En France, de nombreuses personnes n’ont pas recours à des droits et à des services sociaux alors qu’ils en ont la possibilité. Les niveaux de non-recours sont très variables selon les droits et services concernés.
La France dispose d’un système de prestations sociales très développé, dont l’objectif est d’aider la population disposant de faibles ressources à faire face aux difficultés pour se loger, se soigner, élever les enfants, etc. On insiste très souvent sur ceux qui profitent indûment du système en exagérant le phénomène pour pointer du doigt les plus démunis [1]. A l’opposé, certaines personnes bénéficient de ces mêmes droits sans en disposer en pratique, c’est ce qu’on nomme « le non-recours aux droits ». Selon les domaines, les taux de non-recours à ces droits et aux services sociaux varient considérablement [2].
Le non-recours aux minima sociaux
Le taux de non-recours au RMI (Revenu minimum d’insertion, remplacé aujourd’hui par le Revenu de solidarité active) s’établissait à 35 % en moyenne en France au milieu des années 1990 [3]. Ce taux est équivalent à celui observé aujourd’hui pour le RSA dit « socle » (pour les personnes sans emploi). En revanche, le taux est beaucoup plus élevé pour le « RSA activité », qui fournit un complément de revenus quand ceux liés au travail sont trop faibles. Fin 2009, quelques mois après le remplacement officiel du RMI par le RSA, on observait alors un taux de non-recours de l’ordre de 70 % [4]. Tout comme pour le RMI il y a quelques années, il convient de prendre en compte le nécessaire temps d’adaptation des usagers face à une nouvelle prestation pour expliquer en partie ce non-recours à des aides existantes. Mais cela n’explique pas tout : ce taux semble persister à un niveau élevé. Dans l’attente des résultats d’une enquête en cours sur le taux de non-recours à l’échelle nationale, les résultats locaux ne sont pas encourageants : en Gironde, alors qu’on comptabilisait fin 2009 9 600 allocataires du RSA activité, 11 300 personnes éligibles n’en bénéficiaient pas en mai 2010 [5].
Le non-recours aux prestations sociales
Des taux de non-recours importants sont également observés pour les prestations sociales concernant l’accès aux soins. En 2008, 1,5 million de personnes sur les six millions de bénéficiaires potentiels ne disposaient pas d’une CMU (Couverture maladie universelle), assurant aux plus démunis un accès gratuit aux soins [6]. Au 31 décembre 2010, une étude du Fonds CMU estimait que le nombre de personnes n’ayant pas recours à la CMU-C (Couverture maladie universelle complémentaire, mutuelle complémentaire rattachée à la couverture maladie synonyme de sécurité sociale) était de 1,7 million, soit un taux de non-recours de plus de 20 %. Plus spécifiquement, les personnes qui touchent le RSA socle, et qui sont ainsi systématiquement affiliées à la CMU-C, présentaient un taux de non-recours de 28,9 % en juin 2010 [7]. En ce qui concerne les prestations liées au logement, en revanche, les taux sont relativement faibles, mais il n’existe pas de données assez récentes pour estimer le phénomène. Le Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) estimait par exemple que le taux de non-recours aux aides au logement au Havre était inférieur à 1 % en 2000 [8].
Ces données sont à prendre néanmoins avec précaution : pour certaines, la méthode peut être mise à caution, et les données obtenues ne sont pas toujours extrapolables à l’ensemble du territoire national. Ces difficultés de mesure ne sont pas dues à la qualité des enquêtes citées, mais plutôt à la difficulté de l’exercice de mesure du non-recours en tant que tel. Les personnes qui ne font pas appel à des aides qu’ils pourraient obtenir ne sont pas facilement quantifiables, en raison du manque de recoupement des divers fichiers administratifs. Comment comptabiliser des personnes non- inscrites administrativement auprès des organismes qu’ils devraient approcher pour obtenir de telles aides ?
Les causes du non-recours
Les niveaux élevés de non-recours observés pour le RSA et la CMU s’expliquent notamment par la complexité des démarches, qui peuvent décourager certaines personnes éligibles. D’autres ignorent, faute d’informations, qu’elles sont concernées par ces aides. Certains ayants droits potentiels refusent tout simplement ces aides, de peur de se voir assimilés à des « assistés » et d’être considérés comme « pauvres », ou parce qu’ils estiment une telle aide inutile ou injustifiée. L’exercice de mesure des taux de non-recours est précieux : si l’existence d’aides sociales en faveur des plus démunis est fondamentale, leur efficacité est toute aussi importante. Et pour déterminer si une politique est adaptée, il faut être capable d’en mesurer le niveau de réception.
Malheureusement, l’intérêt pour ce sujet est loin d’être à la hauteur du phénomène. Il apparaît bien faible à côté des discours actuels sur l’ « assistanat ». Des programmes scientifiques s’y intéressent cependant, au premier rang desquels l’Odenore (Observatoire des non-recours aux droits et services, voir en ligne).
Pour en savoir plus : lire l’article de Philippe Warin, "Non-recours aux droits et inégalités sociales", disponible dans la rubrique recherche de l’Observatoire des inégalités.
[1] L’histoire économique de notre pays montre que ce phénomène n’est pas nouveau et qu’il existe toujours des « profiteurs » dans tous les milieux, qu’il s’agisse de 450 euros de RSA ou de valises de billets… Les pauvres sont plus nombreux dans la population, mais les plus riches fraudent à des niveaux supérieurs…
[2] Un panel d’études (en anglais) proposé par l’Odenore (Observatoire des non-recours aux droits et services) permet d’avoir une vision d’ensemble de quelques études produites sur le non-recours. Voir Marie-Pierre Hamel, Philippe Warin, « Access to social rights : criteria for evaluating public sector reforms », Odenore, document de travail, avril 2011.
[3] Antoine Terracol, « Coûts de perception et taux de non-recours aux prestations sous conditions de ressources », Les cahiers de la MSE, série blanche, n 2002.07, 2001.
[4] Nicolas Duvoux, « Le RSA et le non-recours », La vie des idées, 1er juin 2010.
[5] Nadia Okbani, « Le non-recours au RSA activité : étude auprès des allocataires de la CAF de la Gironde », Comité d’évaluation du RSA – Rapport intermédiaire 2010, pp. 51 – 56.
[6] Pierre Volovitch, « Une couverture santé à deux vitesses », Observatoire des inégalités, 31 mai 2011.
[7] Fonds CMU, Références n° 43, avril 2011.
[8] Marie-Odile Simon, « Le non-recours aux aides personnelles au logement : l’exemple de la CAF du Havre », Recherches et prévision n° 62, 2000.
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