samedi 15 octobre 2011

Nicolas Sarkozy et la Légion d’honneur : le revers de la médaille

Un porteur de valises, un affairiste en délicatesse avec le fisc, une amie politique condamnée… En Sarkozie, les remises de décoration virent au déshonneur.


Dans la salle des fêtes de l’Elysée, accolade entre Nicolas Sarkozy et Robert Bourgi, qu’il vient de décorer, le 27 septembre 2007.


Il le lui avait pourtant dit : "Je sais, cher Robert, pouvoir compter sur ta participation à la politique étrangère de la France, avec efficacité et discrétion." C’était dans la salle des fêtes du palais de l’Elysée, le 27 septembre 2007. Ce jour-là, Robert Bourgi, pilier de la Françafrique, cet entrelacs de relations aussi incestueuses que sonnantes et trébuchantes entre la France et ses anciennes colonies, recevait la Légion d’honneur des mains du président de la République. Nicolas Sarkozy avait relevé devant les représentants des chefs d’Etat africains, avec l’approbation silencieuse de Claude Guéant, l’homme de la diplomatie parallèle, à l’origine de la décoration : Bourgi devait "rester à l’ombre pour ne pas attraper de coup de soleil". Une phrase sibylline que décrypte un ex-conseiller présidentiel : "Ce jour-là, tout le monde avait compris que le ruban rouge était le prix payé par l’Elysée à Bourgi pour son silence."





Tous les initiés savent que Robert Bourgi est un porteur de valises, ayant travaillé pour le clan chiraquien avant de se rallier à la sarkozie. Bourgi, "le grand serviteur de la France", comme l’a alors apostrophé le chef de l’Etat, avait reconnu publiquement, deux ans avant sa remise de décoration, avoir "tout raconté" à Sarkozy. Tout, c’est-à-dire, le cash empilé dans les mallettes ou dissimulé dans les djembés, l’équivalent, à l’en croire, de 20 millions de dollars remis à Chirac ou Villepin de la part de leurs "amis" africains.

Curieux hochet que cette Légion d’honneur, censée récompenser, depuis Napoléon, les "mérites éminents rendus à la nation". Mais qui est épinglée, de plus en plus souvent, au revers de la veste de quasi-délinquants.

Les prédécesseurs de Sarkozy aussi ont parfois eu la main malheureuse. François Mitterrand en remettant l’insigne de commandeur au stupéfiant général Noriega, aujourd’hui détenu à la Santé. Ou Jacques Chirac en faisant décorer par deux fois en trois ans le sulfureux banquier japonais Shoichi Osada, chez qui, selon les services secrets, le chef de l’Etat aurait dissimulé quelques discrètes économies et qui effectuera un séjour en prison après la faillite frauduleuse de son établissement. Nicolas Sarkozy, lui, semble avoir le chic pour médailler les personnalités les plus sulfureuses. Comme Jacques Servier, l’inventeur du Mediator, bardé de distinctions. Ces trente dernières années, le doyen de l’industrie pharmaceutique, fait officier par Philippe Séguin, est promu commandeur par Dominique Strauss-Kahn, puis grand officier par Jacques Chirac.



Jacques Servier (SIPA)

Le 7 juillet 2009, Sarkozy lui remet la plaque et le cordon de grand-croix, la plus haute distinction de l’ordre derrière celle de grand-maître, réservée au seul président de la République en exercice. Malgré la publication, deux ans plus tôt, du livre du docteur Irène Frachon dénonçant les méfaits du Mediator. "Incorrigible Jacques Servier ! s’exclame le président. La nation est reconnaissante de ce que vous faites." Le médicament aurait entraîné la mort de 500 à 2 000 personnes… La justice reproche à Servier d’avoir trompé les autorités sanitaires pour obtenir les autorisations de mise sur le marché. Qu’il se soit affranchi des pesanteurs administratives n’était pourtant pas pour déplaire à Sarkozy. "Vous avez souvent été sévère à l’endroit de l’administration française. Vous critiquez l’empilement des mesures, des normes et des structures et vous avez raison", avait-il scandé.

Des remises de médailles dans la quasi-clandestinité


Quelquefois, des remises de médaille se font dans la quasi-clandestinité. Comme ce fut le cas pour Ali Bongo, le président gabonais. Nicolas Sarkozy lui a accroché les insignes de grand officier le 24 février 2010, lors de sa troisième visite officielle au Gabon. C’est une indiscrétion de la presse gabonaise qui l’a mentionné. Le "Journal officiel" n’en a pas pipé mot. Pour ne pas alerter les juges chargés à Paris de l’enquête sur les "biens mal acquis" et en possession de pièces sur le pillage des finances publiques gabonaises? Pas du tout. "L’exception est prévue par le code, assure-t-on à la Grande Chancellerie de la Légion. La nomination des étrangers ne résidant pas en France n’est jamais publiée." [...]

