Un beau jour de septembre, Maria, appelons-la Maria, entre dans un magasin, Pedro, six mois, dans les bras, pour acheter... une tablette de chocolat. Mais quand Maria veut régler son achat avec un billet sorti de ses affaires, la caissière alerte le vigile : «ce billet, me semble-t-il, est un faux».Le vigile appelle alors la police : «une dame est dans notre magasin qui veut acheter une tablette de chocolat avec un faux billet». Des policiers arrivent et arrêtent Maria. Voilà donc Maria en garde à vue et Pedro...
Pedro, placé en urgence dans une pouponnière des services de l'aide sociale à l'enfance. Mais Maria, n'est-ce pas ? est roumaine : la garde à vue se transforme alors très vite en rétention. Une Roumaine ne peut pas rester plus de trois mois sur le sol français et surtout pas une Roumaine dont on pense qu'elle paye ses tablettes de chocolat avec de faux billets.
A ce stade là du récit, le lecteur devient peut-être perplexe. Le lecteur sait en effet qu'utiliser des faux billets est un délit : mais le lecteur pense aussi que les personnes soupçonnées de délit risquent de se retrouver éventuellement en détention provisoire, mais pas en rétention. Certes, mais Maria est ROUMAINE. Donc, pour elle, c'est le centre de rétention.
Et le petit Pedro ? se demande alors le lecteur, vaguement inquiet… Eh bien le petit Pedro reste dans sa pouponnière. Maria et son fils passeront ainsi cinq jours séparés, à hurler chacun de leur côté. Pendant plusieurs heures, Maria qui parle très peu français et n'a pas eu droit à un interprète, ne saura pas où se trouve son fils. Elle hurlera de peur mais aussi de douleur. En effet, elle allaitait Pedro quand elle a été arrêtée et se retrouve donc aux prises avec des problèmes de santé dus à la rupture brutale de l'allaitement. Pendant toute sa rétention, Maria ne verra qu'une infirmière qui lui donnera quelques comprimés de Doliprane.
Pedro, lui, habitué au sein de sa mère, refuse le lait maternisé. Le lendemain matin du placement de Maria en rétention, une militante de RESF reçoit un coup de fil affolé : « Maria est prévue sur le vol de 13h 30 pour Bucarest et il n'y a aucune trace d'un billet pour son fils ». Une demande d'asile est déposée in extremis pour bloquer l'expulsion. Aujourd'hui personne, pas même son avocat, n'a réussi à établir avec certitude si Maria devait être renvoyée en Roumanie avec ou sans son fils. Certaines versions disent que si Maria avait vraiment dû partir, des employés de l'ASE (aide sociale à l'enfance) seraient venus lui remettre Pedro au pied de l'avion, mais rien ne vient corroborer cette histoire. Ce qui est sûr en revanche, c'est que quand on a fait savoir à Maria qu'un avion était prévu pour elle, aucun détail ne lui a été donné sur l'enfant.
Après cinq jours de combat acharné de son avocat et de quelques militantes, après cinq jours durant lesquels de folles versions ont couru pour justifier l'injustifiable (Maria aurait trafiqué des billets de 200€, Maria serait une voleuse, Maria aurait peut-être maltraité son enfant, Maria, n'est ce pas, est une Rom), Maria ressortira libre de rétention et lavée de tout soupçon. La police lui rendra les quelques pauvres billets trouvés sur elle, tous tout à fait vrais et utilisables. Personne ne sait si Maria a fini par acheter du chocolat : ce qu'on sait en revanche, c'est qu'il lui a fallu encore 24 heures et quelques combats administratifs pour récupérer Pedro, qui lui, n'a jamais cessé de hurler du fond de sa pouponnière.
Dans un pays où des ministres font régulièrement des discours pour dénoncer le péril roumain au travers de statistiques qui n'existent pas, de nombreuses Maria risquent de se retrouver dans les mois qui viennent, soupçonnées, arrêtées, séparées de leurs enfants. Au-delà de l'ignoble qui consiste à priver aussi brutalement et sans explications un enfant de sa mère, au-delà des manquements flagrants de respect du droit (pas d'interprète lors de sa garde à vue, pas de suivi médical...), ce qui est le plus terrible peut-être dans cette histoire, c'est l'indifférence dans laquelle elle a eu lieu, ce sont les soupçons qu'a dû subir Maria tout au long de son calvaire.
Arno Klarsfeld n'hésitait pas à soutenir récemment : « Les Roms qui sont renvoyés, disons en Roumanie, vont vers un pays où ils sont moins heureux qu'en France, mais c'est pas pour autant qu'ils peuvent rester en France [...] S'ils courent un risque d'accord. Mais s'ils ne courent pas de risque, je ne vois pas où est le problème ». Quoique il soit très certainement grand expert des questions de l'intégration puisque nouveau président de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), il semblerait bien que Monsieur Klarsfeld n'ait pas lu le rapport rendu par la fondation Soros en 2010. Intitulé « la détresse des Roms », cette étude tire la sonnette d'alarme sur les conditions de vie des Roms en Roumanie, dénonçant notamment « les stéréotypes qui les visent, la discrimination et leur faible niveau d'implication dans la vie de la cité... ».
La France, pays des droits de l'homme, aurait-elle pour ambition d'adopter les pires pratiques sociales de ses voisins ?
Annick Vignes, RESF 75
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