mercredi 23 novembre 2011

«Tous au Larzac», l'écho très actuel d'un western des 70's



«Le système nous veut triste et il faut arriver à être joyeux pour lui résister.» Le simple rappel de cette phrase du philosophe Gilles Deleuze donne l'intention de Christian Rouaud, réalisateur de Tous au Larzac(qui sort ce mercredi 23 novembre en salles).


Mediapart vous propose six extraits dans une page spéciale- cliquez ici ou sur l'image ci-dessous:



En préambule donc, soutenons que si Tous au Larzac raconte une vieille histoire de ceux qui avaient 20 ans il y a quarante ans, c'est aussi le récit d'un jouissif combat qui peut encore servir.

Explication en 1min 04 de Christian Rouaud.




La légalité, la légimité, la démocratie... Les indignés de Madrid et leur interminables assemblées décisionnaires ne sont pas loin.

Mais «en fait cette histoire, c'est un vrai western!». Quand Christian Rouaud lâche ce qui semblerait être une blague, on comprend qu'il faut le prendre au pied de la lettre. Et qu'il a tenu à ce que dans son Tous au Larzac, s'y retrouvent les invariants du genre: des paysages (de lents travellings sur les montagnes et sur les herbes du Causse), deux clans face à face (militaires contre indigènes – et leurs amis), des troupeaux (de moutons), des hors-la-loi (interdits de voter le 10 mai 1981 en raison de la suppression de leurs droits civiques) et, en toile de fond, le rêve d'un monde que certains veulent nouveau, d'autres l'espérant simplement meilleur.

Autrement dit, Tous au Larzac est le combat d'irréductibles paysans (rejoints par d'utopistes citadins) qui, durant dix ans, entre 1971 et 1981, s'opposèrent à l'Etat pour empêcher l'extension d'un camp militaire. Une histoire dont Christian Rouaud fait ici, en 3 minutes, la parfaite synthèse.




Ces dix ans sont racontés en 118 minutes par neuf protagonistes. Et l'on devine le formidable travail d'entretiens et de montage qui fut mené, à la manière dont les récits se mêlent et se complètent sans que jamais une voix off ait besoin d'intervenir pour donner des béquilles au récit.

S'y croisent donc:

– Léon Maillé, vrai paysan «pur porc», «trop flemmard» pour avoir son BEPC, qui a vu «en 1970-71, le Larzac (lui) tombe(r) dessus!» «Avant j'étais normal, précise-t-il, je votais à droite et j'allais à la messe. Ça a changé depuis!»;

– Marizette Tarlier, veuve de Guy, ancien militaire, venus tous deux en pionniers sur le Causse en 1965. Guy sera un meneur et Marizette, 77 ans aujourd'hui, la séduisante mémoire de tous les combats;

– Pierre et Christiane Burguière, deux éternels amoureux dont la ferme sera l'un des pivots de la lutte, un couple de paysans chrétiens ayant vécu 68 le fusil chargé sur l'armoire et vivant sur le Larzac leur première grève de la faim;

– Michel Courtin, étonnant immigré de Saint-Trop' installé là en 1964, à l'émotion toujours intacte;

– Pierre Bonnefous, le curé du coin, véritable agent de liaison connaissant l'attachement du paysan à sa terre «un peu comme les Kanaks ou les Indiens»;

– et aussi José Bové, qui fit de la terre où il débarqua en 1973 le tremplin pour retomber au Parlement européen;

– Christian Roqueirol, l'objecteur de conscience définitivement installé depuis sur le Plateau;

– Michèle Vincent, la figure du Comité Larzac Paris qui, chaque semaine, organisait l'extension du domaine de la lutte depuis la fac de Jussieu.

Ce qu'il y a de beau ici, c'est cette alchimie des histoires. Cette magie qui permit à ces hommes et femmes (paysans de souche, paysans pionniers, paysans citadins) de rester ensemble. Et il y a aussi cette évidence. La conscience politique s'est forgée dans l'action.



Des chrétiens avant d'être des révolutionnaires


Pas de doctrine ni d'idéologie au préambule de cette lutte qui durera dix ans. Tous les militants qui s'y sont agrégés (pacifistes, gauchistes, maoïstes, objecteurs...) ont dû composer avec le pragmatisme, voire la crédulité, des premiers résistants.

Au Larzac tout comme chez les Lip (dont Christian Rouaud a reconstitué le combat dans le documentaire multiprimé Les Lip, l'imagination au pouvoir) ou chez Bernard Lambert (dont il fit aussi le portrait au travers du documentaire plus confidentiel Paysan et rebelle, un portrait de Bernard Lambert – les Paysans travailleurs fut le mouvement précurseur de la confédération paysanne de José Bové), la révolution n'emprunte pas forcément la voie de ceux qui voudraient après coup en porter l'étendard.



Surprenante aussi est la parole des femmes. Dans Tous au Larzac comme dans Les Lip, elles sont de véritables voix dans les récits, comme autant de moments des combats féministes: porteuses de valises de montres dans le Doubs ou bloqueuses de convois militaires sur les Causses, à l'égal des hommes, elles ont su affirmer une place et la conserver encore aujourd'hui dans la mémoire de ces luttes. Même si, de l'usine aux fermes, du monde ouvrier au monde paysan, la prise de conscience ne fut pas socialement la même.


Et aujourd'hui encore, femmes et hommes ne sont pas les derniers à faire la nique aux pouvoirs.


A Cannes, manifestation contre le gaz de schiste

Ça c'est passé à Cannes cette année. Le film est consacré dans la sélection officielle. Tapis rouge, grandes marches, smocking et nœud pap' de rigueur. La venue des moutons fut même officiellement annoncée. Mais c'était sans compter avec le pirate Johnny Deep, qui, leur a-t-on dit, aurait pu prendre ombrage si on lui ravissait la vedette.




Manifestation et banderoles en guise d'une ultime bravoure, comme le feraient d'éternels cow-boys.

Alors justement, puisque l'on en revient au western, il y a dans ce film une musique qui pourrait à elle seule le signer. Une griffe, à l'instar de celle d'Ennio Morricone dans les westerns spaghetti. Mais qui a là un étrange goût de chouchen. Alors, Christian Rouaud, quelles sont vos sources?



Un sourire tout en humanité pour Le Grand Dédé, portrait d'un virtuose de bombarde à la dégaine d'un Jacques Tati croisé d'un Woody Allen. Un film sur un ami bien moins public que les Larzac ou les Lip, que Christian Rouaud ne désespère pas de voir, à son tour, en salles.


Et rejoignez aussi l'édition participative du Club de Mediapart pour y débattre de vos combats.

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