jeudi 24 novembre 2011

Sarkozy préside au retour des «années fric»


C'est une étude qui va marquer le débat de la prochaine élection présidentielle : selon l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), les inégalités de patrimoine se sont fortement creusées depuis 2004. Le rapport entre le patrimoine détenu par les 10% des ménages les mieux dotés et celui des 50% les moins dotés a augmenté « de près de 10% ». Ce chiffre prend des allures de réquisitoire contre la politique économique et fiscale conduite pendant toute cette période par Nicolas Sarkozy, d'abord à Bercy, ensuite à l'Elysée.

L'Insee publie ce jeudi une nouvelle note « Insee première » (n°1380, novembre 2011), qui est importante pour plusieurs raisons. D'abord, elle présente des chiffres très récents, puisque ceux-ci datent du début de l'année 2010 et sont issus du dépouillement des données fiscales, c'est-à-dire de données incontestables. Ensuite, ils couvrent la période 2004-2010, c'est-à-dire les années pendant lesquels Nicolas Sarkozy a d'abord été (en 2004) ministre des finances, puis, depuis 2007, chef de l'Etat. C'est donc, en quelque sorte, par le hasard de son calendrier d'études statistiques, le bilan Sarkozy que présente l'Insee. Un bilan qui révèle un vertigineux emballement des inégalités.

Voici cette étude dans son intégralité :
Patrimoine: l'état des lieux de l'Insee


10% des Français détiennent 48% du patrimoine

Cette étude contient peu de chiffres, car elle est la première exploitation des données les plus récentes, celles arrêtées début 2010. Mais ces chiffres sont spectaculaires : « Début 2010, selon la nouvelle méthodologie d'enquête et d'estimation du patrimoine mise en œuvre, la moitié des ménages vivant en France déclarent un patrimoine brut global supérieur à 150.200 euros », écrit l'Insee.


L'institut ajoute: « Les 10 % de ménages les mieux dotés en patrimoine possèdent au minimum 552.300 euros d'actifs (D9), alors que les 10 % les plus modestes en termes de patrimoine détiennent au maximum 2.700 euros (D1) chacun, soit 205 fois moins. Les inégalités de patrimoine sont beaucoup plus marquées que celles des revenus. À titre de comparaison, le revenu disponible des 10% de ménages les plus modestes est 4,2 fois moins élevé que celui des 10% les plus aisés en 2009.



«Collectivement, les 10 % de ménages les mieux dotés concentrent 48 % de la masse totale de patrimoine brut. Les 5 % les mieux dotés en détiennent à eux seuls 35 % et les 1 %, 17 %. Les ménages de ce dernier centile possèdent chacun au moins 1.885.200 euros de patrimoine brut. À l'opposé, 50 % des ménages les moins dotés détiennent 7 % du patrimoine brut, et les 10 % les plus modestes n'en détiennent que 0,05 %. »


Ces chiffres donnent le tournis. Avec d'un côté les 10% les plus riches qui détiennent 48% des patrimoines et les 10% les plus modestes qui en possèdent seulement 0,05%, c'est une France inégalitaire qui prend forme.

Mais il est vrai que ces chiffres semblent sans grand changement par rapport aux années antérieures. Cette stabilité n'est pourtant qu'apparente car l'Insee souligne que les inégalités se sont creusées depuis 2004. Explication : « À méthodologie comparable, on constate que les inégalités de patrimoine brut se sont accrues entre 2004 et 2010. Ainsi, le rapport interdécile D9/D1 [c'est-à-dire entre les 10% les plus riches et les 10% les plus modestes] a augmenté de plus de 30 % et le rapport interquartile Q3/Q1 [c'est-à-dire entre les 75% les plus riches et les 25% les plus pauvres] de plus de 47 %. »
Pour donner la mesure de ce creusement des inégalités, l'Insee donne un autre chiffre qui est encore plus parlant : « En 2010, le patrimoine moyen détenu par les 10% des ménages les mieux dotés est 35 fois plus élevé que celui détenu par les 50% de ménages les moins dotés. Ce rapport était de 32 en 2004. » CQFD ! Si on est passé d'un rapport de 32 à 35 de 2004 à 2010, c'est donc bien que « le rapport entre le patrimoine des 10% des ménages les mieux dotés et celui des 50% les moins dotés a augmenté de près de 10% ».
L'Insee donne une ultime mesure de ce creusement des inégalités, en évoquant un autre indicateur. Il s'agit de ce que les économistes connaissent sous le nom de « Indice de Gini ». En voici la définition : « Il permet de mesurer le degré d'inégalité de la distribution des patrimoines pour une population donnée. Il varie entre 0 et 1, la valeur 0 correspondant à l'égalité parfaite (tout le monde a le même patrimoine), la valeur 1 à l'inégalité extrême (une personne a tout le patrimoine, les autres n'ayant rien). »

Or, pour 2004-2010, « l'indice de Gini a augmenté de 1,4% sur cette période. Ce creusement des inégalités observé sur l'ensemble de la population est amplifié parmi les ménages dont le patrimoine est supérieur au dernier décile. Ainsi, l'indice de Gini s'est accru de 13,9% sur cette population ».

Une hausse de 11% l'an des revenus du patrimoine

Et l'étude de l'Insee s'arrête-là. Elle ne donne pas d'autres clefs pour interpréter ce creusement des inégalités. On en est donc réduit aux hypothèses pour décrypter ces évolutions. Mais le risque d'erreur d'interprétation est faible. Car à l'évidence, ce ne sont pas les évolutions de la Bourse qui jouent ici de manière forte. Au début de 2004, le CAC 40 avoisine les 3.500 points, et au début de 2010, il se situe à peine en dessous des 4.000 points. Pour les détenteurs de valeurs mobilières, qui se recrutent dans les patrimoines les plus favorisés, il y a donc eu un enrichissement lié à la Bourse, mais dans des proportions limitées.

Le plus vraisemblable est donc que cet enrichissement des plus riches, cet enrichissement « par le haut » – qui parcourt de nombreuses autres études récentes de l'Insee –, a pour origine principale la bulle spéculative de ces dernières années sur tous les actifs immobiliers. L'Insee conforte cette hypothèse en faisant ce constat : « En 2010, le patrimoine brut des ménages est principalement constitué de biens immobiliers (62 %). En France, six ménages sur dix sont propriétaires de leur résidence principale ou accédants à la propriété. »

Le deuxième constat qui transparaît de cette étude, c'est, sans grande surprise, que Nicolas Sarkozy a conduit une politique fiscale complètement à rebours de ce qu'auraient justifié ces évolutions. Au lieu d'amortir le choc inégalitaire de l'envolée des patrimoines des plus riches, le chef de l'Etat l'a encore renforcé.

Durcissement du bouclier fiscal, quasi-suppression des droits de succession et maintenant démantèlement partiel de l'Impôt de solidarité sur la fortune : le chef de l'Etat a fait le choix d'enrichir ceux qui étaient déjà les grands gagnants de la période. En quelque sorte, comme on en a parfois fait le grief à François Mitterrand à la fin des années 1980, il a présidé au grand retour des « années fric», au règne de « l'argent fou», mais dans des proportions encore plus stupéfiantes. Au choix, revoilà le «Mur de l'argent» ou les «200 familles», par la bonne grâce de Nicolas Sarkozy...

Durant la campagne présidentielle, la gauche pourra donc s'appuyer sur ces statistiques indiscutables pour dresser le réquisitoire des années Sarkozy. Un rapport de la Cour des comptes publié au printemps dernier et dont Mediapart s'est fait à l'époque l'écho (lirePour une nouvelle nuit du 4-Août) est récemment venu compléter le réquisitoire qui sourd implicitement des statistiques de l'Insee. En avril dernier, une autre étude de l'Insee (elle est ici) donnait aussi des indications allant strictement dans le même sens: elle révélait que les revenus du patrimoine progressent depuis 2004 à un rythme de 11% l'an (lire La hausse vertigineuse des revenus du patrimoine).

Pour autant, la gauche et notamment les socialistes voudront-ils réellement inverser la tendance ? On sait que depuis plusieurs mois, le candidat socialiste à l'élection présidentielle, François Hollande, multiplie les signes de prudence. Comme en atteste son face-à-face vidéo (ci-dessous) avec l'économiste Thomas Piketty, organisé par Mediapart, il prône certes une « révolution fiscale » mais recommande tout de même de prendre garde de ne pas pousser à la délocalisation les plus hauts revenus.






En somme, cette étude de l'Insee a un double intérêt : celui de nourrir le réquisitoire de la politique fiscale de Nicolas Sarkozy ; et celui de nourrir le débat sur une politique fiscale alternative.

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