« Un suivi systématique des décrocheurs sera organisé entre les institutions qui sont au contact des jeunes à ce moment charnière: je pense aux rectorats, aux CFA, aux missions locales, qui seront regroupés au sein de plates-formes régionales d'orientation. Dans chaque région, on organisera une plate-forme régionale d'orientation, on répertoriera la totalité des décrocheurs et on leur proposera à chacun une solution. Nous allons expérimenter ce système dès cette année, et ce système sera généralisé à la rentrée 2010. Les missions locales seront le pivot de l'accompagnement des jeunes. Nous leur attribuerons des moyens à hauteur des résultats obtenus dans la prise en charge des décrocheurs.»
A la Mission locale du XVIIIe arrondissement de Paris, cet extrait du discours présidentiel fait sourire. «S'il y en a une plate-forme à Paris, elle est en train d'être montée clandestinement», ironise Fabrice Chotard, le directeur adjoint. Idem pour les «100 plates-formes de lutte contre le décrochage», la mission locale n'en a jamais entendu parler. En revanche, le nombre de décrocheurs, lui, ne diminue pas. Nicolas Sarkozy évoquait «100.000 jeunes» de 16 à 18 ans qui disparaissent «dans un véritable triangle des Bermudes administratif où personne ne s'en occupe». En réalité, ils sont bien plus nombreux, selon le tout nouveau recensement du ministère de l'éducation nationale : 293.000 ont quitté l'école sans aucun diplôme entre juin 2010 et mars 2011. Si certains sont en apprentissage et d'autres pointent à Pôle emploi, ils sont tout de même 180.000 dans le triangle des Bermudes de Sarkozy. Alors sur RTL, le ministre de l'éducation, Luc Chatel, promettait un «suivi individuel», tout le monde étant sur le pont pour mener «la guerre contre le décrochage» : «Nous allons mobiliser l'ensemble de nos équipes», dont les missions locales. Chaque décrocheur devait recevoir dès cette rentrée une proposition individuelle de formation.
«En tout cas, personne ne nous a jamais appelés pour nous signaler un jeune qui décroche. Et puis, il est dangereux d'imaginer qu'il quitte l'éducation nationale pour entrer directement dans une autre maison, la mission locale ou ailleurs. On ne peut pas forcer les gens à être tout le temps dans un statut. De toute façon, les décrocheurs, c'est notre public, on les récupère mais avec un ou deux ans de latence», explique Serge Papp, secrétaire général du Syndicat national des métiers de l'insertion (Synami). Et Fabrice Chotard de préciser : «On a mis la main sur la liste des élèves ayant arrêté en 3e, on en connaissait la moitié. Le public de ces plates-formes, c'est le nôtre.»
Fabrice Chotard n'a jamais vu non plus de «chèque santé» (200 euros par jeune pour payer sa mutuelle) promis par Sarkozy. Et qu'en est-il du «pré-recrutement» (une entreprise finance la formation d'un jeune qui s'engage à travailler chez elle ensuite) ? Il rit, «c'est le dernier épisode des aventures de Oui-oui ?». Une enveloppe de 50 millions d'euros a été débloquée pour financer des expérimentations. Où en sont-elles ? Les missions locales aimeraient bien le savoir. Face à cette opacité et l'urgence de repenser l'insertion, elles ont pris l'intiative de créer leur propre institut, lancé début octobre, l'institut Bernand Schwartz.
Quant à l'orientation, elle semble, à bien des égards, un secteur sinistré. Alors oui, un site internet a bien été mis en place mais seul un conseiller d'orientation sur cinq partant à la retraite est remplacé. Le grand service public de l'orientation n'est toujours pas effectif. En attendant, l'orientation tend à se dématérialiser (par téléphone ou sur internet), ou à être confiée aux enseignants, alors que les centres d'information et d'orientation ferment et que les budgets diminuent (lire ici l'enquête 2010 de l'association des conseillers d'orientation). Aujourd'hui, il y a un conseiller d'orientation pour 1400 élèves, et un pour 18.000 étudiants.
Nicolas Sarkozy avait promis des avancées en faveur de l'autonomie financière via notamment le RSA jeunes, «au printemps, nous avons fait le compte. Sur les 24.000 jeunes suivis dans les missions locales parisiennes, aucun n'avait le RSA», déplore Fabrice Chotard. Les conditions d'accès au dispositif (avoir travaillé deux ans sur les trois dernières années) le rendent inaccessible. La mesure devait toucher 160.000 de moins de 25 ans, et coûter 250 millions d'euros à l'Etat. En juin 2011, ils sont moins de 10.000, à en croire les chiffres de la CAF, 20 millions d'euros ont été budgétés dans la loi de finances 2011. Autre mesure en faveur de l'autonomie financière : le 10e mois de bourse, en échange de l'allongement de l'année universitaire. Il s'en est fallu de peu mais l'argent sera bel et bien versé aux 500.000 boursiers (sur plus de 2 millions d'étudiants). Durant l'été, François Baroin s'était désengagé. Et puis, les 80 millions nécessaires à son financement n'avaient pas été budgétés. Les étudiants l'ont finalement obtenu après une bataille acharnée.
Quoi qu'il en soit, 20% des 18-25 ans vivent sous le seuil de pauvreté (50% du revenu médian, soit 795 euros) selon l'Insee. A eux seuls, les jeunes représentent la moitié des pauvres en France, selon le rapport 2011 de l'Observatoire des inégalités.
Un sur cinq est pauvre, et une proportion identique est au chômage. Selon l'Insee, au deuxième trimestre 2011, 21,9% des 15-24 ans sont touchés alors que le taux de chômage s'établit à 9,1% pour l'ensemble de la population. En réponse, Nicolas Sarkozy avait promis un renforcement du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS), un dispositif d'accompagnement (maximum 2 ans) mis en place par les missions locales depuis 2005 et à destination des jeunes sans diplôme (maximum niveau bac). Il s'agit de rendez-vous réguliers visant à trouver une formation ou un emploi. Rien de très différent du travail quotidien effectué dans une mission locale.
« Après le discours d'Avignon, l'allocation pour les jeunes entrés dans le CIVIS est passée de 900 à 1800 euros par an, mais la rallonge nous a été reprise cette année, et, de toute façon, l'enveloppe ne nous permettait pas de donner une allocation à tous, alors on divise», explique le directeur adjoint de la Mission locale du XVIIIe arrondissement, Fabrice Chotard. Dans son bilan du plan Agir pour la jeunesse, le gouvernement se félicite des«40.000 places supplémentaires en CIVIS», soit «200.000 jeunes accompagnés en 2010» tout en précisant que cela a été «financé dans le cadre du plan de relance»... On a donc changé de plan. Quid de la suite ? Les missions locales se sont déjà fait piéger: 51 millions leur avaient été accordés au titre de cette relance, 1000 conseillers (sur 11.000) ont été recrutés pour faire face à l'affluence dans les structures due à la hausse du chômage des jeunes. «La crise est toujours là, on avait du mal à imaginer que la mesure ne serait pas prolongée», explique Serge Papp. Pourtant, ce fut le cas. Les CDD ne seront pas renouvelés.
Des CIVIS, la mission locale du XVIIIe arrondissement parisien, en a 800 «à faire», détaille Fabrice Chotard. «Il y a eu des années où c'était problématique mais cette année on les a.» Le quartier fourmille de «jeunes sans qualification et d'étrangers qui n'ont jamais été scolarisés.» Un vivier qui leur permet de remplir leur objectif. Car les missions locales sont gagnées par la politique du chiffre. Les nouvelles conventions pluriannuelles d'objectif, arrivées en janvier, conditionnent le financement de l'Etat aux performances des structures. Ainsi, une mission locale qui a de bons résultats aura plus de moyens.
Tout est codifié, chaque action du conseiller doit être rentrée dans le logiciel. Rendre des comptes : à la mission locale du XVIIIe, on y consacre une demi-journée par semaine, et par conseiller. «On peut savoir en temps réel combien il y a de jeunes dans les missions locales», soupire Fabrice Chotard. Les chiffres montent mais ne redescendent pas : «nous fonctionnons encore avec le bilan de 2009».
Cela coince au niveau des indicateurs de résultats. «Alors que notre mission c'est l'accompagnement, le critère unique d'évaluation est l'accès à l'emploi durable, c'est-à-dire un CDI, mais le plus souvent un CDD de plus de six mois ou une formation en alternance. S'arc-bouter sur les résultats à court terme pour nous, c'est mal travailler. Il faut considérer le jeune dans sa situation globale», précise Fabrice Chotard.
Le CIVIS, «la machine à insérer», se transforme en «machine à exclure». «La dérive du management par les objectifs commence à se voir, on cherche des jeunes pour remplir les dispositifs. Et on commence à sélectionner le public le moins éloigné de l'emploi, celui qui a le moins besoin d'accompagnement, pour qu'il soit inscrit en "sortie positive". Parfois on entre dans la salle d'attente, on regarde le jeune en se disant "j'espère qu'il va pouvoir entrer dans le CIVIS". Nous ne sommes plus au service des jeunes mais des outils », déplore le syndicaliste Serge Papp. Cette pression des chiffres, 80% des salariés la ressentent selon une enquête de la CGT. Autant se disent stressés par ces objectifs. A mesure que «les missions locales deviennent des prestataires de service», le mal-être s'installe, le travail perd de son sens.«Maintenant, on parle avec le jeune sans le regarder, en scrutant un écran», décrit Serge Papp.
Les conseillers de plus en plus déprimés reçoivent des jeunes de plus en plus déprimés. 26% du public reçu dans les missions locales se disent en souffrance et 7% sont en état dépressif avéré, selonl'enquête de la Caisse nationale d'assurance maladie (décembre 2009).
Dans le volet insertion professionnelle, Nicolas Sarkozy avait également placé l'alternance pour ses vertus en matière d'accès à l'emploi. En effet, selon l'étude du Cereq (centre d'étude et de recherche sur les qualifications) publiée au printemps 2011 et portant sur la génération 2007 (25.000 jeunes), «les anciens apprentis connaissent un taux de chômage de 13%, presque deux fois inférieur à celui qui affecte les sortants des établissements scolaires (24%)». Mais il est un chiffre dont on parle beaucoup moins, celui du décrochage des apprentis. Pourtant, le jeune rompt le contrat dans 17% des cas (30% dans la restauration et la coiffure), selon l'enquête génération 2004 du Cereq. Un risque d'autant plus élevé que le niveau de formation est faible. La Mission locale de Beaunes a testé un accompagnement en entreprise. Les résultats sont probants pour les quelques jeunes qui en ont bénéficié: «90% vont jusqu'au bout. Mais cela demande beaucoup de moyens, il faut des médiateurs qui jouent les intermédiaires entre les patrons et les jeunes qui ne connaissent rien du monde de l'entreprise», développe Serge Papp.
En mai, le gouvernement a même lancé une campagne de communication sur l'apprentissage à grand renfort de spots radio, affiches et bannières sur internet. Un portail de l'alternance avec des offres en ligne a été créé. Rien n'y fait. Le nombre d'apprentis et des jeunes en contrat de professionnalisation ne progresse pas. Si le nombre de contrats en alternance est relativement stable entre 2009 et 2010, il chute ensuite : 6000 contrats de moins ont été signés en juillet 2011 par rapport à juillet 2010 (–30%), d'après les chiffres du ministère.
« A Paris, deux postes de développeurs d'alternance ont été créés, on pourra toujours développer l'attrait mais s'il n'y a pas d'entreprise qui embauche... L'alternance se développe pour les jeunes en licence et master au détriment des moins qualifiés. Et ceux-là, qui candidatent pour l'apprentissage, sont sélectionnés en fonction de leurs capacités scolaires, on leur demande leurs bulletins de notes alors que cette voie est présentée comme une alternative à l'école ! Cela revient à leur dire non», explique Fabrice Chotard. Dans sa structure, seuls 5% des 4000 jeunes suivis ont réussi à trouver une entreprise pour effectuer une formation en alternance. Peut mieux faire. C'est en tout cas ce que semble penser Nadine Morano, ministre chargée de l'apprentissage et de la formation professionnelle, qui a récemment demandé aux 460 missions locales françaises de diriger 50.000 jeunes vers l'alternance d'ici la fin de l'année, contre 40.300 en 2009.
L'obstacle majeur pour Serge Papp tient à ce que «les entreprises veulent des jeunes parfaits, rentables immédiatement, mais elles ne connaissent rien des vrais jeunes». Une nouvelle campagne de communication devrait être lancée à l'automne, cette fois à destination des recruteurs. Depuis le 28 juillet, les PME de moins de 250 salariés embauchant un alternant supplémentaire sont exonérées de charges. L'objectif du gouvernement est d'atteindre 800.000 alternants à l'horizon 2015, contre 530.000 en juillet 2011.
Reste le dernier pilier du plan « Agir pour la jeunesse » de Sarkozy, l'engagement, c'est-à-dire le service civique. L'objectif de l'époque était d'atteindre 10% d'une classe d'âge en 2012, soit 80.000 jeunes. Fin 2010, il n'y a que 5600 recrues. En août, François Fillon a promis qu'ils seraient 40.000 l'année prochaine et a revu les ambitions à la baisse : ils seront 75.000 en 2014. Le dispositif, qui permet aux jeunes de bénéficier d'une indemnité mensuelle de 440 euros versé par l'Etat pour des missions de six mois à un an, est loin de faire l'unanimité. «Pour les jeunes des classes favorisées, c'est du super-bénévolat avec de l'argent de poche. Mais pour ceux issus des milieux populaires, c'est du sous-emploi. Ils disent "le boulot", "la paie". C'est d'un travail qu'ils rêvent», révèle Maud Simonet, auteure en 2010 de Le Travail bénévole, engagement citoyen ou travail gratuit ?
A travers son enquête de terrain, elle montre que le service civique est un «instrument de politique publique». Il permet de réaliser des politiques gouvernementales grâce à une main-d'œuvre à moindre coût et de «soustraire tous ces jeunes des chiffres du chômage».«Les offres de mission sont très proches des offres d'emploi, il faut envoyer CV et lettre de motivation. Certaines associations n'ont pas les moyens de prendre un stagiaire puisqu'il faut le rémunérer, et donc se rabattent sur le service civique. D'autres cherchent des étudiants en communication pour une mission de communication !» Si le sous-emploi est accepté, c'est parce qu'il y a malgré tout de l'engagement, une recherche de sens, selon Maud Simonet. «Le jeune accepte de vivre sous le seuil de pauvreté parce que la mission correspond à ses aspirations, il se sent utile. Mais il ne bénéficie pas de la protection du code du travail, il n'est pas syndiqué, n'a pas accès aux prud'hommes. Le monde associatif commence à s'interroger: faut-il entretenir cette logique de sous-emploi ?»
La JOC (Jeunesse ouvrière chrétienne) réclame un vrai encadrement du service civique. Au-delà, l'organisation lance un appel «pour un big-bang des politiques jeunesse». Rassemblant autour d'elle une dizaine d'associations et syndicats de jeunes, la JOC réclame un «droit pour tous à construire son parcours et à vivre dignement», un réel accompagnement jusqu'à l'emploi. «Les entreprises doivent former les jeunes, ce n'est pas une option, c'est une obligation. Les jeunes ne sont pas entendus», s'agace Stéphane Haar, président de la JOC. Il avait participé à l'élaboration du livre vert avec Martin Hirsch, dont s'est inspiré le plan Agir pour la jeunesse. «Dès le discours d'Avignon, nous nous sommes sentis trahis, seules quelques propositions ont été retenues. Elles ont donné lieu à des mesures superficielles, incohérentes et contre-productives, construite pour les jeunes mais sans eux», et qui, à la fin, ont surtout permis «le développement de la précarité, devenue l'expérience collective des nouvelles générations». Nicolas Sarkozy l'avait bien dit, avec lui fini le «virtuel», place au «réel».
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire