vendredi 4 novembre 2011

Camila Vallejo : « Cette lutte n’est pas seulement celle des Chiliens, mais celle de tous les jeunes du monde »


« L’espoir est grand parce qu’on voit que le Chili n’est pas le même qu’avant, et qu’à partir de la il y a un réveil mais aussi un changement, ou le début d’un changement, dans les structures mentales. »

Entrevue avec Camila Vallejo par Oleg Yasinsky.

Santiago du Chili. Un mouvement étudiant s’amplifie au Chili depuis Mai de cette année. Il y a déjà 6 mois de manifestations dans la rue, d’assemblées ; et de liaisons avec d’autres secteurs de la société, au nom de la réclamation primitive d’un nouveau modèle d’éducation qui se traduit par une plainte déposée contre le système néolibéral en général

Camila Vallejo, 23 ans, étudiante en géographie, est devenue l’une des figures visibles du mouvement le plus important du Chili depuis l’arrivée de la Concertación [parti d’opposition à l’actuel président de droite, réunissant divers partis de gauche, et né en 1988 en opposition à la dictature de Pinochet]. Présidente de la Fédération des Etudiants de l’Université du Chili, militante des Jeunesses Communistes, Camila parle lors d’un entretien avec Desinformémonos des défis et des espoirs du mouvement, des succès obtenus et des craintes actuelles. Dans la première entrevue accordée à un média mexicain, Camila salue les étudiants de la UNAM [Université de Mexico] et envoie un message aux jeunes d’Amérique Latine.

Extraits de l’entrevue :

C’est quoi, être de gauche, aujourd’hui ?

D’abord, il faut comprenre qu’il est nécessaire de faire des changements profonds dans la société et le système politico-économique et culturel qui la struture mais il faut avoir en plus conscience que cela demande une action collective, un travail collectif, et travailler de façon organisée et dans l’unité.

Deuxièmement, cette transformation a à rechercher à recouvrer la souveraineté pour les différentes populations, particulièrement au Chili. Chercher à ce que cette souveraineté ne se traduise pas seulement par la récupération des ressources naturelles mais aussi par la capacité à répartir d’une meilleure manière le pouvoir politique. Une démocratie bien plus collective, bien plus participative, qui implique de créer au niveau institutionnel les espaces nécessaires pour que ce soient les différents groupes humains qui prennent en leurs propres mains la construction du futur. Et cela avec le principe de base de parier sur une plus grande justice sociale, qui passe autant par la justice dans la distribution que par la justice dans la production Et, dans cet état d’esprit, non seulement on s’occupe de la récupération des moyens de production matériels mais aussi culturels, de connaissance, qui ont à être démocratisés. Je pense que c’est le grand défi de la gauche aujourd’hui.(…)

Pourquoi recueillez-vous autant d’appui et de sympathie des gens, et pas seulement au Chili ?
Je pense que nous nous attaquons à des problèmes centraux du système et que cela engendre la transversalité. Il ne s’agit pas d’une lutte corporatiste pour la défense de quelque corporation ou qui ne nous lie pas directement aux étudiants, mais d’une problématique qui est posée , et la revendication qui monte est une revendication sociale, qui est pour tout le monde, pas seulement pour la génération actuelle mais pour le futur. Et cela a engendré la sympathie et a aussi réveillé la conscience de beaucoup de gens, rendu l’espoir à ceux qui avaient lutté auparavant mais, par crainte, ne continuaient pas. Et je pense que ça a été la principale richesse de ce mouvement : la transversalité, le réveil de la conscience, l’attaque des problèmes centraux sont par-dessus tout les conséquences du mouvement. Je crois que nous n’avons pas fait de compromis, non par intransigeance mais par sens des responsabilités devant des questions qui sont pour nous éthiques et morales, qui sont une lutte légitime. C’est de cet aspect, je pense, qu’est issu le plus grand appui social à ce mouvement. (…)

Quels est le rôle de la presse et des journalistes dans ce processus ?

C’est un pouvoir de fait. Au Chili, la presse est très dirigée par les grands groupes économiques, elle joue dans une large mesure le jeu des intérêts du pouvoir, de toute évidence. Nous connaissons tous le duo qui est derrière les grands médias.

Dans ce contexte, au moins au début, elle a très bien disposé l’opinion publique à ce qui était en train de ses passer parce-qu’il n’y avait rien d’autre, parce que les manifestations étaient massives, créatives, diversifiées, joyeuses ; là, le rôle joué par les médias a eu aussi à être un peu plus impartial.

Cependant, avec le développement du conflit est arrivé le point où rien ne se solutionnait avec le gouvernement, et les médias ont adopté une autre stratégie, maintenant claire, qui consistait à indisposer l’opinion publique à l’égard du mouvement étudiant, des mouvements sociaux et si quelqu’un était vu dans la rue, la présentation était centrée sur la délinquance supposée, sur la violence, sur la nécessité d’avoir la main ferme, de criminaliser la protestation sociale. Donc, de toute évidence, les médias appartiennent au système – un système de communication – par lequel on peut reproduire l’hégémonie du discours dominant, discours qui vient particulièrement du gouvernement actuel, des secteurs les plus réactionnaires.

Autre chose sont les médias alternatifs, la radio. Ceux-ci jouent un rôle qui a été de diversifier et d’amplifier davantage, produit par la nécessité de communiquer d’une meilleure manière ce qui est en train de se passer. Avec plus d’objectivité, un peu polus favorable à ce qu’est réellement le mouvement étudiant. (…)

Quand le mouvement récent des étudiants Chiliens était en train de prendre, la presse qui ne savait pas écrire correctement ton nom, t’a aussitôt taxée de « leader » de ce mouvement. Il semblerait qu’en ce moment, depuis la chute des « socialismes réels » qui n’ètaient ni si réels ni si socialistes que cela, les gens et les jeunes ne veulent plus de leaders ni d’avant-garde éclairée… Nous vivons la nécessité de reposer la question du pouvoir, non seulement à l’extérieur mais aussi à l’intérieur de nos propres mouvements… Comment vois-tu cette question ? Tu te sens leader, dirigeante, coordinatrice, porte-parole ?

Je crois que l’Histoire nous met là. Je ne crois pas que nous soyons leader-né, je crois que les circonstances m’ont obligée à être là ; cela aurait pu être quelqu’un d’autre (…) Je pense que ce mouvement est dû principalement au travail de tous, pas principalement aux visages les plus visibles, mais à tous ceux qui le construisent jour après jour. Non parce qu’ils sortent manifester, mais parce qu’ils le construisent dans les assemblées, dans les liaisons avec d’autres organisations et, dans ce sens, je partage l’idée que le pouvoir ne doit pas être concentré dans un leasership mais à la base du mouvement. (…)

Si tu écoutes les professionnels de la politque, le mot le plus fréquent est « je »…

C’est vrai pour les professionnels de la politique mais je ne crois pas que ça le soit quand on parle du mouvement ; nous avons su trouver un équilibre et nous disons cela aussi. Je crois que c’est important de le souligner, parce que souvent nous allons à des forum ou à des discussions et on nous applaudit mais pas parce que c’est nous. Les applaudissements doivent être pour tous nos compañeros qui le méritent à ce moment. Et nous, nous sommes devant les caméras, dans les réunions, et en train de faire mille choses, mais on oublie tout le travail que sont en train de faire les compañeros et que sans eux, rien de tout cela ne serait possible. Ceux qui construisent la base de ce mouvement sont tous les étudiants, les travailleurs, les professeurs, qui travaillent au jour le jour. Ceci est très clair pour nous, et je crois que cela a beaucoup contribué à ce que les vapeurs du succès ne nous montent pas à la tête.

Camila Vallejo

interrogée par Oleg Yasinsky

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