mercredi 16 novembre 2011

Le triste florilège des inégalités françaises


L'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) publie ce mercredi son traditionnel « Portrait social » de la France. Regroupant des études qui ont déjà été publiées, mais seulement de manière partielle, et d'autres études qui ne l'ont pas encore été, ce document annuel de l'Insee permet de prendre l'exacte mesure des fractures sociales qui minent le pays. Inégalités de revenu, inégalités face à l'emploi et au chômage, inégalités face à la formation : c'est un formidable outil que l'institut offre pour comprendre les mutations qui affectent l'économie française, et les souffrances sociales qu'elles génèrent.

Toutes les études présentées dans ce document méritent attention. Mais dans la livraison de cette année, quelques points sont particulièrement saillants. L'Insee met ainsi en évidence le désastre que la déréglementation du travail a suscité, avec à la clef une envolée de l'intérim et un recul des contrats stables. Il met aussi en évidence un enrichissement des plus riches et s'applique à chiffrer les gains que ces mêmes hauts revenus ont tirés de l'allègement de l'impôt sur le revenu.

Voici donc ce « portrait social » de l'Insee :


Portrait social de l'Insee


Un constat en forme de réquisitoire

>L'envolée de l'intérim

Décrivant les évolutions du marché du travail, l'Insee met en valeur (lire à partir de la page 13) les conséquences de la déréglementation qui a affecté le marché du travail en France. Elle a été si violente au cours ces deux dernières décennies que l'intérim occupe désormais une part prépondérante dans l'emploi. Explication de l'Insee :

« L'intérim a été la principale variable d'ajustement de l'emploi à l'activité entre 2008 et 2010. Entre le 1er trimestre 2008 et le 1er trimestre 2009, les effectifs intérimaires se sont contractés de 35 %. Le taux de recours à l'intérim s'est effondré dans les secteurs marchands, passant de 4,1% au 1er trimestre 2008 à 2,8 % au 1er trimestre 2009. Dès la mi-2009, l'intérim est reparti à la hausse. Ce redémarrage précoce de l'intérim se poursuit tout au long de 2010 (+ 96.000 intérimaires). Au total, sur l'année, l'intérim contribue pour plus des deux tiers aux créations d'emploi. Le dynamisme de l'intérim s'essouffle cependant au 1er semestre 2011 (+ 17.000 créations) et le taux de recours se stabilise à 3,8 %, soit légèrement en deçà de ce qui prévalait avant la crise. »
Le fait que l'intérim contribue pour plus des deux tiers aux créations d'emploi est un phénomène nouveau et spectaculaire. Par contraste, au début des années 1980, près de neuf emplois sur dix créés étaient des contrats à durée indéterminée (CDI). Or désormais, la part des emplois en CDI ne cesse de baisser, comme le détaille l'Insee :

« Le taux d'emploi en CDI a ainsi atteint un point haut au 4etrimestre 2008,où il s'établissait à 50,5% de la population, puis il a diminué en 2009. La reprise de l'activité n'enraye pas tout de suite cette diminution: le taux d'emploi en CDI continue de baisser tout au long de 2010 et début 2011 (48,7% au 1er trimestre 2011) pour ne repartir à la hausse qu'au 2e trimestre 2011. »

>La stagnation du pouvoir d'achat

L'Insee confirme (page 19) la stagnation du pouvoir d'achat des ménages en 2010. Il indique que « le pouvoir d'achat au niveau individuel (c'est-à-dire par unité de consommation) est quasi stable en 2010 (+ 0,1 % après +0,6 % en 2009) ».

>Les inégalités salariales

L'Insee consacre une longue étude (à partir de la page 53) à détailler ces inégalités. Il fait en particulier ces constats :

« En 2009, le revenu salarial moyen sur l'ensemble de la population salariée des secteurs privé et public s'établit à 19.284 euros, mais les situations sont hétérogènes. Au cours de l'année 2009, un quart des salariés ont perçu moins de 9.414 euros de revenu salarial net (1er quartile Q1, soit 0,75 Smic dans l'année) : soit ils ont un emploi stable mais avec un faible nombre d'heures de travail par jour (temps partiel) ; soit ils n'ont été en emploi qu'une partie de l'année, parce qu'ils alternent périodes d'emploi et périodes de chômage, ou bien parce qu'ils sont entrés sur le marché du travail en cours d'année (cas des étudiants) ou sortis du marché du travail en cours d'année (cas des retraités).»

L'Insee note aussi que «le revenu salarial moyen des 25 % de salariés les mieux payés ( 38.749 euros ) est 10 fois supérieur au revenu salarial moyen des 25 % de salariés les moins payés (3.891 euros)».

Autre inégalité scandaleuse, celle dont les femmes sont les victimes : « En 2009, les femmes perçoivent un revenu salarial inférieur de 25% en moyenne à celui des hommes. Cette différence est d'abord imputable à un salaire horaire moyen inférieur de 18,6%. À cela s'ajoute une durée d'emploi en équivalent plein temps dans l'année plus faible de 7,7% en moyenne, du fait de l'importance du temps partiel féminin », souligne l'Insee.

L'institut consacre aussi un très intéressant encadré (page 74) aux très hauts revenus. On y apprend notamment ceci :

«Au cours de la période 1995-2009, la distribution de revenu salarial au-dessus de la médiane et jusqu'au 99e centile inclus ne s'est pas déformée. Les revenus salariaux moyens ont évolué à peu près parallèlement, à un rythme annuel d'environ +0,6%: c'est vrai pour le 3e quart, le 4e quart, le dernier décile, le 91e centile, etc., et le 99e centile. En revanche, le revenu salarial moyen des "très hauts revenus salariaux" (les 1% les mieux rémunérés) croît plus rapidement, de 1,4% par an en moyenne. Il avait augmenté à un rythme plus rapide jusqu'en 2007, mais a connu une baisse en 2008 et 2009. Le dernier centile est d'ailleurs le seul pour lequel se produit une baisse du revenu salarial pendant la crise. Cette baisse qui atteint au total 3,7% vient du fait que la part variable du salaire est sensiblement plus élevée dans le haut de la distribution.

«Entre 1995 et 2009, la part dans la masse salariale totale des "très hauts revenus salariaux" est passée de 6,1% à 6,6%. En 2007, cette part était montée à 7%, mais elle a baissé depuis suite à la crise. Ainsi les écarts de revenu salarial entre les 1% de salariés les mieux rémunérés et les autres ont globalement augmenté entre 1995 et 2009, même si cette tendance s'est inversée durant la crise. »


>Les inégalités de niveau de vie

L'Insee rappelle (page 78) un chiffre qui était déjà connu, mais qui frappe les imaginations : « En France métropolitaine, la moitié des personnes ont un niveau de vie inférieur à 19.080 euros par an en 2009, soit 1.590 euros par mois, selon l'enquête Revenus fiscaux et sociaux (ERFS). »

Mais l'Insee complète ce tableau, en révélant une accélération des inégalités, au profit des plus hauts revenus : « Ainsi les 10 % de personnes les plus aisées ont plus profité de la hausse des niveaux de vie pendant la période : elles détenaient 22,5 % de la masse des niveaux de vie en 1996, elles en détiennent 24,0 % en 2009. De 1996 à 2004, les plus modestes ont également connu une augmentation du poids de leurs niveaux de vie. À l 'inverse, la part détenue par les personnes ayant un niveau de vie intermédiaire a diminué. Après 2004, la réduction des écarts de niveau de vie entre le bas et le milieu de la distribution cesse tandis que la part des niveaux de vie détenue par les plus aisés continue à progresser, d' où une augmentation des inégalités par le haut. »


>Les inégalités du système de redistribution

Après avoir pointé ces inégalités de niveau de vie, l'Insee souligne un paradoxe: le système redistributif français ne corrige pas ces tendances mais à l'inverse les accentue. Consacrant une longue étude à cette question (à partir de la page 86), l'Insee commence par relever que « la législation actuelle est légèrement moins progressive que celle de 1990 ».

Et l'Insee étudie tout particulièrement l'impact des réformes de ces dernières années portant sur l'impôt sur le revenu : « L'impôt sur le revenu est devenu nettement moins progressif : les ménages du dernier quintile acquittent un montant d'impôt sur le revenu plus faible avec la législation de 2010 qu'avec celle de 1990, la différence correspondant à 5 % de leur niveau de vie. »

Ce constat-là vaut réquisitoire de la politique fiscale conduite ces dernières années : ceux dont le niveau de vie a le plus progressé sont aussi ceux qui ont profité des réformes fiscales.

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