Après l'affaire des «fadettes», Jean-Jacques Urvoas, secrétaire national du PS chargé de la sécurité, et Floran Vadillo, chercheur, plaident pour la mise en place d'un «réel»contrôle parlementaire sur les renseignements «par l'intermédiaire d'un service au fort pouvoir d'investigation».
L'actualité vient opportunément rappeler l'urgence d'un contrôle parlementaire de nos services de renseignement. Certes, il existe bien une Délégation parlementaire au renseignement (DPR), mais elle ne dispose d'aucun pouvoir de contrôle. Ayant «pour mission de suivre l'activité générale et les moyens des services spécialisés», selon la loi du 9 octobre 2007, elle se voit uniquement communiquer des «éléments d'appréciation relatifs au budget, à l'activité générale et à l'organisation des services de renseignement», soit rien de plus qu'un observateur averti ne connaisse. En outre, elle ne peut auditionner que divers responsables politiques et les directeurs des services concernés.
Ainsi, les deux documents publiés en décembre 2009 et en février 2011 ne méritent-ils pas le titre de «rapports», en raison de leur grande vacuité, et leurs versions classifiées ne jouissent d'aucun caractère contraignant. Rien n'apporte la preuve de l'effectivité d'un quelconque contrôle ou de toute autre activité de suivi et d'expertise. Par ailleurs, où est la cohérence d'une structure dont la production n'est pas destinée à informer le parlement mais le seul pouvoir exécutif?
A l'évidence, la récente mise en examen du directeur central du renseignement intérieur (le contre-espionnage français), dans le cadre de l'affaire dite «des fadettes», souligne le besoin d'un véritable contrôle parlementaire, non pas prioritairement au bénéfice du Parlement mais au bénéfice des services eux-mêmes. Car si Bernard Squarcini n'a pas à démissionner (sa culpabilité n'ayant pas encore été établie par la justice), peut-il assumer sa mission dans les meilleures conditions alors qu'il se situe au cœur d'une tourmente politico-médiatique? En outre, cette affaire ne nuit-elle pas considérablement à tout un service alors que, si l'infraction était avérée, elle incomberait uniquement à un petit nombre de hauts responsables policiers? Comment expliquer aux futurs dirigeants et à nos concitoyens que la DCRI n'incarne pas une officine politisée spécialiste des coups tordus?
Aujourd'hui, pour évacuer ces accusations, soupçons et doutes, nous sommes contraints d'attendre l'issue d'un processus judiciaire fort long. Pourtant, cette affaire aurait pu être réglée en moins de deux jours si la DPR jouissait de véritables capacités de contrôle!
Pour ce faire, nous avons déjà suggéré la création d'un Comité de suivi des services de renseignement (CSSR). La DPR superviserait son activité et veillerait à l'application des dispositions particulières prévues par la grande loi sur le renseignement que nous préconisons par ailleurs. Elle ne bénéficierait en aucune façon d'un pouvoir hiérarchique sur l'instance créée mais disposerait ainsi d'un organe d'expertise sur lequel elle pourrait s'appuyer.
Composé de représentants des grands corps de l'État et d'anciens membres des services de renseignement, le CSSR jouirait d'un service d'enquête composé de dix membres détachés des services de renseignement et placé sous son autorité hiérarchique.
Ainsi doté, le Comité déploierait son activité dans les deux principaux domaines qui fondent la philosophie du contrôle préconisé: l'audit et la vérification ex post. Car au contrôle de l'exécutif et de ses instruments (les services de renseignement, en l'occurrence) doit s'ajouter la claire volonté de produire une analyse destinée à participer à l'amélioration de l'appareil d'État, sans finalité judiciaire ou disciplinaire.
Sur sollicitation de la Délégation, du Président de la République, du Premier ministre, des ministres compétents ou de sa propre initiative, il pourrait entreprendre un contrôle ex post des activités des services. Il aurait, par exemple, la capacité d'ouvrir une enquête afin de s'enquérir d'éventuelles actions pouvant donner lieu à une procédure disciplinaire ou à une saisine de l'autorité judiciaire en application de l'article 40 du code de procédure pénale. De plus, à la demande d'un citoyen ou d'un membre des services de renseignement, et après avoir vérifié le bien-fondé de la requête, il pourrait pareillement mener une investigation aux finalités identiques que celles précédemment citées.
Outre le contrôle des fonds spéciaux des services de renseignement effectué en accompagnement de la Commission de vérification des fonds spéciaux, le Comité, pour l'accomplissement de sa mission, aurait accès à tout document qu'il estime nécessaire en provenance de l'un des six services de renseignement (le nom des sources et leur rétribution seraient toutefois soustraits à sa connaissance); il serait autorisé à entendre toute personne membre de l'un de ces services.
Chaque année, un rapport d'activité confidentiel serait remis à la Délégation parlementaire au renseignement, au Premier ministre et au Président de la République; un document prenant en compte les impératifs de sécurité serait également rendu public. Il ne reviendrait pas à la DPR d'approuver ce rapport et les recommandations qu'il comporte; elle pourrait néanmoins faire siennes les conclusions et recommandations présentées ou charger le Comité d'approfondir certaines questions si elle le jugeait nécessaire.
Dans l'affaire des fadettes, les membres du CSSR (saisi par le journaliste concerné, la Délégation, le ministre de l'Intérieur ou par le Premier ministre) après avoir auditionné divers responsables politiques et policiers ainsi que certains personnels de la DCRI, après avoir consulté la documentation classifiée nécessaire à leur enquête, auraient pu produire un rapport établissant la vérité qu'ils auraient adressé à la DPR. Cette dernière aurait alors pu décider de rendre publiques les conclusions du rapport et, en cas d'infraction, de le transmettre à la Justice. Les décisions qui s'imposent auraient alors être prises sans que le service ne pâtisse d'une situation qu'on ne saurait lui imputer.
La philosophie de ce contrôle ne consiste donc pas à accroître considérablement les pouvoirs du Parlement en matière de renseignement, mais à le doter de véritables capacités de contrôle par l'intermédiaire d'un organisme aux forts pouvoirs d'investigation. Loin d'exprimer une éventuelle défiance à l'égard des services spécialisés, il symbolise une réelle chance pour ces derniers de ne pas abusivement endosser une responsabilité qui incombe avant tout aux responsables politiques et de ne pas subir l'opprobre induite par des soupçons.
En attendant, notre pays, une présidence en particulier, s'enfonce inutilement dans les scandales et entraîne dans sa chute les services de l'État.
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