dimanche 2 octobre 2011

Où en est donc la psychothérapie institutionnelle?



Bonjour!

Tout d'abord, que ce billet ne vous détourne pas de lire le précédent, de Yves Gigou, sur les applications réelles de la loi sur les soins sous contrainte, il est édifiant, et ce n'est qu'un début.

Ensuite, je veux affirmer que ce billet n'est qu'un parti pris, au sens de ce journal en ligne, et ne prétend pas à une "vérité révélée". A cette fin, je vous prête un stock de points d'interrogation: ???????????????????????????

OU EN EST DONC LA PSYCHOTHERAPIE INSTITUTIONNELLE ?

(Propos et questionnements impertinents sur un mouvement qui a fait rêver
et travailler bien des gens en psychiatrie depuis soixante ans)


Pour placer le débat, je sors de vingt six ans de pratiques dans ce domaine (je demande pardon aux lecteurs qui n’y connaitraient rien, et je m’engage à les informer plus avant s’ils le souhaitent).

J’ai débuté mon internat chez Philippe et Edmée Koechlin. Philippe était, avec Georges Daumaison, l’initiateur, en 1952 à Lisbonne, du concept « mouvement de la psychothérapie institutionnelle », Puis je suis allé travailler chez Hélène Chaigneau, vieille « soudarde » intransigeante du GT psy, des CEMEA, du Groupe de Sèvres, et surtout d’une pratico-théorie humaniste au service des gens malades . Ceci a été suivi d’un passage chez Jean Ayme, syndicaliste de choc et historien de ce mouvement, puis chez Bailly-Salin, contempteur du pouvoir médical, qui faisait ses consultations dans le bistro des huissiers de Matignon, rue de Varennes.

C’est dire si j’ai baigné, tout au long de mon internat en psychiatrie, puis chez Chanoît, successeur de Sivadon, le « prince des anti-concepts figés », dans ce bain-là. Le sort étrange d’un licenciement « rigolo » de la MGEN m’a valu de me retrouver en poste à la clinique de Chailles, définie comme un des « monuments » de la psychothérapie institutionnelle, à deux pas de La Borde, autre monument réputé encore plus illustre.

Ceci pour le contexte.


Il me plait de dire que de tout ce parcours, je ne regrette rien, y compris lorsqu’un accréditeur débile a osé, dans mon lieu de travail, dénoncer nos pratiques comme archaïques, empiriques et dissimulatrices de paresses intellectuelles anachroniques. Bonjour l’objectivité !

Néanmoins, néanmoins…

Si je regarde du côté de mon pays, le Loir et Cher, quatre cliniques, toutes issues des séquelles de la deuxième guerre mondiale et du désert psychiatrique local, quatre cliniques suppléant longtemps à la carence du service public, portant les modèles de St. Alban, de Lacan, de Deleuze et Guattari, du surréalisme, malgré des rivalités internes… Tout pour constituer un oppidum plutôt solide, et pourtant…

L’une est rentrée dans le giron de l’industrie thérapeutique, et va devenir une MAS (maison d’accueil spécialisée), la deuxième peaufine sa spécialisation imaginaire dans la prise en charge des jeunes, sous la houlette experte d’un psychanalyste féru d’économie et de management, la troisième, bonne élève de la classe face aux instances administratives, oublie un peu ce qu’il en est de la démocratie au sens de Demay et/ou Colmin ; enfin la quatrième, temple et monopole d’héritages non revisités, élabore et élabore encore dans le sacro-saint concept d’ »asepsie », laquelle vise à exclure non seulement le monde extérieur, nocif, mais aussi tout questionnement dissonant…

Bon, vous me direz : ce n’est que le Loir et Cher, et des cliniques à but lucratif ; c’est un fait, mais ces lieux portent encore une signification qui les transcende, et font image bien hors de ce petit territoire.

Partout ailleurs, il existe des gens fort pertinents qui interrogent les pratiques de la psychothérapie institutionnelle ; dans le cadre du service public, ce qui à mon sens est autrement courageux ; d’autant que dans le public, les normes et tracasseries sont é-normes… Mais ils sont actuellement en grande difficultés, non de par la « panne idéologique », mais à cause de ces lois iniques qui tuent dans l’œuf la politique de secteur, qui servait de lit aux pratiques institutionnelles, les vraies, dans et au service du vaste monde.

La psychothérapie institutionnelle souffre, actuellement, à mon avis, de trois maux :

N’étant pas une science exacte, elle est objet de dérision des scientistes qui gèrent maintenant la psychiatrie : pas d’évaluation de performance, pas de groupes homogènes, pas de protocoles de « soins raisonnés », pas de productivité, et il faut bien le dire, pas d’auto-critique et des positions plus obsidionales que dialectiques. (Heureusement, seul le monde des laboratoires pharmaceutiques peut y retrouver ses petits).

Pratiquée dans des lieux privés, la PI met en danger son propre sens, sa propre essence, car elle associe dans les esprits le lucre, le privilège, le choix discriminé des gens admis, alors que le service public a mandat sur toutes les pathologies au gré des décisions d’Etat et des représentations sociales des troubles mentaux. De plus, le caractère dogmatique et l’esprit de chapelle que ça peut générer forment un ostracisme mal vécu par beaucoup, à la périphérie et au-delà.

« Auto-théorisée », dans une ambigüité versus les exigences actuelles des tutelles, elle n’est pas dépourvue de références théoriques, loin de là, mais elle peine à exporter un modèle si éloigné des contingences de la vie réelle qu’elle risque de faire « musée du soin d’antan », si elle ne parvient pas à retrouver l’agora et, en somme, la réalité partagée.

D’un optimisme invétéré, je pense que ça n’est pas grave, et que ça peut changer. Il y a tant de valeur dans le bâtissement centenaire de la psychothérapie institutionnelle qu’elle peut et doit résister au « gros temps » (H. Torrubia). Pour ce faire, il conviendrait que s’instaurent des missi dominici d’un nouveau genre : ni ceux de Charlemagne, qui, ancrés dans la modélisation impériale, ont été pour quelque chose dans l’écroulement de l’empire carolingien ; ni ceux, d’un nouveau genre, qu’on voit attaquer les gens qui ne pensent pas comme eux au nom de la seule et unique doxa (é)dictée par le grand maître du temple.

Non, plutôt des gens qui auraient le courage et la formation d’aller à la rencontre des autres, y compris dans des lieux hostiles, démunis, voire « incultes » idéologiquement, voire tant pressurés par les nécessités qu’ils en ont oublié toute notion d’humanité et d’engagement, et surtout de ne pas se comporter en « frères prêcheurs stigmatisants », mais en écoutants généreux et acceptant l’altérité et leur propre doute.

Les trompettes de Josué avaient fait tomber les murs de Jéricho, mais qu’on ne s’y trompe pas : les murailles enserrent l’intérieur autant que l’extérieur, et il nous faut désormais, ensemble, claironner et non plus psalmodier.

JCD, jardinier stagiaire et emm…… patenté à vie

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