samedi 26 novembre 2011

Place des femmes : peut mieux faire dans les manuels scolaires




Avec régularité et constance, les rapports sur la place des femmes dans les manuels scolaires se suivent et se ressemblent. Depuis des années, tous font le constat, malgré certains progrès, d’une représentation encore stéréotypée, tronquée et toujours minorée de la place des femmes dans l’Histoire. Du rapport commandé en 2004 par le Conseil économique et social à l’historienne Annette Wieviorka à celui de la Halde en 2009, ils répètent inlassablement qu'en dépit d'une histoire des femmes qui connaît depuis trente ans de grandes avancées, bouleversant les représentations communément admises, la représentation des femmes à l'école via les manuels est encore souvent totalement sexiste.

Comme si l’institution scolaire, en dépit d’un intérêt croissant du public sur le sujet, restait toujours frileuse à ces acquis de la recherche les jugeant tantôt d’essence « militante » tantôt frisant le « communautarisme ». Une pusillanimité d’autant plus regrettable quand on sait à quel point les manuels scolaires contribuent à forger les représentations symboliques des élèves qui ont souvent très peu de recul…

Fort de ce constat, le centre Hubertine Auclert, centre francilien de ressources pour l’égalité hommes-femmes, a décidé de récompenser les manuels qui ont tenté de rendre sa place à la part invisible de l’Histoire. Pour cela, le centre a mené une étude à la fois quantitative et qualitative sur onze manuels de seconde générale et de CAP, ceux issus des nouveaux programmes de 2010. Des manuels d’autant plus intéressants à étudier que, cette année, leBulletin officiel relatif à ces programmes stipulait qu’ils devaient placer « clairement au cœur des problématiques les femmes et les hommes qui constituent les sociétés et qui agissent. Le libre choix laissé entre plusieurs études doit permettre en particulier de montrer la place des femmes dans les sociétés » (BO du 29 avril 2010).

« Malgré des progrès évidents depuis dix ans, les résultats ne sont pas encore satisfaisants », a ainsi affirmé la présidente du jury Annette Wieviorka. Les résultats quantitatifs de l’étude menée par Amandine Berton Schmitt sont en effet assez effrayants. Dans les onze manuels étudiés, sur les 339 biographies proposées, seulement onze d'entre elles sont consacrées à des femmes, soit seulement 3,2%. « Parmi les auteur-e-s de documents proposés, 4 % sont des femmes. 3,5% des documents relevant du domaine politique sont écrits par des femmes, 2,8% des documents relevant du domaine artistique, 5,2% des documents relevant du domaine de la connaissance », précise le rapport. La notice biographique d’Hachette est à cet égard saisissante : aucun portrait de femmes.


« Contre l’alcool, le taudis, la guerre »

Encadrés, annexes, dossiers, les femmes lorsqu’elles sont présentessont souvent reléguées aux marges de l’Histoire. Pour Annette Wieviorka, cette présentation laisse penser que la question des femmes est « un sujet que l’on peut éventuellement étudier ». Dans la présentation de la citoyenneté à Athènes, les femmes apparaissent généralement comme une sous-catégorie de la catégorie des exclus, avec les esclaves, les métèques et les enfants, comme s’il n’y avait pas d’ailleurs de femmes métèques, de femmes esclaves...

Sur la Révolution française au programme de seconde, période sur laquelle les recherches récentes ont établi le rôle des femmes, les manuels restent, à quelques figures emblématiques près, telles qu’Olympe de Gouges, muets sur la contribution des « femmes anonymes » à l’événement. Alors que la mention « Suffrage universel masculin » apparaît dans plusieurs manuels de CAP, la plupart des manuels de seconde générale continuent de parler de l’acquis du suffrage universel en 1948, sans autre forme de précision.

Le mouvement des suffragettes est parfois desservi par une iconographie qui, insidieusement, laisse entendre que l’engagement politique des femmes s’inscrit dans leur rôle traditionnel lié au foyer. En témoigne pour Amandine Berton Schmitt le succès d’une gravure en faveur du vote des femmes où elles défilent devant une urne où est inscrit « Contre l’alcool, le taudis, la guerre ».


Le droit de vote - Nathan, Lamboley (CAP)

« Au Moyen Âge, vous enlevez la Vierge Marie, il n’y a pas de femmes », insiste Amandine Berton Schmitt, l'auteure de l’étude.«Ou alors elles restent liées à l’imaginaire masculin : la pécheresse, la dame de l’amour courtois. » Le rôle déterminantdes femmes dans la paysannerie n’est pas abordé. Alors que le travail des femmes au sein de la paysannerie ou de l’artisanat et du commerce a fait l’objet de très nombreuses recherches, rien, ni dans le texte ni dans l’iconographie, n’y fait référence. « Cette absence des femmes du monde du travail de l’Antiquité à 1848, en passant par le Moyen Âge, contribue à définir le travail au masculin », note le rapport du centre Hubertine Auclert.

De manière générale, la place des femmes dans la production économique reste très stéréotypée. Le thème des programmes, comme « Être ouvrier au XIXe siècle », laisse d’ailleurs peu de place à une histoire mixte du monde du travail. La Révolution industrielle est présentée, jusque dans l’iconographie, comme un événement viril, alors que la réalité est beaucoup plus complexe. Contrairement à ce que les oublis de certains manuels laissent supposer, les femmes ont largement participé à cette révolution de la production.

Lorsque les ouvrières apparaissent, c’est dans l’industrie textile, où elles ont certes massivement travaillé, mais avec des commentaires qui suggèrent que les progrès techniques auraient rendu ce travail peu harassant. Ce qui, comme l’a souligné Annette Wieviorka, est bien loin d’une réalité très dure, « proche de l’esclavage, douze heures par jour devant leurs machines ».

Les femmes et le textile - Nathan, Fulger (CAP)

Enfin, même si quelques figures nouvelles émergent dans ces manuels, comme la scientifique Emilie du Châtelet, la contribution des femmes à l’histoire intellectuelle, scientifique et culturelle reste souvent anecdotique. Quand elle n’est pas tout simplement gommée de l’histoire des Lumières, Emilie du Châtelet est encore parfois présentée comme la seule traductrice de l’œuvre de Newton au profit de Voltaire, une sorte de savante assistante.

« Compte tenu des résultats de l’étude, il n’y a pas cette année de prix d’excellence », a précisé Annette Wieviorka. Le manuel de seconde générale de Nathan, dirigé par Guillaume Le Quintrec, s’en tire tout juste avec les « encouragements du jury ». Comment expliquer un tel retard des manuels scolaires ? Guillaume Le Quintrec, qui s’est dit « content d’être le moins mauvais de la classe », a rappelé les contraintes du genre : « Nous devons faire des choix, beaucoup simplifier. Nous appliquons aussi des programmes où l’histoire politique traditionnelle domine. Celle des "Grands hommes" qui ne se prête pas forcément à une histoire du genre. Sur l’absence des femmes dans les notices biographiques, nous n’allons pas inventer de "grandes femmes" qui n’existent pas forcément ». Ces propos ont suscité sur le stand de la Région Ile-de-France, qui finance le centre Hubertine Auclert, quelques débats animés.

L’invisibilité des femmes dans les livres scolaires serait aussi due à un problème de sources, texte, iconographie ? « Il subsiste pourtant bien des zones muettes et, en ce qui concerne le passé, un océan de silence, lié au partage inégal des traces, de la mémoire et, plus encore, de l’Histoire, ce récit qui a si longtemps oublié les femmes comme si, vouées à l’obscurité de la reproduction, inénarrables, elles étaient hors du temps, du moins hors événements », écrivait Michelle Perrot dans Les Femmes ou les silences de l’histoire.

« Ce n'est plus un argument. Nous avons fait beaucoup de progrès sur ces "silences". Nous avons aujourd'hui tout ce qu'il faut pour proposer une Histoire mixte », a précisé Annette Wieviorka.

Les ouvriers - Hachette (CAP)

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