lundi 7 novembre 2011

Sous l’austérité, l’injustice et les mensonges



De suspense, en réalité, il n'y en a pas. Le gouvernement fait mine d'entretenir le mystère. Des fuites intéressées ont suggéré que François Fillon annoncera lundi 7 novembre le nouveau plan de rigueur, après que Nicolas Sarkozy eut rendu ses arbitrages pendant le week-end. Mais en fait, les dés en sont depuis le début jetés : ce seront les salariés qui paieront. C'est la singularité de ce plan : même si on n'en connaît pas encore toutes les modalités, on sait dès à présent la philosophie dans laquelle il s'inscrira. Sous l'austérité, il y aura des injustices en pagaille. Et puis une ribambelle de mensonges.

La philosophie, on la connaît. C'est François Fillon, lui-même, lors d'un déplacement à Morzine (Haute-Savoie), dès samedi, qui l'a confirmée : ce sera cap à marche forcée sur l'austérité. «L'heure de vérité a sonné, il n'est pas utile de s'en prendre aux agences de notation, aux banquiers, aux spéculateurs ou à je ne sais quel bouc émissaire, pas utile de faire croire qu'il y a des trésors cachés pour financer nos dépenses publiques quand on a le record de la dépense publique et le record des prélèvements obligatoires», a dit le premier ministre. «Il n'y a pas d'autres recettes pour réduire l'endettement que de réduire la dépense. Cette réalité est incontournable, le seul programme qui vaille en 2012, c'est le retour à l'équilibre des comptes publics», a-t-il ajouté, avant de promettre que le budget de l'Etat pour 2012 sera le plus rigoureux depuis l'après-guerre.

Dans les mots, il y a bien sûr de l'emphase et de l'outrance. Voulant impressionner les marchés financiers, François Fillon joue les va-t-en-guerre et promet de la sueur et des larmes. Alors qu'en réalité, le gouvernement devrait annoncer un plan ne portant que sur environ 8 milliards d'euros.

Cela étant dit, même dans la grandiloquence un peu ridicule de François Fillon, il y a une forme d'aveu : comme la plupart des autres pays européens, le gouvernement ne veut pas mobiliser le pays pour sortir de la crise et faire reculer la spéculation. Non ! Il veut faire strictement l'inverse : punir le pays et caresser les marchés et la spéculation dans le sens du poil.

C'est donc cela la première des injustices de ce plan, qui sera dévoilé dans son détail par François Fillon dans la journée de lundi, après un conseil des ministres extraordinaire : reculant sans cesse devant les marchés financiers et la spéculation, le gouvernement va leur donner de nouveaux gages. Et ces gages, ce seront les salariés et les personnes modestes, pour l'essentiel, qui en feront les frais.

Les premières pistes de réflexions sur lesquelles travaille le gouvernement viennent confirmer ce sentiment. Voyons donc les réformes à l'étude et appliquons-nous à décrypter les injustices qu'elles charrient en même temps que les mensonges auxquels elles donnent lieu.

Quelles sont les réformes à l'étude ?

Sous la forme d'économies complémentaires ou d'impôts nouveaux, le gouvernement entend trouver 8 milliards d'euros, ou à peine moins, pour compenser les pertes de recettes fiscales induites par une croissance plus faible que prévu (1% en 2012 au lieu de 1,75% annoncé à la fin de l'été).

Selon le Journal du dimanche, le gouvernement a un temps envisagé l'instauration d'une deuxième «journée de solidarité» pendant laquelle les salariés travailleraient sans être payés, le produit de leur travail étant reversé au budget de l'Etat. En 2003, le gouvernement Raffarin avait instauré une première journée de travail offerte, pour financer les prestations destinées aux personnes âgées. D'abord fixée au lundi de Pentecôte, elle est aujourd'hui compensée par le sacrifice d'un des jours de congés compensateurs de la réduction du temps de travail, pour ceux qui en bénéficient. L'échec de cette mesure a finalement amené le gouvernement à renoncer: le ministre François Baroin a, dimanche, assuré que cette piste était abandonnée.

Depuis plusieurs semaines, il est par ailleurs acquis que le gouvernement annoncera une hausse ciblée de la TVA. Le taux normal de 19,6% devrait rester inchangé. En revanche, le taux bas devrait être relevé, selon l'une des deux variantes suivantes. Soit le gouvernement annoncerait – ce qui est le moins probable – un relèvement du taux bas, qui est actuellement de 5,5%. Soit il pourrait créer un taux intermédiaire, entre 7% et 9%, dans lequel seraient reclassés certains produits ou services aujourd'hui taxés à 5,5%, comme la TVA pour la restauration, certains transports, les services à domicile, le bâtiment ou les travaux à domicile.

Grand spécialiste du matraquage fiscal à l'époque où il était premier ministre – il a relevé les impôts de 110 milliards de francs en juillet 1995, par le biais notamment de la TVA –, Alain Juppé est sorti samedi de ses compétences ministérielles, celles des affaires étrangères, pour glousser de plaisir à l'idée que Nicolas Sarkozy pourrait s'inspirer de son exemple : «Je ne veux pas défendre la TVA. Je voudrais simplement qu'on réfléchisse (à cette hausse) et qu'on sorte un peu des idées toutes faites en disant que la TVA est un mauvais impôt», a-t-il déclaré, samedi à Bordeaux. Il n'a pas eu, en revanche, la férocité de rappeler que les balladuriens de l'époque, dont Nicolas Sarkozy était le porte-voix, lui étaient tombés dessus à bras raccourcis.

Le gouvernement a aussi travaillé sur l'idée d'une surtaxe exceptionnelle sur l'impôt des sociétés, à laquelle pourraient être assujettis les plus grands groupes. Mais nul ne sait si le projet verra effectivement le jour ou s'il sera d'abord de portée symbolique, pour faire croire à l'opinion que les entreprises sont logées à la même enseigne que les salariés.

Le plan du gouvernement devrait aussi prévoir un nouveau train d'économies sur les dépenses de l'Etat, et vraisemblablement aussi, sur les dépenses de la Sécurité sociale.

Le recul de la croissance oblige-t-il la France à se serrer la ceinture ?

On l'a vu, c'est l'argument massue du gouvernement : puisque la croissance fléchit et compromet les engagements de la France en matière de réduction de déficits publics (3% du PIB en en 2013), il faut prendre des mesures immédiates de correction.

Mais c'est une imposture, pour de nombreuses raisons. D'abord, il faut bien admettre que quand il s'agit de socialiser les pertes et de privatiser les profits, le gouvernement se moque comme de sa dernière chemise des déficits. Dans ce cas-là, il jette l'argent par les fenêtres. A preuve, pour sauver la banque franco-belge Dexia, produit d'une sulfureuse et calamiteuse privatisation, la Belgique et la France – qui selon François Fillon est au bord de la banqueroute – ont mis sur la table, en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, la somme de 10 milliards d'euros en cash. Soit plus que le nouveau plan d'austérité dont on parle aujourd'hui. Sans parler de 90 milliards de prêts pourris qui ont été pris en garantie...

On touche ici du doigt l'injustice scandaleuse du plan : les banques, dont Dexia, qui ont alimenté de folles spéculations depuis 2007, ont toujours bénéficié de la plus totale sollicitude du gouvernement ; et aujourd'hui, ce sont pour l'essentiel les salariés qui sont invités à payer les pots cassés.

Autre preuve que l'argument du fléchissement de la croissance est une imposture : le gouvernement dispose de nombreux moyens pour faire entrer de l'argent dans les caisses de l'Etat, sans mettre les Français au piquet. L'exemple de l'Allemagne l'atteste : dans le courant du mois d'août, elle a en effet conclu un accord avec la Suisse au terme duquel elle va recevoir environ 20 milliards d'euros en dédommagement de l'évasion fiscale dont elle a pâti. Cet accord entre Berlin et Berne autorise les contribuables allemands à placer leur fortune en Suisse, à condition qu'ils versent une taxe de 26,375% sur leurs rendements en capitaux. Ce montant sera prélevé à la source puis reversé au fisc allemand, afin de garantir l'anonymat de la procédure. Il s'agit donc d'un système de prélèvement libératoire.

La France, elle, refuse le principe d'un tel accord. Avec un argument qui est honorable : on ne transige pas avec la fraude fiscale. Fort bien ! Mais le scandaleux paradoxe, c'est que la lutte contre l'évasion fiscale – dont quelques-uns des grands financiers de l'UMP ont été les champions, des Bettencourt aux Wildenstein – n'a pourtant pas avancé d'un pouce.

En clair, si la France était vraiment en difficulté financière – ce qui n'est pas le cas, nous allons le voir –, il y aurait de nombreuses pistes possibles à explorer avant d'annoncer une nouvelle punition sociale.

La France est-elle au bord de la faillite ?

Là encore, cette dramatisation, à laquelle procèdent Nicolas Sarkozy et François Fillon, a une raison cachée, qu'il faut savoir décrypter. Car elle vise implicitement à faire croire aux Français qu'ils vivent au-dessus de leurs moyens, et qu'ils doivent accepter de faire des sacrifices, sauf à laisser derrière eux des dettes que leurs enfants devront plus tard éponger. C'est une dramatisation dans un souci de culpabilisation.

Or, il est mensonger de dire que les déficits proviennent de dépenses publiques exorbitantes. S'il y a d'abord une raison qui explique les déficits publics français, et donc l'endettement, c'est la course folle aux baisses d'impôts qui a eu lieu depuis deux décennies, et qui s'est accélérée depuis 2007.

Rendu public le 20 mai 2010, un rapport rédigé par deux hauts fonctionnaires et se concentrant seulement sur les dix dernières années en donne une exacte mesure (lire Ces dix années de cadeaux fiscaux qui ont ruiné la France). Il s'agit du «Rapport sur la situation des finances publiques», dont les auteurs étaient Jean-Philippe Cotis, l'actuel directeur général de l'Insee, et son prédécesseur, Paul Champsaur, et que l'on peut consulter ci-dessous: Rapport sur les finances publiques (Champsaur-Cotis)



A destination du premier ministre, ce document faisait en particulier ce constat : «Depuis 1999, l'ensemble des mesures nouvelles prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de 3 points de PIB: une première fois entre 1999 et 2002; une deuxième fois entre 2006 et 2008. Si la législation était restée celle de 1999, le taux de prélèvements obligatoires serait passé de 44,3 % en 1999 à 45,3 % en 2008. En pratique, après réduction des prélèvements, ce taux a été ramené à 42,5 %. À titre d'illustration, en l'absence de baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd'hui qu'elle ne l'est en réalité générant ainsi une économie annuelle de charges d'intérêt de 0,5 point de PIB.»

Le rapport n'en dit pas plus... Mais le chiffre laisse pantois: la dette publique serait donc de 20 points de PIB inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui sans ces baisses d'impôts décidées depuis dix ans.

Le chiffre mérite un temps de réflexion. Près de 20 points de PIB en moins! Autrement dit – et ce sont des experts qui travaillent pour le gouvernement qui le suggèrent –, la France, malgré la crise, serait presque encore en conformité avec les sacro-saints critères de Maastricht si ces baisses d'impôts n'étaient pas intervenues, et notamment le critère européen qui fait obligation à ce que la dette d'un Etat ne dépasse pas 60% de sa richesse nationale. Concrètement, sans ces baisses d'impôts, la France aurait certes crevé ce plafond, mais dans des proportions raisonnables. Juste un chouïa...


Un autre document, publié en prévision du traditionnel Débat d'orientation budgétaire (DOB), qui s'est tenu le 6 juillet 2010 à l'Assemblée nationale, vient confirmer ce constat. Et celui-là aussi est au-dessus de tout soupçon, puisque son auteur est Gille Carrez, le rapporteur général (UMP) de l'Assemblée nationale. Dans ce «Rapport d'information», on fait en effet des découvertes stupéfiantes. «Entre 2000 et 2009, le budget général de l'Etat aurait perdu entre 101,2 – 5,3 % de PIB – et 119,3 milliards d'euros – 6,2 % de PIB – de recettes fiscales, environ les deux tiers étant dus au coût net des mesures nouvelles – les «baisses d'impôts» et le tiers restant à des transferts de recettes aux autres administrations publiques – sécurité sociale et collectivités territoriales principalement», peut-on y lire. Ce rapport, le voici:Rapport Carrez pour le Débat d'orientation budgétaire (juillet 2010)



Cette évaluation, qui recoupe celle du rapport Cotis-Champsaur, vient confirmer ce que personne ne veut aujourd'hui admettre: la France serait, malgré la crise, presque dans les clous de Maastricht, ou peut-être même totalement, si ces baisses d'impôts inconsidérées n'étaient pas intervenues. Les chiffres sont là, incontestables! Respectant ses engagements européens, la France ferait figure de bon élève de la zone euro et n'aurait pas à envisager un plan d'austérité.


Mais l'intérêt de ce rapport écrit (avec un indéniable courage pour un membre de la majorité UMP) par Gilles Carrez, c'est qu'il s'applique aussi à évaluer qui ont été les principaux bénéficiaires de ces 77,7 milliards d'euros de baisses d'impôts depuis dix ans. Et là encore, la réponse est très éclairante. S'appuyant sur le graphique ci-contre, le rapport écrit: «La moitié des allègements fiscaux décidés entre 2000 et 2009 ont concerné l'impôt sur le revenu. Le manque à gagner en 2009 sur le produit de cet impôt s'établit en effet à environ 2% de PIB, contre 0,6% de PIB pour la TVA et 0,5% de PIB pour l'Impôt sur les sociétés (IS).»

Le rapport relève ainsi que de 2000 à 2009 le montant total des baisses de l'impôt sur le revenu a atteint de 32,9 à 41,6 milliards d'euros. Cette indication est évidemment majeure. Car comme ne sont assujettis à l'impôt sur le revenu que les 50% des contribuables les plus fortunés, cela veut donc dire que l'essentiel des baisses d'impôts (41,6 milliards d'euros sur 77,7 milliards d'euros) a profité à ces ménages les plus favorisés sous la forme de baisses de l'impôt sur le revenu.

Bref, la France n'est pas au bord de la faillite. A cause de cette politique irresponsable de baisse des impôts, à cause du dynamitage de l'Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et des droits de succession, jusqu'au durcissement du bouclier fiscal, la droite a seulement trop choyé les plus grande fortunes et les revenus élevés. Dans des proportions telles et pendant tellement d'années, que les finances publiques ont fini par en être ébranlées.

Le gouvernement n'a-t-il pas raison de relever la TVA qui est un impôt indolore ?

Le bilan que nous venons de passer en revue de ces dix dernières années (et qui met en cause aussi la gauche, responsable des toutes premières baisses d'impôt sur le revenu) souligne ce qu'il y a de fallacieux dans l'argument dont joue le gouvernement.

Car effectivement, le gouvernement fait valoir que la TVA est socialement indolore. Toue honte bue, certains osent même parler de « TVA sociale ».
Mais en fait, il n'est pas difficile de comprendre le tour de passe-passe. Si, pendant plus de dix ans, les gouvernements successifs ont baissé les impôts, et au premier chef l'impôt sur le revenu, qui est un impôt progressif (plus on est riche, plus on paie); et si désormais le gouvernement relève les impôts, en commençant par la TVA, qui est un impôt dégressif (plus on est pauvre, plus on paie), la boucle est en quelque sorte bouclée : c'est un immense mouvement de redistribution fiscale qui est en train de s'achever, avec ce nouveau plan d'austérité, au profit des plus riches et au détriment des plus pauvres.





Le fait que le gouvernement choisisse de relever le taux de TVA de 5,5%, totalement ou partiellement, vient naturellement encore accentuer ce constat. Car la plupart des services ou produits assujettis à ce taux ont une vocation sociale. Un rapport intéressant établi en mai 2011 par une autorité elle aussi au-dessus de tout soupçon, le Conseil des prélèvements obligatoires (qui est une annexe de la Cour des comptes), établit par avance la supercherie : minutieuse, l'étude démontre en effet par le menu le caractère violemment régressif de la TVA (lire Pour une nouvelle nuit du 4-Août). Le graphique ci-dessus, qui en est extrait, n'est qu'une des très nombreuses illustrations fournies par ce rapport. Ce rapport, le voici:
Conseil des Prelevements Obligatoires: la fiscalite des menages

Cette mesure fiscale est donc particulièrement injuste. Mais elle est aussi emblématique du chaos et de la panique dans lesquels sont pris Nicolas Sarkozy et son gouvernement. Alors que tous les experts ont dénoncé par avance l'abaissement de la fiscalité sur la restauration de 19,6% à 5,5%, en faisant valoir que ce serait affreusement coûteux pour les finances publiques (plus de 3 milliards d'euros), que cela ne créerait aucun emploi et que cela servirait seulement à gonfler les marges des bistrotiers et patrons de restaurants, Nicolas Sarkozy n'en a fait qu'à sa tête et a pris cette mesure aberrante en 2009. Et voilà aujourd'hui qu'il est de nouveau obligé de défaire ce qu'il avait fait. Comme dans le cas du bouclier fiscal. Le même entêtement, les mêmes fortunes publiques en pure perte, et en fin de course, la même volte-face. Sans le moindre remords, sans la moindre excuse, presque avec fanfaronnade...

Et s'il faut parler de marche arrière, il y en a une encore plus spectaculaire. Mille fois, Nicolas Sarkozy a répété que jamais au grand jamais il ne releverait un impôt. Mille fois, il a mis au défi ses contradicteurs de prouver qu'il n'avait pas tenu parole (vidéo ci-contre). C'était en somme le promesse majeure de son quinquennat. Avec le relèvement de la TVA, venant après des rafales d'autres hausses d'impôt, voilà donc la promesse de nouveau bafouée.

C'est dire si ce gouvernement marche de travers, sous la férule d'un chef de l'Etat – on aurait envie de dire... d'un chef de clan – qui à défaut de sauver la France aimerait bien se sauver lui-même. Mais dans les violentes turbulences de la crise, ses commandements apparaissent injustes tout autant que désordonnés.

Résultats : on ne sait pas bien où va la France. Mais on sait encore moins où va Nicolas Sarkozy...

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