On nous avait tellement répété que le but de l'engagement occidental en Lybie n'était pas, non surtout pas, d'éliminer physiquement le colonel Kadhafi, qu'au lieu de le croire, nous étions persuadés qu'il serait abattu à la première occasion.
C'est désormais chose faite, et dans les règles de l'art.
Car l'exécution, sommaire ou pas, du souverain/tyran/dictateur doit obéir à quelques règles élémentaires, venues du fond des âges et en accord avec le bon sens historique : mise à mort spectaculaire, aussi outrageante que possible, et exposition infamante de la dépouille devant une foule en liesse.
Tout cela, depuis quelques temps, avec des images, si ce n'est pas trop demander...
Un précédent historique paradigmatique.Vue générale de la station Esso de la Piazzale Loreto, à Milan,où furent exposés pendus les corps de Benito Mussolini et Clara Petacci,et de cinq autres personnes, le 29 avril 1945. (Document Wikipedia.)
Le 20 octobre, de nombreux spécialistes de psychopolitique des masses et des profondeurs réunies avaient laissé ouverts leurs téléphones portables, attendant que les médias les joignent pour intervenir en urgence. Mais personne n'a songé à les appeler... BHL avait déjà fait le tour des rédactions en assurant qu'il allait faire toute la lumière, ajoutant qu'il venait justement de s'entretenir longuement avec ses amis libyens du CNT et qu'on aurait tort de s'en priver...C'est dommage, ils auraient pu, par exemple, entre autres choses, nous expliquer posément pourquoi il apparaît nécessaire que les peuples trouvent un moyen de "faire leur deuil" du dirigeant jadis adulé dont ils admettent désormais qu'il a failli.
Cet émouvant adieu cathartique peut prendre diverses formes. Du cadavre de Mussolini, les Italiens se sont allègrement employés à démolir le portrait, au point de le rendre méconnaissable. Les Libyens de Misrata, quant à eux, se seraient, dit-on, contentés de se faire portraiturer devant la dépouille de Kadhafi, histoire d'enrichir leur profil sur la toile.
(On ne dira jamais assez combien l'apparition des nouveaux réseaux sociaux a adouci les mœurs de l'humanité...)
La presse n'a pas repris ces images-là. Elle a préféré utiliser, pour illustrer les nombreux articles consacrés à la "libération de la Lybie", des photos d'agence où l'on peut voir un souriant jeune homme tendre vers l'objectif un tirage sur papier courant de la première photo d'agence publiée.
(...) nous avons vérifié et c’est Philippe Desmazes, photographe de l’AFP depuis 20 ans, qui a récupéré la photo. Ce n’est pas un collaborateur ponctuel mais un de nos photographes de longue date en qui nous avons toute confiance. Il est envoyé spécial en Libye depuis des semaines, et il a rencontré ce jeudi des combattants du CNT. L’un d’eux a montré son téléphone portable, et c’est Philippe qui a pris le téléphone en photo.
L'AFP a ensuite mis à contribution le témoignage de Philippe Desmazes lui-même, dans une vidéo reprise par le Nouvel Observateur. Le photographe y explique, en vrai professionnel, comment il a été amené à prendre cette photo d'un écran de téléphone portable "dans des conditions assez bonnes, enfin en termes de lumière, peut-être pas de confort"...
(Souhaitons lui de se remettre rapidement de ses courbatures, avant de repartir vers de nouvelles aventures.)
Peu importe si, en voulant affirmer la véridicité de cette image, l'AFP souligne surtout qu'elle entretient une relation non-immédiate à l'événement dont elle prétend rendre compte. En explicitant les conditions techniques de cette prise de vue d'un écran, on se dédouane aussi de tout voyeurisme barbare, fût-il professionnel : ce n'est pas le photographe de l'agence qui a "pris sur le vif" (sic) l'image de ce pantin ensanglanté, mais c'est un combattant du CNT. Certains s'en trouveraient soulagés que cela ne m'étonnerait pas.
Ceci dit, et sans transition, se pose bien sûr la question déontologique à deux balles et mille faux culs :
Faut-il montrer cette image d'une rare violence dans les médias ?
Monsieur Éric Baradat, rédacteur en chef du service photo de l’AFP, entend bien rester dans le registre boulot-boulot et boulot :
C’est effectivement ultra violent, à la limite du soutenable. Mais c'est notre travail de faire la part des choses entre l’information véhiculée et la violence qu'elle implique. Sans cette image personne n’aurait cru au décès de Mouamar Kadhafi. L'intérêt de l'information surpasse la violence de l'image.
Monsieur Quentin Girard, de Libération, est beaucoup plus disert et nous livre une véritable méditationsobrement intitulée Pourquoi «Libération» a montré les images de Kadhafi. Le chapeau résume sa conclusion :
Les images du corps de Kadhafi, diffusées en boucle, peuvent choquer, mais il était difficile de ne pas les diffuser.
Par précaution, la dissertation de notre déontologue est richement illustrée, et le lecteur blasé devrait tout de même parvenir à la péroraison, enjolivée d'une inattendue, et parfaitement déplacée, citation du Petit Livre rouge :
La prise de conscience de la mort de Kadhafi passe par ces images. Elles font et sont l'histoire. Elles permettent aussi de comprendre la violence de la guerre, les terreurs, l'excitation, et les moments incontrôlables créés. «La Révolution n'étant pas un dîner de gala», cacher ces images, plus que respecter le corps de Kadhafi, équivaudrait presque à de la désinformation.
Un tel sens du devoir d'informer laisse sans voix.
Cet émouvant adieu cathartique peut prendre diverses formes. Du cadavre de Mussolini, les Italiens se sont allègrement employés à démolir le portrait, au point de le rendre méconnaissable. Les Libyens de Misrata, quant à eux, se seraient, dit-on, contentés de se faire portraiturer devant la dépouille de Kadhafi, histoire d'enrichir leur profil sur la toile.
(On ne dira jamais assez combien l'apparition des nouveaux réseaux sociaux a adouci les mœurs de l'humanité...)
La presse n'a pas repris ces images-là. Elle a préféré utiliser, pour illustrer les nombreux articles consacrés à la "libération de la Lybie", des photos d'agence où l'on peut voir un souriant jeune homme tendre vers l'objectif un tirage sur papier courant de la première photo d'agence publiée.
Une classique mise en abyme picturale.
(Photo : A.M Al-Fergany/AP/SIPA.)
Cette première photo d'agence a été mise sur le marché de l'information spectaculaire par l'AFP, accompagnée d'un certificat d'authenticité de cette image, aussitôt délivré par monsieur Éric Baradat, rédacteur en chef du service photo de l’AFP.
L'AFP a ensuite mis à contribution le témoignage de Philippe Desmazes lui-même, dans une vidéo reprise par le Nouvel Observateur. Le photographe y explique, en vrai professionnel, comment il a été amené à prendre cette photo d'un écran de téléphone portable "dans des conditions assez bonnes, enfin en termes de lumière, peut-être pas de confort"...
(Souhaitons lui de se remettre rapidement de ses courbatures, avant de repartir vers de nouvelles aventures.)
Peu importe si, en voulant affirmer la véridicité de cette image, l'AFP souligne surtout qu'elle entretient une relation non-immédiate à l'événement dont elle prétend rendre compte. En explicitant les conditions techniques de cette prise de vue d'un écran, on se dédouane aussi de tout voyeurisme barbare, fût-il professionnel : ce n'est pas le photographe de l'agence qui a "pris sur le vif" (sic) l'image de ce pantin ensanglanté, mais c'est un combattant du CNT. Certains s'en trouveraient soulagés que cela ne m'étonnerait pas.
Ceci dit, et sans transition, se pose bien sûr la question déontologique à deux balles et mille faux culs :
Faut-il montrer cette image d'une rare violence dans les médias ?
Monsieur Éric Baradat, rédacteur en chef du service photo de l’AFP, entend bien rester dans le registre boulot-boulot et boulot :
C’est effectivement ultra violent, à la limite du soutenable. Mais c'est notre travail de faire la part des choses entre l’information véhiculée et la violence qu'elle implique. Sans cette image personne n’aurait cru au décès de Mouamar Kadhafi. L'intérêt de l'information surpasse la violence de l'image.
Monsieur Quentin Girard, de Libération, est beaucoup plus disert et nous livre une véritable méditationsobrement intitulée Pourquoi «Libération» a montré les images de Kadhafi. Le chapeau résume sa conclusion :
Les images du corps de Kadhafi, diffusées en boucle, peuvent choquer, mais il était difficile de ne pas les diffuser.
Par précaution, la dissertation de notre déontologue est richement illustrée, et le lecteur blasé devrait tout de même parvenir à la péroraison, enjolivée d'une inattendue, et parfaitement déplacée, citation du Petit Livre rouge :
La prise de conscience de la mort de Kadhafi passe par ces images. Elles font et sont l'histoire. Elles permettent aussi de comprendre la violence de la guerre, les terreurs, l'excitation, et les moments incontrôlables créés. «La Révolution n'étant pas un dîner de gala», cacher ces images, plus que respecter le corps de Kadhafi, équivaudrait presque à de la désinformation.
Un tel sens du devoir d'informer laisse sans voix.
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