lundi 10 octobre 2011

La France, fabrique à clandestins


Avec l’entrée en vigueur de la Loi Besson, le 18 juillet dernier, et la volonté du ministre français de l’Intérieur de faire un «résultat historique» en termes de reconduites à la frontière en 2011, année précédent une échéance électorale majeure, la “fabrique à clandestins” s’est remise en route. Nouvel exemple en date avec Ali, 24 ans [le prénom a été modifié] rencontré à Botzaris, présentement en rétention à Lyon.

Ali est jeune, il pourrait être mon fils. Du reste, il est né comme ma fille en 1987. Mais en Tunisie. Il était arrivé par Lampedusa, comme beaucoup, et avait, en avril, obtenu des autorités italiennes un visa Schengen de six mois, mentionné sur son passeport tunisien. Visa valable jusqu’au 8 octobre 2011 et doublé d’une carte en plastique lui permettant de justifier de son identité.

A Paris, où il était venu dès son entrée en France, il vivait avec cette carte sur lui, et son passeport était «en lieu sûr».


J’avais rencontré Ali rue Botzaris. Depuis l’évacuation du bâtiment du 36 rue Botzaris, il avait fréquemment des problèmes de dos, avec une douleur qui lançait jusqu’à l’épaule.*

Depuis une altercation à la fin du mois d’août avec la police (juste à la fin du ramadan), Ali ne dormait plus aux Buttes-Chaumont. Il venait néanmoins régulièrement à Paris, et je l’avais croisé boulevard de la Villette, jeudi dernier 29 septembre, ce fameux jour où la police de l’est parisien a procédé au placement en garde à vue de 43 étrangers en situation irrégulière.

Il voulait récupérer son passeport afin de retourner en Italie et obtenir une prolongation de six mois, ce, bien entendu, avant l’expiration de son actuel visa Schengen, donc avant le 8 octobre. Je localisai donc le passeport et lui donnai rendez-vous à 21h30 le soir même à Ménilmontant.

A l’heure dite, il n’était pas là. L’occasion pour moi de rencontrer d’autres anciens de Botzaris, tous SDF, dont un endeuillé par l’incendie survenu la veille à Pantin, et pour lequel un rassemblement était annoncé. Une heure plus tard, pas de nouvelles de Ali, dont j’appris par un autre membre du groupe de soutien (arabophone) qu’il avait été arrêté lui aussi.

La police parisienne l’avait gardé quarante heures, à ce qu’il me raconta par interprète interposé, lorsque je lui remis son passeport lundi (le 3 octobre). Il m’expliqua que si la police l’avait laissé repartir, c’est précisément parce qu’il était en règle jusqu’au 8 dans les pays de l’espace Schengen, et que sans aucun doute on ne lui ferait pas de cadeau après. Le lendemain 4 octobre, il prévoyait de se rendre en Italie.

Ce jeudi 6 octobre, j’apprends qu’il se trouve en centre de rétention administrative à Lyon. Ce alors qu’il a le droit, jusqu’au 8, de circuler dans l’espace Schengen, dont la France fait partie.

Or l’article 51 de la Loi Besson est clair: le juge ne statuera sur son sort que sous cinq jours, contre deux jours auparavant. Donc si Ali est remis en liberté par la justice française —et je ne vois objectivement pas comment il pourrait en être autrement même si à l’heure où j’écris ces lignes je n’ai pas eu accès à son dossier**— ce sera après expiration de son visa européen délivré par l’Italie. Il sera alors très facile pour la police de lui mettre la main dessus et de l’expédier non pas en Italie, mais cette fois en Tunisie, sur décision préfectorale, et de faire ainsi plaisir au ministre de tutelle.

Et, si Ali parvient à échapper à la police, ce sont les autorités françaises qui auront“fabriqué” un sans-papiers, un “clandestin”, pour employer un autre vocabulaire.

Tout cela au Pays des Droits de l’Homme.

Fabien Abitbol, photo: le 7 juillet, le drapeau tunisien a officiellement été posé sur le fronton du bâtiment de la rue Botzaris, dans le 19e arrondissement (archives F. A.)

* Un souci de santé que j’ai bien connu, même à son jeune âge et que, ironie du sort, j’ai fait résorber… aux Buttes-Chaumont, à l’Unité de traitement de la douleur de la Fondation Rothschild. C’est à l’occasion de mes rendez-vous pour mon dos, fin 2003 et début 2004, que j’avais compris l’importance de la rue Botzaris.
** Si Ali avait autre chose à se reprocher que le simple fait d’être Tunisien, il devrait avant de risquer une expulsion passer devant une autorité judiciaire. Donc un juge administratif devrait en tout état de cause le libérer, puisqu’à la date de son arrestation il avait le droit d’être dans l’espace Schengen.
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Fabrique à clandestins, la suite…

Ali, 24 ans, de nationalité tunisienne, a été remis ce samedi 8 octobre aux autorités italiennes à la suite d’un accord de remise qui lui avait été notifié le 4 octobre à 17 heures à Lyon. Ces quatre jours, passés dans un centre de rétention, le mettent dans une situation kafkaïenne.

Ali (prénom modifié) était à la rue Botzaris depuis mai. Il l’avait quittée fin août, comme les derniers des Tunisiens qui avaient été mis à la rue le 16 juin après avoir été délogés de l’ancien bâtiment du RCD, le parti du président déchu Ben Ali. Son histoire était racontée ici jeudi, alors qu’il se trouvait depuis deux jours en centre de rétention.

Depuis, il a été possible d’avoir accès à son dossier qui, comme pressenti, ne fait mention d’aucune autre infraction ni d'aucun autre délit que d’être étranger non européen.

Pour rappel, les papiers tunisiens de Ali étaient valables en Europe jusqu’au 8 octobre. Ainsi en avaient décidé les autorités italiennes, lui octroyant en ce sens un visa et lui délivrant une carte plastifiée, du format d’une carte de crédit. Le 8 octobre, c’était ce samedi. Pour rappel également, il avait été interpellé à Paris le 29 septembre, comme des dizaines d'autres sans-papiers, mais avait été remis en liberté au début du week-end, sa situation administrative ayant été estimée correcte par la police parisienne pour quelques jours encore.

Ali avait pris le train mardi 4 octobre depuis Paris, en direction de l’Italie. Lors d’un arrêt à Lyon, alors que le train marquait une pause, la police n’a pas chômé, et l’a contrôlé, interpellé, emmené au centre de rétention. Un arrêté de remise aux autorités italiennes a été pris à son encontre dès le 4 octobre, qui lui a été notifié officiellement à 17 heures (n°11/69/3057/PR), assorti d’une décision de placement en rétention d’une durée de cinq jours prise par le préfet du Rhône.

La décision de placement en rétention mentionne «l’absence de moyen de transport immédiat» qui «ne permet pas le départ de l’intéressé», et est datée aussi du 4 octobre. Ce document a nécessairement été rédigé avant 17h, puisque tout a été traduit et signifié à Ali à 17h. Depuis, pourtant, il aura fallu attendre ce samedi 8 octobre 2011 —date de péremption de son visa— pour que Ali soit renvoyé en Italie.

Dès jeudi soir, quelques heures après avoir mis en ligne le sujet La France, fabrique à clandestins, j’apprenais qu’il ne serait “remis” à l’Italie que ce samedi, c’est-à-dire une fois ses papiers périmés, d’une part, et d’autre part la veille de la date butoir pour une présentation obligatoire à un juge, afin de vérifier la légalité de la procédure. Le mouvement de colère des cheminots n’a commencé qu’à la suite de l’agression subie par l’un des leurs le 6 octobre. Donc si, réellement, il n’y avait pas de «moyen de transport immédiat» le 4, il devait y en avoir le mercredi 5 octobre. Avec juste un peu de bonne volonté… ou sans mauvaise foi. A moins que ce ne soit une volonté kafkaïenne de lui faire perdre son visa, afin de tenter de le dégoûter de la France.

Et voici désormais Ali de nouveau en Italie, un pays où il ne connaît personne, avec des papiers périmés depuis la nuit dernière, et en plein week-end. Or l’Italie, question administration, ce n’est guère mieux que la France les samedis et dimanches: les traditions catholiques des jours de repos ont la vie dure. Il lui faudra lundi expliquer aux Italiens la fourberie des autorités françaises dans son cas.

F. A.

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