mercredi 30 novembre 2011

Sondages: la réponse est «plutôt favorable», mais quelle était la question?


Et dire qu'il va falloir tenir ainsi jusqu'à la présidentielle. La campagne commence à peine et, déjà, les sondages sont partout, à la une des journaux, en ouverture des flashs radios. Les Français pensent ceci, les Français se disent cela. Les dernières 48 heures illustrent cette manie sondagière qui rythme l'agenda médiatique, sans que personne s'interroge sur la pertinence et la formulation des questions posées, ni, donc, des réponses obtenues. Pourtant, au-delà des questions de méthode (échantillon, redressements, etc.), la façon même dont les interrogations sont présentées, orientées, et dont les mots sont choisis, conditionne les résultats.

Mardi, dans Libération, l'institut ViaVoice nous informe qu'une question a été posée à 1007 personnes par téléphone:

«Selon vous, la candidature d'Eva Joly à la présidentielle est plutôt:

– un risque pour la gauche qui pourra être divisée (résultat : 57%)

– une chance pour la gauche, toutes ses sensibilités doivent être représentées ». (27%)

En exergue de ses études, Viavoice cite Joris-Karl Huysmans: «La réalité ne pardonne pas qu'on la méprise.» L'institut ne dit pas si l'auteur était «tout à fait d'accord» ou seulement «plutôt d'accord» avec cette assertion. ViaVoice doit seulement espérer que la réalité pardonne la méprise.


Car la question posée pour Libération sous-entend qu'on ne peut à la fois considérer que la candidature d'Eva Joly comporte une part de risques pour la gauche ET qu'elle est une chance.



Surtout, quel enseignement tirer d'une telle question alors que le résultat aurait été tout autre avec un choix d'option différent et formulé dans un autre ordre. Par exemple : Selon vous, la candidature d'Eva Joly à la présidentielle est plutôt:

– une chance car le candidat de gauche issu du premier tour disposera d'une réserve de voix au second tour

– un risque pour la gauche qui pourra être divisée.

Les biais de ce sondage paraissent presque toutefois anecdotiques au regard de celui réalisé par BVA et publié lundi dans 20 minutes(repris par l'AFP, Le Monde, etc.) qui nous «apprend» que «près de deux Français sur trois sont pour le retrait d'Eva Joly».

La question la plus mise en avant est la suivante: «Vous, personnellement, préféreriez-vous...

– qu'Eva Joly maintienne jusqu'au bout sa candidature à l'élection présidentielle (35%)

– qu'Eva Joly retire sa candidature à l'élection présidentielle, et que les Verts présentent un autre candidat à sa place (25%)

– qu'Eva Joly retire sa candidature à l'élection présidentielle et que les Verts ne présentent aucun candidat à l'élection présidentielle» (36%)

Conclusion reprise unanimement: «Près de deux Français sur trois souhaitent qu'Eva Joly se retire de l'élection présidentielle.»

Comme le fait remarquer L'observatoire des sondages, aucun candidat n'atteignant la moitié des intentions de vote, on pourrait imaginer un résultat identique pour n'importe lequel des compétiteurs, y compris François Hollande et Nicolas Sarkozy. Mais la question n'est posée que pour Eva Joly.

Dans les réponses proposées, deux sur trois suggèrent le retrait de la candidate écologiste. Comment imaginer que ce déséquilibre de départ ne se retrouve pas à l'arrivée?

L'échantillon, que l'institut traduit par «Les Français», comprend des personnes âgées de 15 ans. Il n'y a donc pas de vérification d'inscription sur les listes électorales. Le sondage se fait en dehors de tout contrôle, la commission nationale des sondages ne vérifiant que les études portant sur des intentions de vote (ou des questions appelant à une comparaison entre candidats).

Des sondages hors contrôle

Du coup, les instituts peuvent se libérer de toutes les contraintes coûteuses (redressements, échantillons parfaits). Les résultats sont plus approximatifs que jamais mais comme le fait remarquerl'Observatoire des sondages, aucun candidat ne se rebelle en justice en se fondant sur l'article L-97 du code électoral qui dit que «ceux qui, à l'aide de fausses nouvelles, bruits calomnieux ou autres manœuvres frauduleuses, auront surpris ou détourné des suffrages, déterminé un ou plusieurs électeurs à s'abstenir de voter, seront punis d'un emprisonnement d'un an et d'une amende de 15.000 euros».

A défaut d'attaquer les sondages devant les tribunaux, les politiciens s'abstiennent-ils au moins d'en tenir compte? La croyance est si forte qu'on peut en douter. Combien ce matin ont pris comme un enseignement la sentence délivrée sur les radios via l'AFP, selon laquelle «moins d'un Français sur trois est prêt à acheter des obligations d'Etat». En réalité, et sans faire injure à l'intérêt «des Français» pour la chose économique, combien ont compris (ou sont simplement allés au bout de) la question posée par Harris Interactive. La voici:

«L'Italie va organiser ce lundi 28 novembre une “journée des Bons du Trésor” durant laquelle les Italiens auront la possibilité de racheter une partie de la dette de leur pays. Si cela était mis en place en France avec des taux d'intérêt proches de ceux pratiqués dans les banques actuellement, c'est-à-dire qu'on ouvrirait la possibilité aux Français de racheter une certaine somme de la dette qui leur serait à terme remboursée par l'Etat avec des intérêts, rachèteriez-vous certainement, probablement, probablement pas ou certainement pas une partie de la dette française?» Vous suivez ?

Les sondages économiques sont décidément riches d'enseignements. Celui réalisé par TNS Sofres pour Canal + nous apprend que les sympathisants UMP sont 52% à trouver qu'il serait normal d'augmenter les impôts face à la crise, contre seulement 25% des sympathisants PS.

C'est fou. La droite veut plus d'impôts. Face à une gauche soudainement devenue madeliniste. Et la France entière qui l'ignorait jusqu'à ce jour. A moins que la question de la Sofres, avec l'utilisation de l'adjectif «normal» (et non «judicieux», «juste», ou «êtes-vous favorable»), n'y soit pour quelque chose, elle qui demandait: « Jugeriez-vous tout à fait normal, plutôt normal, plutôt pas normal ou pas normal du tout d'augmenter les impôts des Français pour contribuer au remboursement de la dette de la France?»



Parfois, la seule contextualisation de la question peut jouer sur les résultats. Lundi matin, Le Parisien fait sa une d'une étude BVA, et bientôt tous les médias: «61% des Français se disent favorables au droit de vote des étrangers non communautaires pour les municipales».


L'intitulé exact de la question est le suivant: «Les étrangers venant d'un pays membre de l'Union européenne ont le droit de voter aux élections locales en France. Vous personnellement, seriez-vous favorable ou opposé à ce que ce droit soit étendu aux autres étrangers, en situation régulière et résidant en France depuis plus de 5 ans?»

Certes, la question est posée à l'identique depuis dix ans, explique BVA. Mais elle présente l'évolution du droit de vote comme des plus naturelle. A tel point que 40% des électeurs du FN s'y déclarent favorables. Qu'aurait donné un sondage introduisant la question comme ceci: «Le vote est lié à la citoyenneté depuis la Révolution française, avec une seule exception, lors des élections locales, pour les citoyens de l'Union européenne. Vous personnellement...»
La formulation n'aurait été ni meilleure ni moins vraie. Elle aurait simplement, selon toute vraisemblance, modifié les résultats.

Fort heureusement, l'homme politique du week-end, Hervé Morin (Nouveau Centre), candidat à la présidentielle, a eu la sagesse de relativiser les sondages sur toutes les ondes. Il est vrai que ceux qui le concernent le créditent de 0,5 à 1% des suffrages. Et encore: personne n'a osé le lui dire. Mais en réalité, avec les marges d'erreur admises, son vrai score se situe peut-être à -2%.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire