"Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs." Article 35 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1793
dimanche 23 octobre 2011
Peut-on encore croire à l'Europe, quand on est grec?
La phrase a fait les titres des journaux mercredi: le ministre des Finances grec, Evangelos Venizélos, a promis de livrer, à l'occasion d'un Conseil européen dimanche, la «bataille des batailles» pour la Grèce. Les chefs d'État présents à Bruxelles sont censés régler, une fois pour toutes, la crise de la dette grecque, explosive pour toute l'Europe. Sauf que personne n'y croit vraiment, et que le sort du pays, une fois de plus, se trouve lié à un éventuel compromis franco-allemand sur la question de la restructuration de la dette (lire notre article).
Seule minuscule avancée: dans son rapport d'octobre, la «troïka», ce trio d'institutions (Commission européenne, Banque centrale européenne et Fonds monétaire international) qui surveillent la rigoureuse application de l'austérité à Athènes, a reconnu l'existence d'un «malaise social» en Grèce. C'est peu dire, alors que le pays est au bord d'une crise sociale et politique, et que son taux de chômage officiel approche la barre des 20%. Les mesures des derniers mois donnent le vertige: hausse des impôts directs et indirects, baisse des salaires dans le public et le privé, «mise en réserve» de fonctionnaires, privatisations dans tous les sens...
Mais comment peut-on encore croire à l'Europe, quand on est grec aujourd'hui? Les eurodéputés grecs ont-ils viré eurosceptiques, tant l'Union semble aller dans le mur en Grèce? «C'est une question que je me pose presque chaque jour depuis le début de cette crise, et cela pourrait faire l'objet d'un livre, tellement l'affaire est complexe», sourit Anni Podimata, une élue socialiste en poste à Bruxelles.
Mediapart est allé à la rencontre de quelques-uns de ces 22 eurodéputés grecs. Beaucoup sont obligés de faire, à Athènes, le service après-vente des plans d'austérité imposés par Bruxelles et, revenus à Bruxelles, de convaincre les Européens du «sérieux» d'Athènes... «Ces allers-retours ne sont pas évidents», reconnaît Anni Podimata, dont le parti, au pouvoir à Athènes, fait l'objet d'un profond discrédit auprès d'une partie de la population.
Ils l'assurent en majorité: le bourbier grec n'a en rien altéré leur idéal européen. Mais ils se montrent tous extrêmement critiques à l'égard de l'Europe de 2011, conduite, dans un certain chaos, par le duo Angela Merkel/Nicolas Sarkozy. «Je me sens européen, ni "pro", ni "anti"», explique Michalis Tremopoulos, eurodéputé vert et grec.«Maintenant, si M. Barroso et Mme Merkel pensent que la prospérité est réservée à une seule catégorie de nations et de peuples qui le "mériteraient", c'est peut-être le début de la fin du projet européen. Et dans cette optique, ils sont bien plus anti-européens que moi.»
«Nous sommes sans leaders en Europe aujourd'hui», regrette de son côté Anni Podimata. «Ceux qui pèsent ne sont pas vraiment motivés par le projet européen. Ils analysent leur situation intérieure et, guidés par des intérêts nationaux, essaient de trouver une solution en forme de compromis. C'est absolument catastrophique. Cela ne peut conduire nulle part.»
Vers une «troïka permanente» à Athènes?
Tous sont très remontés contre Angela Merkel en particulier, la chancelière allemande étant coupable d'avoir retardé pendant de longues semaines, au printemps 2010, le déblocage d'une aide pour Athènes. «Au début de la crise, on nous a expliqué que le problème était grec, et non européen. Qu'il s'agissait d'un problème de surendettement de la "périphérie" de l'Europe. On a perdu un temps considérable», regrette Anni Podimata.
À l'époque, les clichés sur les Grecs et les peuples de l'Europe méditerranéenne, paresseux et profiteurs, fleurissaient dans la presse. «Nous, les Grecs qui travaillons au Parlement, n'avons cessé d'expliquer à nos collègues que nous aussi, nous étions sérieux, et que nous aussi, nous travaillions», se souvient Sophia Chrysopoulou. «Nous étions en mission contre les préjugés. Il a fallu expliquer aux Allemands que non, nous n'avions rien volé...»
Sophia Chrysopoulou est attachée parlementaire d'un eurodéputé libéral, en poste depuis six ans à Bruxelles. Elle a publié, il y a quelques semaines, une tribune (en anglais), comme un cri d'alarme, où elle s'inquiète de l'exil forcé de tout un pan de la jeunesse grecque. Chrysopoulou y compare les remous de son pays à une expérience de mort imminente (near-death experience).«Mais y aura-t-il une vie après?», s'interroge-t-elle. Et, une fois sortis de là, «serons-nous les mêmes?».
Le fossé Nord/Sud, qui a déchiré l'Union européenne au moment de l'éclatement de la crise grecque, entre des pays du Nord, riches et notés «triple A» par les agences de notation, et les pays du Sud, jugés moins travailleurs, continue de fissurer les institutions bruxelloises. D'autant que les plans d'austérité imposés par les pays du Nord s'avèrent contre-productifs, et nourrissent les populismes en retour.
«L'approche européenne de la crise grecque a toujours été répressive: on veut punir, et insulter les Grecs. C'est exactement ce qu'il faut faire pour générer de l'euroscepticisme, provoquer le retour des nationalismes, bref, renforcer des mentalités qui déstabilisent le projet européen», note Anni Podimata.
Berlin pourrait d'ailleurs faire dimanche des propositions pour renforcer le contrôle des pays endettés en Europe. Le scénario d'une «troïka permanente» n'est pas exclu. «Nous serons reconnaissants à l'Europe de nous apporter de l'expertise, pour réaliser des réformes en profondeur de la Grèce, mais il y a une ligne jaune à ne pas franchir... Sinon, cela sera perçu comme une insulte auprès de la population», réagit Anni Podimata.
Pour Michalis Tremopoulos (Verts), «des formes de populisme gagnent du terrain en Grèce, avec l'idée qu'il suffit de bloquer le gouvernement grec, pour en finir avec les mesures d'austérité. Nous sommes au milieu d'une crise si profonde, qu'aucun pays ne peut prétendre s'en sortir seul aujourd'hui». L'Europe comme solution à la crise, malgré tout?
«Beaucoup de Grecs prennent conscience qu'un retour à la drachme, avec une inflation galopante, et des dévaluations en série, pourrait s'avérer encore pire, pour eux, que la situation actuelle», assure Tremopoulos.
http://www.mediapart.fr/journal/international/231011/peut-encore-croire-leurope-quand-est-grec
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