samedi 19 novembre 2011

Si j’étais un Grec

Le Docteur Choc est un ennemi de la démocratie


La Grèce porte certes la responsabilité du gâchis de la dette. Mais la dépression des derniers jours a été importée de Bruxelles, Berlin et Paris. Un commentaire de Gabor Steingart, rédacteur en chef du quotidien économico-commercial allemand Handelsblatt.

Düsseldorf - Après un séjour chez des amis, on aime à dire : c’était bien, ce que l’on a vu et entendu a fait forte impression. Malheureusement ce ne fur pas le cas pour les 20 membres de notre équipe de reporters, au retour de leur voyage en Grèce, où ils sont allés cette semaine pour s’informer directement à l’épicentre de la crise.
Bien sûr, nous avons rencontré ces jours derniers des chefs d’entreprise courageux qui se battent contre la crise. Une crise plus forte qu’eux-mêmes. Nous avons vu des employés vaillants dans leurs bureaux délabrés, qui essayaient de mettre de l’ordre dans l’anarchie ambiante. Nous avons parlé avec des politiciens bien conscients que leur destin les avait placés là à une époque historique.

Mais l’impression dominante était tout autre. Le pays est épuisé. Il souffre de deux maux : la pagaille due à la dette, qu’il ne doit qu’à lui-même, et celle dont est responsable la politique de sauvetage européenne, qui ne fait qu’aggraver les choses. Le bilan des sauveteurs ne pourrait guère être plus désastreux : l’économie s’effondre, le chômage augmente, les jeunes rêvent d’émigrer. Et le déficit de l’État s’accroît vertigineusement, comme si rien n’avait été fait.

Ce n’est pas en saignant l’économie qu’on viendra à bout d’une telle montagne de dettes. Malgré une politique d’austérité sans exemple - hors périodes de guerre - dans un pays occidental, la dette grecque a augmenté de 55 milliards d’euros depuis fin 2009 ; en pourcentage du PIB elle est passée de 127% à 167%. On ne peut se permettre de faire fondre ses muscles.

Si j’étais grec, je poursuivrais mes sauveteurs en justice pour coups et blessures volontaires. Et à la nuit tombante, j’irais avec tous les autres sur la place Syntagma, face au Parlement, afin de montrer ma désapprobation envers cette politique de crise qui ne fait qu’intensifier la crise.

La spirale descendante s’accélère. La remise de dettes décidée cette nuit (28/10/2011) à Bruxelles freinera la dégringolade de la Grèce, elle ne l’arrêtera pas. D’abord elle arrive un an et demi trop tard. Si à l’époque on avait divisé la dette par 2, elle serait aujourd’hui inférieure à 100% du PIB. Mais dans les conditions actuelles la Grèce restera exclue des marchés financiers pour une durée impossible à prévoir.

Manifestants à Athènes

“On avait déjà le typhus et maintenant on nous a inoculé le cancer”

De plus, environ un tiers des obligations sont la propriété des Grecs eux-mêmes, soit 74 milliards d’euros pour leurs banques et donc leurs épargnants, et 26 milliards d’euros pour leurs fonds sociaux et donc leurs retraité-e-s. En une nuit, ils ont perdu beaucoup d’argent. Je comprends pourquoi Chryssanthos Lazarides, l’éminence grise de Samaras, le leader de l’opposition conservatrice déclare: «On avait déjà le typhus et maintenant on nous a inoculé le cancer .»


La thérapie appliquée à la Grèce rappelle ce que Jeffrey Sachs, le plénipotentiaire des USA et ses Chicago-boys ont testé dans la Russie de Boris Eltsine: déréglementation précipitée, privatisation à la chaîne et coupes dans les budgets publics. Et ils ont ainsi créé ce capitalisme sauvage qui aujourd’hui encore fait des Russes une société de milliardaires et de sans-le-sou. Sachs, l’inventeur de la « thérapie de choc » - il a été surnommé “Dr Choc”- s’est par la suite excusé auprès des Russes.

Une thérapie reprise désormais par les nombreux sauveteurs de la Grèce à Bruxelles, Paris et Berlin. Voici que sont de nouveau à l’œuvre les funambules de la finance, très au fait de restructuration de dettes, modalités de crédits et effets de levier mais bien peu de l’art de stimuler une économie nationale et ceux qui y travaillent. Les successeurs du bon docteur Choc insufflent un sentiment d’impuissance, non l’optimisme.Ils retirent de l’argent à l’économie au lieu de permettre l’investissement et enfoncent le pays en récession dans la dépression.


Si nous avions traité nos frères et sœurs est-allemands comme les Grecs, les gens y rouleraient toujours en Trabant et attendraient toujours les bananes. Mais ce que nous avons fait de bien en RDA - annulation complète des dettes des entreprises, programme pour susciter une classe moyenne encore inexistante, élévation progressive des salaires pour accroître le pouvoir d’achat - nous ne le faisons pas en Grèce. À semer trop peu on récolte peu.

L’Europe a lancé un programme de sape de son propre Sud dont les effets diaboliques crèvent désormais les yeux à Athènes. L’addiction à l’héroïne et la prostitution s’étendent, nombre de commerçants ont définitivement fermé boutique, des citoyens en colère ont arraché les plaques de marbre aux façades de nombreuses agences bancaires.

Mais ce qu’on ne voit pas est pire que ce que l’on voit. Si j’étais Grec, je serais inquiet et sur mes gardes. Je surveillerais l’appareil militaire qui a gouverné le pays jusqu’en 1974 et qui est sans doute en train d’attendre sa revanche. Nous l’avons déjà constaté en maint autre endroit: le bon docteur Choc est un ennemi de la démocratie.

Résultats du sommet sur la crise de l’euro

- Nouveaux crédits

La Grèce recevra du fonds de crise européen pour les pays de la zone euro en difficulté (Fonds européen de stabilité financière : FESF) des prêts à faible taux (environ 3,5%). Les remboursements s’échelonneront sur 30 ans au lieu de 15. Un vaste programme de croissance et d’investissement en collaboration avec la Commission européenne doit remettre la Grèce sur pied. On exhorte le Fonds monétaire international (FMI) à participer au programme d’aide. La durée des emprunts contractés au titre du programme de sauvetage de 2010 est également allongée.


- Implication des banques

Le secteur financier participera sur la base du volontariat et avec une toute une gamme d’options au sauvetage de la Grèce. La contribution nette des banques doit se situer d’ici à 2014 autour de 37 milliards d’euros. En outre 12,6 milliards d’euros devraient être affectés au rachat des dettes. Si l’on estime que l’opération durera de 2011 à 2019, la contribution nette du secteur privé devrait atteindre aux termes de la déclaration finale 106 milliards d’euros.


- Nouvelles tâches pour les fonds de crises

Le fonds de stabilité européen reçoit de nouvelles attributions. Il peut désormais acheter des obligations d’État - mais à des conditions très strictes. En outre le fonds de sauvetage pourra imposer des programmes préventifs pour des candidats en difficulté de la zone euro. Le fonds ne sera pas davantage provisionné.

- Irlande et Portugal

Le Portugal et l’Irlande, eux aussi bénéficiaires de milliards d’aides de la part de leurs partenaires, seront également soumis aux conditions de crédit prévues par le FESF


- Déficits budgétaires

Tous les déficits européens devraient dans toute lamesure du possible revenir à moins de 3% en 2013. La politique d’austérité de l’Italie, qui devrait être effective en 2012 a reçu des félicitations, de même que les réformes que l’Espagne tente de mettre en place.


- Test de stress pour les banques

Les pays de la zone euro doivent mettre en place des mesures correctives appropriées pour les banques en faillite.


- Coordination économique

Les chefs d’État et de gouvernement exercent une pression sur la gouvernance économique: la Présidence européenne, que la Pologne exerce depuis début juillet, est chargée de réactiver les négociations avec le Parlement européen, actuellement dans l’impasse.


- Agences de notation

Tous les chefs de gouvernement sont d’accord pour limiter le pouvoir des agences de notation. On attend des propositions de la Commission européenne à ce sujet . En outre les Européens souhaitent créer leur propre agence de notation de poids international.


- Management de crise

Il faut améliorer le management de crise dans la zone euro. Avant octobre Herman Van Rompuy, Président du Conseil européen, José Manuel Barroso,Président de la Commission européenne et Jean-Claude Juncker, Président de l’Eurogroupe* feront des propositions.

Gabor Steingart


*Eurogroupe : réunion mensuelle (et informelle) des ministres des Finances des États membres de la zone euro
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