Officiellement, la Grande Chancellerie ne badine pas avec les repris de justice. Une condamnation à un an de prison ferme et c’est l’exclusion immédiate. Alfred Sirven, le grand argentier de l’affaire Elf, Jean-Charles Marchiani, le trafiquant d’influence du clan Pasqua, ou encore le général cinq étoiles Raymond Germanos, collectionneur d’images pédophiles, ont été déchus par décret publié au "JO". Toute condamnation n’entraîne pas radiation. Les peines inférieures à un an de prison ne sont sanctionnées que par la "censure" (une sorte de blâme) ou la suspension pour une durée déterminée. Celles-ci ne sont pas divulguées. C’est le cas pour Alain Juppé qui se serait vu infliger une "censure" après sa condamnation dans l’affaire des emplois fictifs. Selon nos informations, Michel Roussin, l’ex-directeur de cabinet de Jacques Chirac à la mairie de Paris, condamné à quatre ans avec sursis dans l’affaire des marchés publics d’Ile-de-France, a écopé d’une "admonestation". [...]

Des discours secret-défense


Le président de la République remet les Légions d’honneur au nom du peuple Français. Mais se procurer les discours prononcés est quasi impossible. "Nous n’avons pas de discours écrits", jure sans rire le service de presse de la présidence. Il suffit cependant de visionner les vidéos des cérémonies diffusées sur le site web de l’Elysée pour s’apercevoir que si le président improvise certaines remarques, il lit bel et bien un texte préparé. "Jusqu’en juillet 2009, cette responsabilité était dévolue à Olivia Bozzoni-Fringuant, la conseillère chargée des affaires culturelles, révèle un familier du Château. Depuis, les discours sont supervisés par le directeur de cabinet Christian Frémont." Mais les plus sujets à controverse restent inaccessibles à la presse. Comme s’ils étaient revêtus du secret-défense.[...]

Le président décide de toutes les décorations qu’il veut

L’Elysée ne dispose d’aucun contingent personnel de Légions d’honneur à remettre, seuls les ministères ont ce pouvoir. "Mais le président décide de toutes les décorations qu’il veut, explique Dominique Paillé, ancien conseiller politique à l’Elysée. Il y a un service des décorations au Château où les dossiers sont préparés puis transmis au ministère compétent, qui n’a pas d’autre choix que d’inclure les candidats choisis par Sarkozy." Normalement, les décorés ne pénètrent à l’Elysée que si leur respectabilité est attestée. "Le ministre X certifie qu’il résulte de l’enquête que la moralité de M. X permet sa nomination dans l’ordre", est-il indiqué dans les dossiers. Pourquoi dès lors y a-t-il autant d’épinglés de la Légion honneur épinglés ensuite par la justice ? "Nos investigations sont minimales et nous ne savons jamais quelle décision sera prise à partir de nos rapports", note l’officier d’une sous-direction à l’information générale (Sdig) de province, le service de police chargé de passer les futurs médaillés au crible.

"Le Conseil de l’Ordre recale entre 12 et 15% des dossiers de candidature chaque année", certifie la Grande Chancellerie. Sous Sarkozy, même les habitués des prétoires ont leur chance. Isabelle Balkany a reçu sa rosette des mains de son ami président, le 27 mai 2008. Devant le ban et l’arrière-ban de la sarkozie, de Charles Pasqua à Pal Sarkozy, son père, le chef de l’Etat a déclamé une "déclaration d’amour à Isabelle", sans note et sans la moindre allusion à sa condamnation pour prise illégale d’intérêt neuf ans plus tôt.



Isabelle Balkany à Levallois-Perret, le 16 mars 2011 (AFP PHOTO / MARTIN BUREAU)

Mais à trop bousculer la dignité de l’Ordre, la sarkozie prend des risques. Depuis deux ans, une rosette, celle de Patrice de Maistre, le gestionnaire de fortune de la famille Bettencourt, dégénère en scandale d’Etat. Début 2008, quelque 200 invités se pressent dans un salon d’honneur du ministère de l’Economie.

Programmée quelques semaines plus tôt, la cérémonie avait été reportée in extremis en raison du décès d’André Bettencourt. Quand arrive l’heure de gloire de celui qui organise l’évasion fiscale d’une partie de la cagnotte Bettencourt, "Madame" est au premier rang. Le maître de cérémonie n’est autre que le ministre du Budget, Eric Woerth. "Le discours, entamé par une citation creuse de René Char, était élogieux mais sans relief", raconte un participant. Le ministre ne peut ignorer qu’il est le patron de son épouse Florence, embauchée quelques mois plus tôt à 15 000 euros par mois, lui qui est intervenu auprès de Sarkozy pour que ce généreux bailleur de fonds de l’UMP obtienne sa récompense. Pour les enquêteurs, ces petits arrangements pourraient être constitutifs d’un trafic d’influence. L’enquête suit son cours.

L’Elysée semble aujourd’hui las des polémiques sur l’attribution des rubans rouges. Malédiction, le 7 septembre, Frédéric Péchenard, le patron de la police nationale et ami d’enfance de Sarkozy, devait être élevé au grade de chevalier. Son nom ayant été cité dans l’affaire d’espionnage des journalistes du "Monde", la cérémonie a dû être reportée. Pour ne pas ajouter au déshonneur.

Olivier Toscer-Le Nouvel Observateur


http://tempsreel.nouvelobs.com/societe/20111010.OBS2124/nicolas-sarkozy-et-la-legion-d-honneur-le-revers-de-la-medaille.html

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire