dimanche 20 novembre 2011

Le mur de la liberté

France - Paris 75019


Pour leur vingt-cinquième anniversaire, les Inrockuptiblesinvitaient à imaginer les vingt-cinq années à venir. Ce texte est ma contribution à ce numéro du 30 octobre 2011. (Eric Fassin)


Depuis 2017, l’Europe est à nouveau partagée en deux. C’est au seuil de son troisième mandat que le président français lança l’idée de bâtir un « mur de la liberté » pour protéger la démocratie des périls qui l’assiégeaient.


On enseigne encore dans les écoles son discours de Berlin, en écho à celui du président Kennedy : « En 1989, la chute du Mur a marqué le triomphe d’une société ouverte sur une société fermée. C’est l’Europe de la liberté qui l’a emporté ici. Aujourd’hui, c’est contre les ennemis de la liberté qu’il faut ériger un mur : nous sommes tous berlinois ! 

En effet, la capitale allemande se relevait à peine d’un attentat qui avait frappé un congrès féministe. La brigade européenne anti-terroriste avait rapidement arrêté des suspects, liés à un groupuscule islamiste turc, chez qui l’on trouva des tracts homophobes.

Pour mettre un terme à l’immigration extra-européenne, Nicolas Sarkozy proposa de soumettre son projet à référendum : « Un mur pour la liberté ! ». Cette initiative fut aussitôt saluée par plusieurs dirigeants de l’Union – depuis le doyen italien, Silvio Berlusconi, jusqu’au nouveau ministre-président néerlandais, Geert Wilders.

Certes, les défenseurs des droits de l’homme furent nombreux à protester ; mais les partisans du référendum avaient beau jeu de répondre : sans parler d’Israël, les États-Unis n’avaient-ils pas montré la voie aux démocraties en élevant une muraille à la frontière mexicaine sans susciter pareille réprobation ? Un slogan gagna l’opinion : « Pour que notre Europe reste ouverte, fermons-la ! »

Des juristes trouvèrent une solution : il suffisait de changer la constitution européenne. L’Europe était par son histoire et devait rester par sa culture à la fois chrétienne et laïque. Aussi les droits des femmes devaient-ils fonder son identité (ceux des homosexuels relevant toujours des compétences nationales), quitte à créer un statut d’exception pour le Vatican, nouvel État-membre.

Cette redéfinition entraîna une rupture : dernière entrée, l’Islande fut la première à claquer la porte, dans l’indifférence générale ; quant au retrait de la Grèce, il provoqua un réel soulagement. Leur exemple fut bientôt suivi par le Royaume-Uni et l’Espagne. Une demande d’adhésion vint compenser les départs : le russe Vladimir Poutine, devenu président à vie, ralliait l’Europe ouverte.

On s’apprête à fêter en 2037 les vingt ans du Mur de la liberté. Sans doute les immigrés d’Afrique sont-ils aussi nombreux ici que dans l’autre Europe ; du moins sont-ils cantonnés dans l’illégalité. Sans doute les musulmans sont-ils autant présents ici que dans l’Europe des autres ; du moins sont-ils astreints à la clandestinité. Signe de notre liberté ? Il est encore des féministes ou des militants homosexuels pour se plaindre : en dépit du Mur, l’égalité des sexes et des sexualités serait loin d’être acquise dans notre Europe… Encore devraient-ils se féliciter que sexisme et homophobie y soient interdits aux étrangers !
source
photo

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire