mardi 8 novembre 2011

Rapport du monde du travail 2011


Organisation internationale du Travail (OIT)


Rapport World of Work Report 2011 : Making Markets Work for Jobs de l’Organisation internationale du Travail (OIT) - 31 octobre 2011
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Editorial - Raymond Torres

Le ralentissement économique pourrait entraîner un second repli de la situation de l’emploi ...

Les prochains mois seront cruciaux pour éviter un ralentissement spectaculaire de l’emploi et une aggravation significative des troubles sociaux. L’économie mondiale, qui avait commencé à se remettre de la crise mondiale, est entrée dans une nouvelle phase de ralentissement économique. La croissance économique dans les grandes économies avancées est parvenue à une halte et certains pays sont entrés à nouveau en récession, notamment en Europe. La croissance s’est également ralentie dans les grands pays émergents et en voie de développement.

En se basant sur l’expérience passée, il faudra environ six mois pour que l’affaiblissement économique en cours ait un impact sur les marchés du travail. En effet, dans le sillage immédiat de la crise mondiale, il était possible de retarder ou d’atténuer les pertes d’emplois dans une certaine mesure, mais cette fois le ralentissement peut avoir un impact beaucoup plus rapide et plus fort sur l’emploi. Après l’effondrement de Lehman Brothers en 2008, de nombreuses entreprises viables s’attendaient à un ralentissement temporaire de l’activité et donc étaient enclins à ne pas licencier leurs travailleurs. Aujourd’hui, dans la crise depuis trois ans, l’environnement des affaires est devenu plus incertain et les perspectives économiques continuent de se détériorer. Le maintien de l’emploi pourrait donc être moins répandu.

Par ailleurs, les programmes gouvernementaux de soutien de l’emploi et des revenus, qui s’étaient avérés si réussis en l’amortissant les pertes d’emplois et soutenant les pratiques de maintien d’emplois dans les entreprises au début de la crise mondiale, peuvent se réduire dans le cadre des mesures d’austérité budgétaire adoptées dans un nombre croissant de pays. Enfin, et plus fondamentalement, alors qu’en 2008-2009 il y avait une tentative de coordonner les politiques, surtout parmi les pays du G20, il est prouvé que les pays agissent maintenant de manière isolée. Ceci conduit à des politiques plus restrictives motivées par des considérations de compétitivité, et des mesures de maintien de l’emploi pourraient en être victimes.

Les derniers indicateurs suggèrent que le ralentissement de l’emploi a déjà commencé à se matérialiser (chapitre 1). C’est le cas dans près des deux tiers des économies avancées et la moitié des économies émergentes et en voie de développement pour lesquelles des données récentes sont disponibles. Pendant ce temps, les jeunes continuent d’entrer dans le marché du travail.

En conséquence, environ 80 millions de nouveaux emplois nets seront nécessaires au cours des deux prochaines années pour restaurer les taux d’emploi d’avant la crise (27 millions dans les économies avancées et le reste dans les pays émergents et en voie de développement). Toutefois, à la lumière du récent ralentissement économique, l’économie mondiale est susceptible de créer seulement environ la moitié de ces emplois dont on a tant besoin. Et il est estimé que l’emploi dans les économies avancées ne reviendra pas à son niveau pré-crise avant 2016, soit un an plus tard que prévu dans le Rapport de 2010 du Monde du Travail.

... Une exacerbation des inégalités et du mécontentement social ...

Alors que la reprise déraille, le mécontentement social est désormais de plus en plus répandu, selon une étude réalisée aux fins du présent rapport (voir le point sur l’agitation sociale dans le chapitre 1). Dans 40 pour cent des 119 pays pour lesquels des estimations ont pu être effectuées, le risque de troubles sociaux a considérablement augmenté depuis 2010. De même, 58 pour cent des pays indiquent une augmentation du pourcentage de personnes qui signalent une aggravation de leurs conditions de vie. Et la confiance dans la capacité des gouvernements nationaux pour faire face à la situation s’est affaiblie dans la moitié des pays.

Le rapport montre que les tendances au mécontentement social sont associées à la fois à l’évolution de l’emploi et à la perception que le fardeau de la crise est inégalement partagé. Le mécontentement social a augmenté dans les économies avancées, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et, quoique dans une bien moindre mesure, en Asie. En revanche, il pourrait s’être stabilisé en Afrique sub-saharienne, et il a reculé en Amérique latine.

... Et un retard accru de la reprise économique.

La détérioration des perspectives sociales et d’emploi, à son tour, affecte la croissance économique. Dans les économies avancées, la consommation des ménages - un des principaux moteurs de la croissance - est faible car les travailleurs deviennent plus pessimistes quant à leurs perspectives d’emploi et de salaires. Les indicateurs pour les Etats-Unis et plusieurs pays européens indiquent que les travailleurs s’attendent à une stagnation, voire une baisse des salaires. Les perspectives de la demande incertaine, combinées avec des faiblesses persistantes dans le système financier des économies avancées, dépriment l’investissement dans tous les pays, y compris dans les économies émergentes et en voie de développement qui s’appuient principalement sur les exportations pour leur croissance et la création d’emplois.

En bref, il y a un cercle vicieux d’affaiblissement de l’économie affectant les emplois et la société, déprimant à son tour l’investissement réel et la consommation, donc l’économie et ainsi de suite.

Ce cercle vicieux peut être rompu en faisant fonctionner les marchés pour des emplois - et non l’inverse.

Les tendances récentes reflètent le fait que trop peu d’attention a été accordée à l’emploi comme un facteur clé de la reprise. Les pays se sont de plus en plus axés sur l’apaisement des marchés financiers. En particulier, dans les économies avancées, le débat s’est souvent centré sur l’austérité budgétaire et la façon d’aider les banques-sans nécessairement réformer les pratiques bancaires qui ont conduit à la crise, ou en fournissant une vision pour que l’économie réelle puisse récupérer. Dans certains cas, cela a été accompagné de mesures qui ont été perçues comme une menace à la protection sociale et aux droits des travailleurs. Cela ne stimulera pas la croissance et l’emploi.

Pendant ce temps, la régulation du système financier - l’épicentre de la crise mondiale - reste insuffisante. Dans les économies avancées, le secteur financier ne remplit pas son rôle d’intermédiaire normal en fournissant des crédits à l’économie réelle. Et les économies émergentes ont été touchés par l’afflux massif de capitaux volatils (chapitre 2).

En pratique, cela signifie que l’emploi est considéré comme de second ordre vis-à-vis des objectifs financiers. Étonnamment, alors que la plupart des pays ont désormais des plans d’assainissement budgétaire, une seule grande économie avancée - les Etats-Unis - a annoncé un plan national pour l’emploi. Ailleurs, la politique de l’emploi est souvent examinée par un prisme fiscal.

Il est urgent de changer de vitesse. La fenêtre d’opportunité pour tirer parti de la création d’emplois et la génération des revenus se referme, alors que l’exclusion du marché du travail commence à prendre racine et le mécontentement social s’accroît.

Cela nécessite, d’abord, d’assurer un lien plus étroit entre les salaires et la productivité, à commencer par les pays en excédent ...

Il est temps de reconsidérer les politiques « de modération salariale ». Au cours des deux dernières décennies, la majorité des pays ont enregistré une baisse de la part des revenus revenant au travail - ce qui signifie que les revenus réels des salariés et des travailleurs indépendants ont, en moyenne, augmenté moins que cela aurait été justifié par des gains de productivité

La modération salariale ne s’est pas plus traduite en investissements réels plus élevés : entre 2000 et 2009, plus de 83 pour cent des pays ont connu une augmentation de la part des profits dans le PIB, mais ces bénéfices ont été utilisés de plus en plus pour verser des dividendes plutôt que pour investir (chapitre 2). Et il n’y a pas de preuve claire que la modération salariale ait stimulé l’emploi (chapitre 3).

En fait, la modération salariale a contribué à exacerber les déséquilibres mondiaux qui, avec les inefficacités du système financier, ont conduit à la crise et sa perpétuation. Dans les économies avancées, la stagnation des salaires a créé un terrain fertile pour une double dépression des dépenses de croissance - qui est clairement insoutenable. Dans certaines économies émergentes et en voie de développement, la modération salariale a été une partie intégrante des stratégies de croissance fondée sur les exportations vers les économies avancées - et cette stratégie aussi est insoutenable.

En assurant un lien plus étroit entre les salaires et la productivité, l’insuffisance de la demande mondiale serait résolue. En outre, une telle approche équilibrée permettrait d’alléger les pressions sur les contraintes budgétaires des gouvernements pour stimuler l’économie. Dans de nombreux pays, les niveaux de rentabilité sont tels que permettre aux salaires de croître en rapport avec la productivité permettrait également de soutenir l’investissement.

De toute évidence, la politique proposée devra être adaptée aux circonstances du pays et ne peut être attend que par le dialogue social, des instruments bien conçus de salaire minimum et la négociation collective, ainsi que des efforts renouvelés pour promouvoir les normes fondamentales du travail. Dans cet esprit, les économies excédentaires comme la Chine, l’Allemagne, le Japon et la Fédération de Russie ont une position concurrentielle forte, et donc plus d’espace pour une telle politique que les autres pays. Une évolution des revenus plus équilibrée dans les pays en excédent serait dans l’intérêt de ces pays tout en soutenant la récupération dans les pays déficitaires, en particulier ceux de la zone euro qui ne peuvent pas s’appuyer sur la dévaluation des monnaies, afin de récupérer la compétitivité perdue.

... Deuxièmement, supporter les investissements réels, notamment par une réforme financière ...

Il n’y aura pas reprise de l’emploi jusqu’à ce que le crédit pour les petites entreprises viables soit rétabli. Dans l’UE, le pourcentage net de banques déclarant un durcissement des normes de crédit est resté positif en 2011, et lorsque les entreprises dans l’UE ont été interrogées sur le problème le plus pressant auxquels elles sont confrontées entre Septembre 2010 et Février 2011, un cinquième des petites entreprises ont déclaré manquer d’accès adéquat au financement. Un soutien ciblé pourrait prendre la forme de garanties de crédit, le déploiement de médiateurs pour examiner les demandes de crédit refusées aux petites entreprises et fournir des liquidités directement aux banques pour financer les opérations des petites entreprises. De tels systèmes existent déjà dans des pays comme le Brésil et l’Allemagne.

Dans les pays en développement, il y a une marge importante pour accroître l’investissement dans les zones rurales et agricoles (chapitre 4). Cela nécessite des investissements publics ciblés, mais aussi de freiner la spéculation financière sur les denrées alimentaires afin de réduire la volatilité des prix des denrées alimentaires. Les prix alimentaires ont été deux fois plus volatiles durant la période 2006-2010 que pendant les cinq années précédentes. En conséquence, toute augmentation du revenu agricole est perçue par les producteurs - surtout les plus petits – comme étant temporaire. Les producteurs n’ont donc pas l’horizon stable nécessaire pour investir les revenus des gains agricoles, ce qui perpétue les pénuries alimentaires et le gaspillage des opportunités de travail décent.

... Troisièmement, maintenir et, dans certains cas renforcer les programmes en faveur de l’emploi financés à partir d’une base fiscale plus large ...

Aucun pays ne peut se développer avec des dettes publiques et des déficits toujours croissants. Toutefois, les efforts pour réduire la dette publique et les déficits de manière disproportionnée et contre-productive ont porté sur le marché du travail et des programmes sociaux. En effet, les réductions dans ces domaines doivent être soigneusement évaluées en termes de retombées directes et indirectes. Par exemple, les réductions des programmes de soutien du revenu peuvent entraîner dans le court terme des économies de coûts, mais cela peut aussi conduire à la pauvreté et réduire la consommation avec des effets durables sur le potentiel de croissance et du bien-être individuel.

Une approche favorable à l’emploi qui se centre sur la rentabilité des mesures contribuera à éviter une nouvelle détérioration de l’emploi. Le support de programmes soigneusement conçus en faveur de l’emploi demande au même moment de favoriser un retour plus rapide au marché du travail antérieur à la crise. Un soutien précoce en temps de crise est payant en réduisant les risques d’exclusion du marché du travail, ainsi que des gains de productivité. Les effets positifs sur l’emploi en raison d’une correspondance du marché du travail plus dynamique compensent les effets négatifs résultant de l’exclusion du secteur privé. L’augmentation des dépenses actives du marché du travail que d’un demi pour cent du PIB augmenterait l’emploi de 0,2 pour cent et 1,2 pour cent dans le moyen terme, selon les pays (chapitre 6). Bien que ces estimations ne fournissent que des ordres de grandeur seulement, ils soulignent que, s’ils sont bien conçus, les dépenses en faveur de l’emploi des programmes est cohérente avec les objectifs budgétaires à moyen terme.

Par ailleurs, les programmes en faveur de l’emploi ne sont pas couteux pour les finances publiques. Si besoin est, de nouvelles ressources peuvent être trouvées pour soutenir les dépenses indispensables. À cet égard, le rapport note qu’il est possible d’élargir l’assiette fiscale, notamment sur la propriété et certaines transactions financières (chapitre 5). De telles mesures amélioreraient l’efficacité économique et aideraient à partager le fardeau d’ajustement de manière plus équitable, ce qui contribuerait également à apaiser les tensions sociales. Le caractère hétérogène de la reprise rend nécessaire toutefois, d’appliquer cette approche à la lumière des circonstances propres à chaque pays.

... Et mettre les emplois à nouveau au sommet de l’agenda mondial.

La responsabilité de faire fonctionner les marchés en faveur des emplois incombe principalement aux gouvernements nationaux. Ils ont à leur disposition une riche panoplie de mesures inspirées par le Pacte Mondial pour l’Emploi de l’OIT - allant de programmes de protection sociale favorables à l’emploi, aux programmes bien conçus du salaire minimum et de la réglementation du travail ainsi qu’un dialogue social productif qui peuvent être rapidement mobilisés en combinaison avec des ajustement des paramètres macroéconomiques et financiers conviviaux en matière d’emploi. Il est particulièrement important d’agir rapidement sur ce front dans la zone euro, où les signes d’un affaiblissement économique sont les plus forts.

Il y a aussi un rôle essentiel pour une coordination des politiques internationales. Cette tâche est devenue plus difficile étant donné les différentes positions cycliques des pays. Toutefois, les conclusions du rapport suggèrent que la récession d’emplois dans une région affectera, tôt ou tard, les perspectives économiques et sociales dans les autres régions. Inversement, l’interdépendance des économies signifie que, si les pays agissent de manière coordonnée, les effets favorables sur l’emploi seront amplifiés. À cet égard, le G20 a un rôle de leadership particulier à jouer dans le respect de l’emploi, ainsi que les questions fiscales et financières, en haut de l’agenda politique mondial. Ici aussi, le temps est essentiel.

(traduction non précisée)

SOURCE : http://www.ilo.org/global/publications/ilo-bookstore/order-o...

LE RAPPORT EN ANGLAIS (document PDF) : http://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---dgreports/---dcom...

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