La mise en examen du Docteur Bonnemaison, urgentiste du CH de la Côte Basque, provoque dans l'opinion publique des réactions très fortes. Plus de 47 000 signatures ont été recueillies par la pétition de soutien lancée sur Internet par un comité de soutien[1]. Les nombreux commentaires mis sur le site traduisent une grande émotion.
Pourquoi tant de signataires se sentent-ils solidaires du Dr Bonnemaison. En parcourant les commentaires postés sur le site, un grand nombre de personnes expriment le souhait que, le moment venu, ils seront soignés par un médecin qui prendra pour eux la décision qui a conduit à l'inculpation de l'urgentiste de Bayonne. D'où leur révolte contre une procédure qui brise leur rêve.
L'affaire de Bayonne surgit le 11 août 2011 : cette date n'est pas anecdotique quand on connait les difficultés de fonctionnement des hôpitaux en période de vacances. Dès la fin du mois des réactions importantes apparaissent dans les médias.
Les impressions qui se dégagent de cet évènement convergent avec les résultats d'une étude en cours du Centre d'Éthique Clinique de Cochin dont les résultats seront exposés le 11 octobre prochain[2], étude sur laquelle Véronique Fournier et Denis Berthiau ont dévoilé quelques conclusions[3]. La plupart des personnes âgées de plus de 75 ans y expriment leur attente de la bienveillance du médecin qui prendra pour eux, au bon moment, la « bonne décision » concernant leur fin de vie. Ces personnes âgées refusent cependant d'écrire des Directives Anticipées (au sens de la Loi du 22 avril 2005) : veulent-elles ainsi repousser l'échéance de la mort en ne l'évoquant pas de manière formelle ?
Le Contexte actuel
Avant toute évaluation, soulignons l'importance des changements considérables qui déterminent aujourd'hui la fin de vie de ceux qui atteignent le grand âge, par rapport aux générations précédentes. L'amélioration des conditions de vie, les progrès de l'hygiène, la réduction de la pénibilité physique du travail et l'efficience de la médecine moderne ont fait naître une situation sans précédent[4].
L'allongement de la durée de vie depuis 40 ans a des effets très bénéfiques, pour ceux qui gardent jusqu'à un âge avancé l'énergie nécessaire à une existence plaisante. Hélas, les personnes de grand âge sont bien souvent diminuées par de nombreuses pathologies et des maladies dégénératives dont la prévalence augmente considérablement avec l'avancée de l'âge. Le maintien en vie est alors conditionné par un ensemble de traitements et de protocoles de soins dont l'arrêt entraîne la mort, à plus ou moins brève échéance, ce qui amène à penser qu'il n'y a plus de « mort naturelle »[5].
Enfin, la dépendance est prise en charge dans des conditions telles que les derniers jours de la vie sont trop souvent confiés à l'Hôpital. Ni les Urgences, ni les services de Soins Palliatifs ne peuvent faire face. Tous les rapports récents montrent que les conditions de la mort en établissement sanitaire sont très médiocres, en particulier pour les personnes de grand âge.[6] [7]
Un Sentiment de malaise
Un consensus se dégage pour ne pas déléguer aux seuls médecins la décision d'un geste ou d'un changement de protocole de soins dont la conséquence inéluctable est la mort du patient. Les risques d'abus de pouvoir sont trop grands pour des décisions aux conséquences irréversibles. Il convient donc d'analyser attentivement les motivations de ceux ou celles qui s'en remettent aveuglément au médecin pour piloter leurs derniers instants.
Les décisions d'arrêt de vie de patients de grand âge ont été prises de manière solitaire par le Docteur Bonnemaison, selon les premières déclarations faites par son avocat lors de la révélation des faits. Même si le fonctionnement du Système de Santé a été défaillant, son mode de prise de décision pour ces actes irrémédiables est contestable.
En l'absence de Directives Anticipées et/ou de Personne de Confiance d'un patient n'ayant plus son discernement, la décision du médecin doit résulter d'une consultation avec la famille et l'équipe soignante. Même sans connaître les conditions réelles auxquelles le Docteur Bonnemaison a été confronté, il y a une présomption d'abus de pouvoir, qui crée un profond sentiment de malaise autour de son cas.
Cet évènement met aussi en évidence les pratiques qui résultent de la loi Leonetti, en particulier le « laisser mourir » qui est très insatisfaisant[8]. La parole des médecins se libère, et, comme le déclare avec passion, le Président de l'ADMD, Jean-Luc Romero, la remise en chantier d'une nouvelle loi sur la fin de vie est absolument nécessaire pour éviter les dérives actuelles[9].
Quelles pistes de solutions
Les situations de fin de vie des personnes de grand âge remettent en cause profondément certains fonctionnements de notre Société qui doit prendre des mesures en face d'une situation de rupture dont on ne mesure pas les conséquences. J'évoquerai trois axes de recherche de solutions :
1. Pour une loi de Liberté
Les décisions d'arrêt de vie se multiplient de manière inéluctable. Il convient d'établir un consensus sur des principes clairs qui éclairent les pratiques. La décision d'arrêt de vie doit être celle de la personne concernée, si elle peut l'exprimer clairement. Cette expression est directe, tant que le discernement est complet. Cette expression anticipe aussi une incapacité future à s'exprimer, en rédigeant des Directives Anticipées et un mandat à une Personne de Confiance.
Cette loi de Liberté devrait aussi entraîner un développement des Soins Palliatifs, même si leur vocation n'est pas l'accompagnement des personnes de grand âge en fin de vie.
Chez nos voisins qui ont mis en place une telle législation, les mécanismes d'accompagnement sont facilités. L'existence d'une Loi autorisant l'aide active à mourir permet en effet de libérer pour celui qui se sait en fin de parcours un espace de dialogue avec ses proches et ses soignants. Des descriptions et récits nombreux existent[10] [11], qui exposent les démarches conduites.
L'application de la loi aura des spécificités pour les personnes de grand âge, dont hélas un grand nombre présentent des troubles cognitifs importants. C'est d'autant plus important que le laisser mourir est une solution cruelle pour elles. Pour celles qui sont lucides, des demandes fermes et répétées d'assistance à mourir s'expriment, même dans un environnement affectif et social satisfaisant. Le refus de toute issue est traumatisant, l'existence d'une « touche étoile » est apaisant.
2. Les Directives Anticipées : un outil pédagogique
Les résultats de l'étude de Cochin indiquent que cette disposition législative n'est pratiquée de manière significative que chez les adhérents de l'ADMD. Cette situation se recoupe avec des observations faites par des Représentants d'Usagers sur le nombre extrêmement faible de dépôt de Directives Anticipées lors d'une hospitalisation.
Compte tenu de l'importance de la méconnaissance de la Loi Leonetti, il n'est pas surprenant que ce dispositif ne soit pas entré dans les mœurs. S'il y a un problème culturel, il se situe d'abord au niveau du Système de Santé qui n'a pas intégré dans ses missions la promotion et la diffusion des Directives Anticipées. Dans ce contexte, il conviendrait d'être prudent dans les conclusions de l'étude de Cochin concernant les Directives Anticipées.
Il ne suffit donc pas de disposer d'un outil. Il faudrait également mettre en place des processus pédagogiques qui permettent de réfléchir sur sa fin de vie et sa propre mort, démarche très loin d'être spontanée. Il y a un paradoxe entre le refus de signer des Directives Anticipées et la confiance aveugle accordée au médecin. En effet, dans la plupart des cas, les Directives Anticipées autorisent le médecin de proposer l'arrêt de vie. Un argumentaire solide reste donc à construire, avec la mise en place de formulations plus accessibles et moins juridiques.
3. Des bonnes pratiques pour la Fin de Vie des personnes de grand âge
Au delà de la Loi, les bonnes pratiques professionnelles, médicales et sociales, vont déterminer la qualité de la prise en charge des fins de vie. Celles-ci concernent tous les professionnels mais aussi la famille, les proches et les aidants. Elles doivent prendre en compte les modes de fonctionnement des structures de vie des personnes de grand âge que sont des Établissements médicosociaux (EHPAD) ou le soutien à domicile, mais aussi l'hôpital où elles sont soignées dans tous les services.
[1] Mesopinions.com
[2] de 13 à 20h à la MGEN 3 square Max Hymans 75015 Paris
[3] Euthanasie : pour une médecine humaine et responsable Libération du 1/9/2011
[4] Euthanasie, ne nous trompons pas de débat Claude Évin, Louis Puybasset Le Monde 30/8/2011
[5] Il n'y a pas de mort naturelle État des lieux sur le suicide assisté Collectif Vaudois de 7 auteurs Editions Mon Village 2010
[6] Mort à l'Hôpital, LALANDE Françoise , VEBER Olivier , Rapport IGAS 2010
[7] Étude MAHO Edouard Ferrand 2007
[8] Et si on parlait plutôt de la fin de vie Philippe Bataille Libération 1/9/2011
[9] Enquête sur les pratiques des médecins en fin de vie Le Monde 8/9/2011
[10] The Maintenance of Life : preventing social death through euthanasia talk and end-of-life care. Lessons from the Netherland Frances Norwood N Carolina Academic Press 2009 (prix Margaret Mead 2011) traduction française Mourir un Acte de Vie Presses Universitaires de Laval 2010.
[11] Face à la mort Équipe de soutien du Réseau Hospitalier d'Anvers Campus de Mittelheim Éditions Aden 2008
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