouveaux points de conflit et de dispute.
Notre projet est de mettre en lumière ce qui oppose le "Nord" (Etats-Unis/UE) en crise au "Sud" (Amérique du sud) dont la croissance est soutenue. On se demandera s’il est possible de transférer l’expérience de l’Amérique du sud au nord et quels ’ajustements structurels’ seraient nécessaires pour extirper les Etats-Unis et l’UE de la spirale néfaste de la stagnation et des violents conflits qui ont caractérisé ces deux régions pendant la plus grande partie de la dernière décennie.
La décennie perdue, le style des Etats-Unis et de l’Europe
Au contraire, et en partie grâce aux opportunités financières offertes par la crise de la dette et la néolibéralisation de l’Amérique latine dans les années 1990 (et dans l’ex-Union Soviétique, l’Europe de l’est et les pays baltes/Balkans), les Etats-Unis et l’Europe ont prospéré. En Amérique latine, plus de 5 000 industries d’exploitation des ressources naturelles, banques, télécommunications et autres industries lucratives sont passées aux mains de multinationales étrangères et de capitalistes locaux. Des intérêts élevés sur les bonds, les prêts et les loyers de transferts technologiques ont enrichi les capitalistes du Nord alors même que la pauvreté augmentait dans le Sud. Les années 1990 ont été "l’âge d’or" du capital occidental car les profits ont explosé, et les partis de gauche et les syndicats traditionnels se sont révélés incapables d’empêcher la ’vague’ du capitalisme prédateur de prendre le contrôle des secteurs clés de l’économie.
Les succès mêmes des Etats-Unis et de l’UE, les énormes profits réalisés sans effort grâce au pillage, à la spéculation et à l’exploitation, ont conduit à la domination du capital financier et à la croyance en un "nouvel ordre mondial" irréversible. La domination des Etats-Unis et de l’UE a pour origine leur supériorité militaire soutenue par des régimes clients néolibéraux dociles et complaisants. Le ’nouvel ordre’ a duré moins de dix ans : les crises économiques de 1999/2000 ont détruit les illusions d’une siècle de grandeur impériale. Les marchés se sont effondrés et avec eux les régimes électoraux oligarchiques d’Amérique latine (appelés "démocraties") qui, avec l’élite financière et militaire, formaient la triple alliance qui garantissait la suprématie occidentale. Le coup final a été les crises économiques de 2001-2002 aux Etats-Unis et dans l’UE qui ont profondément érodé leur capacité à intervenir pour soutenir leurs clients d’Amérique latine contre les masses rebelles qui voulaient s’en débarrasser.
La première décennie du nouveau millénaire a été la ’décennie perdue’ du Nord. Pendant les onze dernières années, le Nord a souffert de stagnation et de récession sans aucun signe de reprise. Les états capitalistes ont sauvé les banques temporairement, mais ils ont été incapables de faire redémarrer l’économie.
Les Etats-Unis comme l’Europe ont décliné radicalement pendant la ’décennie perdue’ de ce siècle. Sur le plan économique, politique et social, le ’Nord’ s’est ’latinisé’ : une élite politique corrompue règne sur l’instabilité sociale, la stagnation économique, l’aliénation politique, la pauvreté et les inégalités croissantes.
Signes de temps meilleurs : l’Amérique latine
A l’exception des pays latins qui sont encore sous la domination des Etats-Unis, comme le Mexique et la plus grande partie de l’Amérique centrale, le reste de l’Amérique latine non seulement a évité les crises qui affectent le Nord, mais a joui d’une croissance trois fois supérieure à celle des Etats-Unis au cours de la décennie. Depuis le début du nouveau millénaire (surtout entre 2003 et 2011 et sauf pour une courte période en 2009), on constate dans ces pays une forte croissance, une prospérité générale, un boom des exportations, des importations en hausse, une plus grande coopération inter-régionale et une importante réduction de la pauvreté.
Rien qu’au Brésil le nombre des pauvres a diminué de 30 millions. Des élections régulières, relativement honnêtes et compétitives garantissent une alternance politique légitime et stable. A l’exception du coup d’état soutenu par les Etats-Unis au Honduras et leur intervention à Haïti et au Venezuela, les prises de pouvoir violentes ont disparu pendant cette décennie. Les institutions régionales se sont développées grâce aux avancées de UNASUR (Union des nations sud-américaines) et de la banque régionale d’Amérique latine.
Grâce aux contrôles fiscaux et à la régulation des banques, fruits tous les deux des leçons des crises des décennies perdues (1980-2000), l’Amérique latine a peu souffert du crash financier de 2008-2011 aux Etats-Unis et en Europe. Les échanges commerciaux de l’Amérique latine ont doublé, spécialement avec l’Asie, portés par la croissance à deux chiffres de la Chine. La demande de matières premières agro-minérales a triplé. La croissance générée par l’exportation est la clé de l’indépendance économique de l’Amérique latine. Cela lui a permis de diversifier ses marchés en profitant de nouvelles opportunités et de réduire sa dépendance aux Etats-Unis. L’accent mis par l’Amérique latine sur la croissance économique, les nouveaux marchés et les nouveaux investissements, lui a permis de rester à l’écart des nombreuses guerres coloniales coûteuses déclenchées par les Etats-Unis et l’Union européenne.
En Amérique latine, le problème de la pauvreté a été traité avec un succès inégal. La direction générale, selon l’exemple du Venezuela de Chavez, a été l’augmentation, généralement par paliers, des budgets sociaux avec, dans certains pays, des efforts plus importants qu’ailleurs. Sauf au Mexique, il n’y a pas eu en Amérique latine de coupes sociales comme aux Etats-Unis et en Europe. Les avancées structurelles les plus impressionnantes ont eu lieu au Venezuela et dans une moindre mesure en Argentine. Le revenu minimum et les retraites ont augmenté de manière significative ainsi que les aides sociales aux plus démunis (les mère célibataires, les handicapés et les miséreux).
A l’exception de la Colombie (le principal allié militaire des Etats-Unis dans la région) qui demeure la capitale du monde des assassinats de militants des droits de l’homme, de syndicalistes et de militants paysans, les violations des droits humains ont décliné. Tandis que les violations des droits humains des Etats-Unis et de l’UE ont augmenté en proportion inverse par le biais des nombreuses guerres coloniales en Irak, Afghanistan, Libye, Pakistan, Somalie, Yémen et des ’opérations’ secrètes d’assassinats ciblés, les violations de l’Amérique latine à l’étranger se limitent principalement à leurs forces d’occupation à Haïti —qui sont là sur l’ordre des Etats-Unis et de l’UE. Cependant la répression des mouvements populaires, surtout des peuples indigènes, des mouvements paysans et des étudiants, a augmenté en Bolivie, Chili, Brésil et autres pays où le maintien de la croissance l’emporte sur les droits des communautés et les dépenses sociales.
Grâce à la stabilité politique actuelle de l’Amérique latine et à sa croissance dynamique, les investissements institutionnels et privés affluent dans la région. Au contraire, les Etats-Unis et l’Europe souffrent du désinvestissement et de la raréfaction des investissements privés. En d’autres termes, le développement de l’Amérique latine est l’autre face du sous-développement des Etats-Unis et de l’Europe.
Amérique latine : nouvelles contradictions
La lutte des classes reste la force motrice du progrès social en Amérique Latine. Mais à la différence des Etats-Unis-UE, la lutte des classes en Amérique Latine est offensive et a pour but de s’approprier une plus grande partie des profits générés en obtenant des augmentations de revenus sociaux et salariaux. Aux Etats-Unis et en Europe, la lutte des classes est ’défensive’ : c’est un combat pour empêcher la réduction de leurs revenus, de leurs emplois et de leurs retraites.
Les actions militantes comme l’occupation des terres, les manifestations et les grèves font toujours partie de l’arsenal social de la classe ouvrière, mais elles s’opèrent dans le cadre politique des institutions démocratiques. En Europe, par contre, les élites ont pris l’habitude d’ignorer les manifestations de masse et les grèves et d’imposer des politiques d’austérité dictées par des banquiers et des créanciers non élus.
Les limites et les ’contradictions’ qui affectent les pays d’Amérique latine apparaissent dans les inégalités entre les classes sociales. Avec l’augmentation du revenu national et le boom des exportations, les inégalités entre la classe capitaliste dominante et la masse des salariés ont augmenté. Au début les inégalités étaient masquées par l’amélioration générale du niveau de vie et de l’emploi mais avec le temps les salariés et les ouvriers commencent à trouver insuffisantes des augmentations qui dépassent à peine le taux d’inflation. L’amélioration du niveau de vie a dépassé les attentes. Le pourcentage de pauvres a diminué, mais vivre avec un peu plus de quatre dollars par jour est devenu inacceptable. Des classes auparavant exclues du système et aujourd’hui intégrées au système -mais exploitées- n’ont qu’une seule arme : les organisations de classe, pour faire avancer leurs intérêts économiques.
C’est clairement le cas du Chili actuel où la croissance sur le long terme s’accompagne d’inégalités profondes comparables à ce qu’il y a de pire dans l’OCDE. Depuis juillet 2011, des manifestations massives d’étudiants contre le coût élevé de l’éducation publique et privée et les bas niveaux d’aides sociales ont déclenché des actions syndicales massives dans tous les secteurs de l’économie, des enseignants aux mineurs du cuivre.
Qui verra ses revenus augmenter ? Voilà la nouvelle question explosive qui occupe les dirigeants et le peuple dans la plupart des pays à forte croissance d’Amérique latine. Les questions de classes sociales sont sur le devant de la scène pour quelque temps.
La croissance, la stabilité et les luttes de classe démocratiques caractérisent la plupart des principaux pays -mais pas tous. Dans plusieurs nations, l’héritage de violence et d’autoritarisme des dictatures demeure prégnant. La pratique colombienne de tuer des syndicalistes, des leaders paysans, des journalistes et des militants des droits de l’homme ne faiblit pas : plus de 30 syndicalistes ont été assassinés pendant les 8 premiers mois de 2011.
Le régime dirigeant hondurien, mis en place par un coup d’État chapeauté par les Etats-Unis et ses alliés au sein des milices paramilitaires des propriétaires terriens, ont tué des dizaines de paysans et de militants politiques et sociaux en faveur de la démocratie.
Les tueries mexicaines sont célèbres : plus de 40 000 personnes ont été tuées par la police, l’armée et les gangs de la drogue dans une ’guerre de la drogue’ voulue par Obama et mise en oeuvre par le président Calderon.
Ces trois régimes réactionnaires n’ont pas connu les soulèvements populaires qui ont abouti aux régimes de centre gauche qu’on trouve dans la plus grande partie de l’Amérique latine. Au Mexique, des candidats pro-démocratie ont été par deux fois spoliés de leur victoire électorale, d’abord en 1988 puis en 2006. Au Honduras, le président progressif démocratique qui cherchait à diversifier les marchés a été renversé par un coup militaire chapeauté par le régime d’Obama en 2010. En Colombie, le meurtre de 5 000 militants et leaders de l’Union Patriotique pro-démocrate entre 1984 et 1986 puis l’assassinat de plusieurs milliers de militants sociaux ont empêché une ouverture démocratique. La fin brutale des négociations de paix en 2002 et la militarisation totale du pays (2002-2011) financée par 6 milliards d’aide militaires étasunienne l’ont privé du changement social et politique qui a dynamisé la croissance soutenue du reste de l’Amérique latine, et y ont ouvert la porte à la ’lutte des classes démocratique’.
La plupart des pays d’Amérique latine ont pris de l’avance et ont largement évité les crises économiques et l’instabilité dont souffrent les Etats-Unis et l’UE, mais leur héritage et les actuelles inégalités génèrent une nouvelle série d’obstacles structurels à la consolidation d’une croissance à long terme et à la stabilité sociale et politique. La contradiction structurale la plus profonde réside dans le couple forte croissance/inégalités croissantes, un modèle économique basé sur "l’alliance des 3 et demi" : capital étranger-capital national-état planificateur et syndicalistes/leaders paysans cooptés. Les profits et les investissements de cette configuration de pouvoir proviennent de l’augmentation des exportations agro-minérales, de la hausse des prix des matières premières, des facilités de crédit et de la régulation étatique des marchés financiers. L’essentiel des profits de la croissance a été confisqué par les trois premières composantes, "les trois gros", en s’offrant par des pots-de-vin les services d’une petite minorité de travailleurs organisés privilégiés. Les "miettes" servent à ’sortir les pauvres’ de la misère absolue. Ces inégalités croissantes ont été "dissimulées" par l’amélioration générale du niveau de vie, les facilités de crédit et l’amélioration des services publiques. Mais la hausse des revenus a engendré de nouveaux conflits de classe qui seront exacerbés quand les prix des matières premières baisseront et que les gouvernements ne pourront plus financer des améliorations progressives. Déjà maintenant, l’extraction prédatrice entre sérieusement en conflit avec la forêt, et les multinationales avec les Indiens/paysans du Pérou, Equateur, Bolivie, Brésil, Colombie et Chili. Ces luttes parfois violentes entre État/multinationales et paysans dans ’la campagne périphérique’ pourraient être le détonateur d’un conflit plus vaste dans les villes principales si les revenus de l’exportation diminuaient.
La dérive à droite des régimes de centre gauche et leurs liens opportuns avec le monde des affaires surtout au Brésil, Uruguay, Bolivie, Equateur et Paraguay a provoqué la corruption des plus hauts échelons du pouvoir. La libéralisation et les salaires exorbitants des dirigeants d’entreprise ont été accompagnés de pots-de-vin à des officiels du secteur public. La corruption a érodé la morale sociale des politiciens de centre gauche et l’a remplacée par l’obsession "d’attirer de nouveaux investissements plus importants" à coups de tripatouillages et de pots-de-vin. La corruption est descendue du sommet vers la base, facilitant l’arrivée des investisseurs étrangers mais diminuant certainement la confiance et la loyauté des employés et des travailleurs, titulaires ou non, qui étaient exclus du ’cercle magique’ où s’échangeaient les pots de vin. Le "clientélisme" et les distributions d’argent aux plus pauvres peuvent empêcher ceux qui reçoivent de l’argent de protester contre la corruption des élites ; cependant, en temps de crise économique, elle peut inciter les peuples à se soulever pour demander un changement de régime.
La troisième contradiction oppose le haut niveau de dépendance aux exportations de matières premières (qui ont été jusqu’ici l’élément dynamique de croissance) au déclin relatif et absolu de la production et des exportations industrielles. L’augmentation des profits tirés des matières premières a entraîné la réévaluation de la monnaie, ce qui a diminué la compétitivité des produits fabriqués sur le territoire national et provoqué une baisse brutale des profits et parfois la banqueroute.
La quatrième contradiction est à trouver précisément dans le succès de la croissance économique et les hauts profits qui ont attiré les capitaux pour la spéculation et la "prise de contrôle des entreprises" en même temps que les capitaux pour les investissements productifs. Les spéculateurs s’enfuiront et déstabiliseront le système financier aux premiers signes de ralentissement. La propriété étrangère diminuera la capacité du gouvernement de prendre des décisions d’investissement en période de crise. Les investissements productifs répondent aux marchés en expansion, mais ils ne les créent pas.
En résumé, la décennie de croissance dynamique de l’Amérique latine a certainement permis de dépasser les Etats-Unis et l’Europe dans toute une série de domaines économiques, sociaux et politiques. Cependant, cette croissance même a engendré de nouvelles contradictions et la nécessité de corriger des "déséquilibres" qui s’aggravent : la demande populaire pour une meilleure répartition des profits, la pression des industriels pour appuyer l’économie sur la fabrication au lieu de la finance et des matières premières, et la demande des pauvres des villes pour de meilleurs services publics, notamment la sécurité sociale et des classes moins surchargées. Ces changements passent par une modification de la structure du pouvoir. Les déséquilibres économiques reflètent la concentration croissante du pouvoir politique aux mains des capitalistes miniers, banquiers et investisseurs de la classe moyenne locale des grandes villes. Les fonctionnaires, les travailleurs, les pauvres des villes, les paysans et les Indiens et écologistes qui s’inquiètent pour l’environnement sont exclus des postes économiques clés. Il faut qu’ils sortent une fois de plus dans les rues avec de nouveaux mouvements indépendants pour soulever deux questions essentielles : quelle sorte de croissance et pour qui ?
Les leçons de l’Amérique latine : Ecoutez bien, Yankees et Eurocrates !
Il y a évidemment de grandes différences historiques, culturelles, économiques et politiques entre ces régions, mais on peut tirer de la décennie de croissance dynamique de l’Amérique latine de nouvelles idées pour contrecarrer les options économiques négatives et vouées à l’échec des experts et politiciens étasuniens et européens.
Commençons par le commencement. L’essor de l’Amérique latine a eu pour origine une profonde crise économique, l’effondrement de l’économie, un chômage énorme et l’appauvrissement de la classe moyenne. Les crises ont complètement discrédité ce qu’on appelait "le libre échange", le modèle de capitalisme "néolibéral" et non régulé". Jusqu’ici c’est pareil : les Etats-Unis et l’UE vivent aussi une profonde crise économique qui a mis en faillite le sud de l’Europe, plongé les Etats-Unis dans une récession à double creux [1] et conduit à un taux de chômage de 20%. La ’classe politique’ toute entière est largement discréditée aux Etats-Unis comme en Europe. Mais, à partir d’ici, les régions divergent.
En Amérique latine, les crises ont provoqué des manifestations de masse, des soulèvements populaires et des changements de régime. Sous la pression populaire, les régimes de centre gauche post-néolibéraux ont relancé l’emploi, investi et mis en place des programmes de travaux sociaux pour réduire la pauvreté. L’Argentine, qui vivait une crise semblable à celle de la Grèce, a fait défaut sur sa dette étrangère et a utilisé l’argent public pour relancer l’économie. Conscients que la crise avait son origine dans la spéculation financière de Wall Street et de la City de Londres, les régimes latins ont institué des contrôles et des règles qui ont limité la volatilité financière. Les nouveaux régimes, sous l’effet du boom des matières premières, ont diversifié leurs partenaires économiques en entrant dans le dynamique marché asiatique, ce qui a rapporté de gros profits et stimulé la consommation locale et les investissements publics. Quelles leçons les Etats-Unis et l’UE enfoncés dans la crise peuvent-ils tirer du rétablissement spectaculaire de l’Amérique latine et de son expansion ?
D’abord, pour commencer, il faut une transformation politique. Un changement de régime qui soit une rupture complète avec le libre échange ’néo-libéral’ et les leaders politiques et les partis qui ne font qu’un avec des institutions et des politiques qui ont échoué. Un changement de régime présuppose la naissance d’organisations de masse dynamiques, nouvelles et anciennes, improvisées et organisées, capables de passer de la protestation et de la résistance aux responsabilités politiques.
L’objectif est de détourner les économies étasuniennes et européennes de la ’financiarisation’ et du "militarisme" pour privilégier les investissements planifiés de grande échelle dans l’industrie, la technologie appliquée, les infrastructures civiles et les services sociaux ; les investissements publics directs et les prêts destinés à des projets générateurs d’emplois ; la rejection totale de la théorie du ruissellement [2] et des politiques monétaires qui ne passent jamais des banques privées aux travaux publics.
Il est clair qu’il a été plus facile aux économies d’Amérique latine de rééquilibrer leurs priorités économiques en rejetant des dirigeants militaristes en échec et des politiques néo-libérales discréditées. Les mouvements citoyens des Etats-Unis et des États impérialistes d’Europe auront plus de mal à fermer des centaines de bases militaires, à chasser des politiciens militaristes soutenus par de puissants lobbys nationaux et étrangers et à remplacer les empires par des républiques productives. Pourtant c’est en se tenant à l’écart des guerres impériales étrangères que les exportateurs d’Amérique latine ont prospéré. Ils continuent à rechercher de nouveaux débouchés au Moyen-Orient et ailleurs, au lieu de détruire les adversaires d’Israël comme l’ont fait les Etats-Unis et l’UE par des guerres coloniales en Irak et en Libye et par des sanctions contre l’Iran, la Syrie et le Venezuela.
La différence entre les résultats obtenus par les bâtisseurs d’empire euro-étasuniens et les républiques latines est frappante. Il est temps que les Etats-Unis et l’UE renoncent à l’image de pays développés "couronnés de succès" qu’ils ont d’eux-mêmes et aux stéréotypes dépassés qui décrivent les états d’Amérique latine comme des pays sous-développés "volatiles" et enclins aux coups d’États. Les Etats-Unis ont de graves problèmes et se dirigent vers une crise économique plus profonde et plus incontrôlable encore sans avoir les moyens de s’en protéger. Ils sont de plus en plus isolés sur la scène internationale et en conflit avec de potentiels partenaires économiques. Washington fait corps avec Israël, s’aliénant de la sorte 1,5 milliards de musulmans riches et pauvres de l’Arabie Saoudite au Pakistan en passant par tous les coins du monde. Il se met à dos le Brésil par des incitatifs financiers [3] et la surévaluation du real (la monnaie brésilienne) sans que cela profite à l’économie étasunienne.
Les échecs nationaux et internationaux se multiplient au fur et à mesure que la crise s’aggrave, et rien de ce que proposent les dirigeants corrompus en exercice -ni l’opposition hébétée- n’offre de solution valable.
Comme dans l’Amérique latine des cinq premières années de cette décennie, nous avons besoin d’une rébellion populaire : il nous faut un changement radical de régime ; nous devons privilégier les investissements publics productifs et mettre fin aux pertes financières monumentales dues à la spéculation à Wall Street et au gâchis des ressources publiques résultant de l’achat d’armes de destruction.
James Petras
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