lundi 21 novembre 2011

PORTUGAL : Mon voisin, le Premier ministre

Francisco et Bernardete Sesinando, voisins de Pedro Passos Coelho.

Dans la rue où habite le Premier ministre Pedro Passos Coelho, dans la banlieue de Lisbonne, la crise a frappé à plusieurs portes. Expresso raconte comment ses habitants, des Portugais de la classe moyenne, vivent les mesures d’austérité imposées par leur illustre voisin.

Il suffirait que Pedro Passos Coelho sorte à nouveau à pied par l'entrée principale de son immeuble (et non par cette discrète porte de garage, à l'arrière, qu'il utilise pour filer en voiture depuis qu'il est devenu Premier ministre) pour qu'il se rende compte des effets concrets de la crise dans la rue où il vit, à Massamá.

Le pays est en colère. Tout comme une bonne partie des habitants du coin – le jour où ont été annoncés les prélèvements sur les primes de vacances et de Noël, certains sont allés jusqu'à leur fenêtre crier des insultes à l'attention de leur illustre voisin.

Juste en face du numéro 27 de la Rua da Milharada, un salon de coiffure et un restaurant ont baissé le rideau. Le restaurant a déjà changé de mains à trois reprises au cours des deux dernières années. Par manque de clients.

Chaque mois, une nouvelle enseigne ferme

Et sur cette artère bordée de hauts bâtiments entassés comme des Lego, semblable à tant d'autres dans la banlieue lisboète, il suffit d’entrer dans d'autres commerces pour comprendre que la menace plane sur toute la rue ou presque. Chaque mois qui passe, une nouvelle enseigne fait faillite, de nouveaux habitants perdent leur travail ou subissent des diminutions de salaire. Ici comme ailleurs, les nouvelles mesures d'austérité qui surgissent un mois sur deux rythment la (dé)cadence.

A quelques numéros du restaurant et du salon de coiffure fermés, Rute Ramos, 35 ans, le regard perdu sur une gigantesque mappemonde, attend que quelqu'un vienne s'asseoir devant elle pour acheter l'un des derniers séjour d'hiver pour la Laponie (la patrie du père Noël) ou pour une destination plus ensoleillée, comme les Caraïbes. Mais seuls partent à l'étranger ceux qui vivent bien ici, "et ils sont de plus en plus rares. Depuis un an, nous enregistrons une diminution de 50 % de notre clientèle – – ce sont en majorité des fonctionnaires, souvent des enseignants, qui n'ont plus d'argent pour partir en vacances."

Rute Ramos dit s'estimer heureuse d'avoir toujours un emploi. D'autant qu'elle a une petite fille d'un an, et que son mari est à la maison, sans emploi ni aide de l'Etat. "J'ai l'impression que la moitié des Portugais sont au chômage", lâche-t-elle. Et ceux qui ne le sont pas n'ont d'autre choix que d'accepter des salaires plus bas, et la précarité qui va avec. C'est d'ailleurs le cas de Rute.

Or et bijoux contre espèces

La propriétaire d'un salon de coiffure nous précise qu'elle a vu chuter son chiffre d'affaires de 30 % depuis un an. "Je me demande si je ne vais pas aller déposer mon salaire là-haut au cinquième étage, histoire de voir si monsieur le Premier ministre saurait mieux gérer cet argent que moi. Il fallait faire quelque chose", concède-t-elle, "mais les mesures n'avaient pas besoin d'être aussi dures et aussi brutales." Il n'y a là rien de personnel, bien sûr. Comme bien d'autres de ses voisins, la coiffeuse trouve Pedro Passos Coelho"sympathique et bien élevé".

Près de l'immeuble où vit le Premier ministre, impossible de ne pas remarquer une nouveauté. Ce nouvel avatar de la crise a fait son apparition il y a quatre mois : "Achète or et bijoux contre espèces". Et dans un pays endetté, c'est une affaire qui prospère. Ici à Massamá, et un peu partout ailleurs dans le pays.

Des mouchoirs en papier, une balance et un ordinateur portable, c'est tout le matériel de Liliana Coelho. Tous les jours ou presque, quelqu'un entre ici vendre des bijoux. Ce sont surtout des femmes divorcées, de 30 à 50 ans – le contexte économique ne leur est pas favorable. Ici, le gramme d'or se négocie 18 euros, bien en-dessous du prix du marché, qui dépasse les 42 euros.

"On voit qu'elles s'inquiètent pour leurs enfants, constate Liliana Coelho, qu'elles sont endettées jusqu'au cou." Au bout du rouleau, ces femmes vendent tout ce qu'elles ont : bagues, alliances, chaînes en or, montres. "Je vois défiler ici des cas désespérés. Certaines personnes ont gardé leur or très longtemps, toute une vie souvent, et il leur est pénible de s'en défaire comme ça, en quelques minutes." Liliana n'est pas certaine que les 600 euros qu'elle perçoit justifient ces marchandages sur le malheur des autres.

"Il n'y a pas de justice dans ce pays"

De l'autre côté de la rue, João Alves, 70 ans, les cheveux blancs, se rend à la pharmacie : il ne pourra pas marchander sur ses médicaments, simplement déterminer ceux qu'il peut encore se payer avec ce qui lui reste de ses 450 euros de retraite.

Opéré récemment de l'épaule, qu'on lui a remplacée par une prothèse, il s'est fait à l'idée de ne pouvoir acheter que certains des médicaments dont il a besoin. Et il compte les jours en attendant d'avoir repris suffisamment de forces pour se remettre au volant de son taxi, 12 heures par jour : "Sans ça, je ne pourrai pas payer mes dettes et celles de ma femme, ni aider mes enfants, qui se retrouvent de nouveau dépendants de moi."

João Alves est révolté : "Il n'y a pas de justice dans ce pays. Quand on vole un kilo de pommes, on va en prison, mais on peut voler des millions et se balader librement. Je veux parler de ces politiques et de ces grands patrons, ceux qui nous font boire le bouillon aujourd'hui..."
C'est à l'intérieur même de l'immeuble de "Pedro", le "cher" voisin du cinquième droite, que les propos sont les plus cléments. Et ce malgré les nouvelles de la panique financière qui proviennent du poste de télévision. Sur le canapé, Francisco et Bernardete Sesinando, 78 et 76 ans, flanqués de leur chienne Princesa, ne supportent plus de ce mot rebattu : la crise, la crise, toujours la crise. Ils vivent dans un quatre pièces de 200 mètres carrés semblable à celui du Premier ministre.

Francisco appelle "Nanete" chaque fois que leur voisin apparaît à l'écran. Pour eux, c'est son prédécesseur José Sócrates le coupable de la situation actuelle. Passos est parfaitement innocent : "Il a dû se plier aux ordres de la troïka [Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, Commission européenne], sinon le pays coulait", résume ce lieutenant-colonel de l'armée de réserve. Son épouse, une ancienne professeure de musique, déplore ces coups de fils incessants que lui passent des amies pour lui demander de transmettre au voisin qui un message, qui une injure. C'est hors de question : "Pedro est comme un fils pour moi."

Bernardo Mendonça

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