samedi 12 novembre 2011

Haïti : "Vous n’avez encore rien vu"


"Quand une fois, la liberté a explosé dans une âme d’homme, les dieux ne peuvent plus rien contre cet homme là" - Jean-Paul Sartre, Les Mouches

"Vous n’avez encore rien vu..., je vais être un président cynique", nous menace Sweet Micky le chef suprême.

Les peuples sont plus forts que les tyrans, la réponse vous viendra d’en bas. Soyez-en assuré Mr le président ! Notre lutte connait des succès et des revers, nous continuerons à la mener tous les jours et pas seulement tous les cinq ans. Votre (s)élection par la minorité est pour nous un de ces revers, nous en convenons. Hérold Jean-François dans Le Nouvelliste du 21 octobre s’est même cru obligé de la qualifier de « résultat douteux et avilissant ». Lyonel Trouillot qui s’était lancé lui dans une virulente entreprise d’avilissement de la Gauche (août-sept.09) eut à déceler qu’après Duvalier il y avait d’un côté une volonté de continuation [du duvaliérisme] et de l’autre une volonté d’instrumentaliser le mécontentement populaire. Il a été, soit dit en passant, sous Gérard Latortue chef de cabinet de Magalie Comeau Denis. Pour renforcer la continuation ou l’instrumentalisation ? C’est selon, n’est-ce pas !

Les Gnbistes étaient arrivés avec l’appui des médias, - les mêmes à qui Sweet Micky fait aujourd’hui injonction de se taire-, à faire d’allégations et de mensonges, des vérités admises. Leur campagne inouïe, acharnée, obsessionnelle de 2003 qui a conduit au 29 février 2004 a prouvé quoi ? Que la force, la violence et la désinformation n’ont jamais résolu durablement les problèmes. Elles ne peuvent et n’ont toujours -au mieux- pu déboucher que sur des ‘‘victoires’’ apparentes ou temporaires. Que le remède est pire que le mal, que le vrai problème reste leur solution. Il fallait les entendre à l’émission Ranmase (radio Caraïbes) de ce samedi 22. Ils s’en prenaient à Sweet Micky qu’ils disent appuyer, -à une exception près-, sur la mécanique (comment changer un peu sans rien changer à l’essentiel) plutôt que sur l’essentiel (la réhabilitation et le retour en force du duvaliérisme). Ils paraissaient médusés. Ils commencent sans doute à ressentir la peur de leurs victimes, la peur de la mémoire des peuples. Ils auront beau se laver les mains aujourd’hui, la tache est indélébile. Qu’ils pataugent dans leurs contradictions, leur naïveté feinte. Kreyon pèp la pa gen gòm !

Réhabiliter le duvaliérisme, tel est le projet véritable de Sweet Micky avec pour éléments fondamentaux : retour de l’armée, amnistie pour Jean-Claude Duvalier et ses sbires sous couvert de réconciliation nationale, banalisation des crimes commis par les Duvalier père et fils et leur camarilla : despotisme, kleptocratie, autocratie répressive, tortures, massacres, vol, exil forcé, pillage, corruption, collusion...

Autour de Sweet Micky, qui voyons-nous ? La famille duvaliériste élargie, agrandie avec ses militaires démobilisés, ses tonton makout, ses sbires du Fraph, ses ex-secrétaires d’État, ses fils d’anciens ministres, ses hommes d’Église, ses hommes d’affaires, ses opportunistes de tout acabit, ses profiteurs aux moeurs mafieuses... et autres vermines du genre.

En zélé et fier disciple de papa Doc, -qui répétait à qui voulait l’entendre qu’en politique la reconnaissance est une lâcheté-, Sweet Micky n’a pas pris du temps pour faire goûter la médecine duvaliériste à un de ses souflantyou, la « révolution » continuant de manger ses propres fils. Ce dernier s’est plaint lors de son installation comme ministre d’avoir été puni : « J’étais à vos côtés à un moment où vous n’étiez pas fréquentable », a-t-il lancé à son chef... Qu’il se garde de passer sa rage -jusque là contenue- sur les employés du ministère qu’en bon soldat il a accepté de diriger !

Le peuple dans tout ça ?

On ne guérit pas une maladie en s’attaquant à ses effets mais à ses causes. Le débat fondamental, il dépend de nous qu’il soit mené ou occulté. Ayons l’intelligence, -nous ne disons pas le courage-, de faire le bilan de notre lutte des 25-30 dernières années. Aujourd’hui. Pas le bilan d’Aristide, pas le bilan de Préval. Le nôtre. N’usons plus de ces faux-fuyants. Remède ultime et... douloureux, mais qu’opposer d’autre aux grands maux... Il est minuit moins cinq.

Pourquoi ne pas revenir sur notre absence de capacité à prendre en charge la société après le départ du président honni ? Chute, renversement ou départ ! Tout le mouvement populaire qui s’en est suivi a vu son énergie se diluer et a fini par être phagocyté par l’absence d’organisation. Le courage de ce peuple qui a toujours résisté sans encadrement, sans formation politique mérite une organisation qui est prête à aller jusqu’au bout. Ses rêves, ses espoirs, ses souffrances, ses sacrifices et toute son énergie rebelle ne peuvent plus continuer à être expropriés, vilipendés. Nous ne pouvons pas continuer à accepter que ceux qui militent pour Chanje Leta a, entendez le système, deviennent une « base de manoeuvre » ou un élément de pression et de négociation. Il nous faut assumer l’offensive idéologique, travailler à refonder cet État dont l’ossature, la colonne vertébrale ne peut être autre qu’une Fonction Publique professionnelle, civique ; généraliser (démocratiser) la formation politique, construire une identité politique de masse capable de rassembler la classe travailleuse (qui est au chômage) et la jeunesse frustrée, révoltée ; nous organiser, parce que le culte aveugle de la spontanéité des masses est un mirage.

Cette jeunesse frustrée par l’absence de perspectives, -jeunes en désarroi, souvent diplômés qui peuplent nos rues, qui font la file devant les ambassades-, que lui avons-nous appris de l’ère Duvalier : commerce du sang avec Luckner Cambronne, traite des coupeurs de canne avec Hubert Deronceray, vêpres de Jérémie, Casale, Fort Dimanche...etc ? Sait-elle que la diaspora qui contribue pour 2 milliards est constituée dans sa très grande majorité d’exilés sous Duvalier ? Sait-elle que cette armée dont on parle temps aujourd’hui est un produit de l’occupation de 1915 ? Une armée qui disposait de moyens de répression très puissants absorbant 40% du budget national et dont on a pu mesurer la terrible efficacité. Que sait-elle de la lutte menée contre les Duvalier tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays ? Sait-elle comment et pourquoi Jean-Claude Duvalier a quitté le pays le 7 février 86 ?

La sanglante dictature duvaliériste dont les conséquences néfastes se font encore sentir aujourd’hui n’a pas été un coup de tonnerre inattendu, chacun de nous a un rôle à jouer pour prévenir sa résurgence imminente. L’élection de Sweet Micky -(inattendue ?!)- a été préparée de mains de maîtres. Ne soyons pas dupes de la manoeuvre. Ne continuons plus à en faire une simple tape dans le dos mais saisissons l’occasion pour en faire un véritable éveil de conscience. N’y aurait-il plus personne qui a le cran de ses convictions ? Espérons que la gueule de bois démocratique passée, nos progressistes daignent se remettre en cause pour la Cause.

Martelly nous a menacé, qu’il sache que le jour où notre colère explosera elle n’en sera que plus aveugle et violente.

Yvon Pierre

Source : Journal HAITI PROGRES du 2 novembre au 8 novembre 2011

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